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Aujourd'hui l'économie, le portrait

Égypte: Mohamed Ali, le patron «poil à gratter» du régime

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Il a le nom d’une légende de la boxe, mais lui prétend se battre contre le régime du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Mohamed Ali, un entrepreneur du bâtiment désormais en exil en Espagne, s'illustre depuis septembre dernier dans des vidéos où il dénonce la corruption du président égyptien et de ses proches, qui aurait coûté des millions de livres égyptiennes. Il a inspiré malgré lui un mouvement de contestation, tué dans l’œuf. Il entend désormais ranimer la flamme de l’opposition en exil.

Mohamed Ali est devenu malgré lui le visage de la contestation anti-Sissi. Prise d'écran sur YouTube.
Mohamed Ali est devenu malgré lui le visage de la contestation anti-Sissi. Prise d'écran sur YouTube. Youtube
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Le style est décontracté. Le débit, celui d’une mitraillette. Dans un lieu tenu secret à Barcelone, l’entrepreneur et comédien se confie à la caméra, cigarette à la main. Autodidacte au bagou charmeur, Mohamed Ali a fait fortune à la vitesse grand V, surtout après la révolution de 2011. Grâce aux projets de construction menés par l’armée, avec à sa tête Abdelfattah al-Sissi.

Au numéro un égyptien, Mohamed Ali réserve un torrent d’accusations. Dans une de ses vidéos, il énumère les propriétés que le raïs et ses proches auraient accumulées aux frais de l’État égyptien. « Une villa à Ma’moura (Alexandrie, NDLR), trois à Marassi (sur la Méditerranée), sans compter celle de Marsa Matrouh (à la frontière avec la Libye) ! Mais tu l’as dit : nous sommes pauvres, il faut se serrer la ceinture ! », hurle-t-il face caméra.

Le président égyptien, qui aime se montrer proche du peuple, se sent obligé de répondre. Il précise qu’il s’agissait de constructions au profit de l’État. Mais cela sonne comme un aveu pour les milliers de jeunes qui partagent en masse les vidéos de Mohamed Ali et manifestent les 20 et 21 septembre malgré l’interdiction et la peur.

Comment expliquer la popularité soudaine de ce transfuge du système ? « Les gens étaient prêts à entendre quelqu’un parler sincèrement de ces problèmes », estime Amr Darrag, un ancien ministre sous Mohamed Morsi, ex-président issu des Frères musulmans, renversé par l’armée et décédé cette année en prison.

« Mohamed Ali apparaît au public égyptien comme quelqu’un qui émane du système, quelqu’un de crédible, bien informé. Et puis il le reconnaît : j’ai été un corrompu, j’ai contribué à ce système. Tout en admettant ses défauts : l’abus d’alcool, les relations extra-conjugales. Autrement dit, il s’est affiché », continue l’ancien ministre lui-même en exil en Turquie.

En effet, l’homme d’affaires est grillé auprès de ses anciens associés et ses ex-collaborateurs restés en Égypte ont en partie été appréhendés. La répression s’abat surtout sur les manifestants : 4 000 personnes sont arrêtées d’après les ONG égyptiennes. Mohamed Ali, lui, se dit traqué. Dans des médias de plus en plus contrôlés par le régime, il est accusé pêle-mêle d’être Frère musulman (la confrérie est interdite), drogué ou mû uniquement par le profit. Lui affirme qu’il aurait pu rester en Égypte et continuer de s’enrichir.

Mohamed Ali n’a pas de preuve formelle pour étayer ses accusations. Son témoignage met toutefois en lumière l’irruption de l’armée, surtout depuis l’avènement de Sissi dans des secteurs jusqu’ici réservés au secteur privé et où elle dicte désormais les règles. « Les comportements que dénonce Mohamed Ali, on le sait par d’autres sources, sont avérés », confirme Yezid Sayigh, associé principal du Carnegie Middle East Center à Beyrouth, qui documente ces faits depuis des années.

Et le chercheur de décrire un système où « des entreprises du secteur privé sont forcées de réduire leurs marges voire travaillent à perte dans des projets initiés par l’armée ». Ces entreprises le font parce qu’elles savent que si elles refusent, elles seront hors-jeu pour les prochains contrats. La plupart du temps, donc, elles acceptent les pertes pour assurer leur avenir, comme l’a fait Mohamed Ali durant des années.

« Un fait éclairant, c’est que juste après les premières vidéos, certaines entreprises ont été approchées par l’armée pour être enfin payées. Clairement, la mauvaise publicité a joué », relate l’auteur d’un rapport très remarqué sur la prédation de l’économie par les forces armées.

L’entourage du président Sissi s’agite. Mada Masr, un des rares médias libres, est perquisitionné au lendemain de révélations sur les remous causés par les suites de l’affaire Mohamed Ali. Une partie de l’opposition en exil se prend à rêver et approche le tranfuge pour annoncer fin novembre une coalition contre Sissi.

« Il s’est donné pour mission de convaincre certains partis d’opposition qu’il était temps de surmonter leurs différences, de s’unir contre Sissi », résume l’ancien ministre Amr Darrag, désormais éloigné des Frères musulmans. Pour autant, Mohamed Ali nie être intéressé par un rôle politique.

« Si le président Sissi s’en va, il rentrera pour continuer d’entreprendre et de faire du cinéma », affirme l’ancien ministre, qui est en contact régulier avec lui et soutient la démarche. Pour l’heure, poursuivi pour évasion fiscale en Égypte, Mohamed Ali a vu son passeport annulé. Ses vidéos continuent quant à elles de réunir chaque jour des milliers de vues.

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