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Le grand invité Afrique

Jean-Baptiste Lemoyne: «Le centre de gravité de la Francophonie est en Afrique»

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Qui sera secrétaire générale de la Francophonie à l’issue du sommet d’Erevan de la semaine prochaine ? Le 2 octobre, vous avez pu entendre l’ancien ministre français Pierre André Wiltzer, qui s’oppose à la candidature de la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo. Aujourd’hui, le secrétaire d’Etat français en charge notamment de la Francophonie et des Français de l’étranger réplique sur RFI. Au micro de Christophe Boisbouvier, avec les moyens techniques de Médard Chablaoui, Jean-Baptiste Lemoyne annonce que la candidate rwandaise est d’ores et déjà majoritaire.

Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.
Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères. AFP/Ludovic Marin
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RFI : Le soutien de la France à  la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, a beaucoup surpris. Pourquoi ce choix ?

Jean-Baptiste Lemoyne : Vous savez, avant tout, la candidature de Louise Mushikiwabo, c’est le soutien de l’Union africaine, du continent africain à la ministre des Affaires étrangères du Rwanda. Et c’est vrai que la France, le président de la République l’a dit à plusieurs reprises, considère et fait le constat que la Francophonie aujourd’hui, son centre de gravité, il est en Afrique, quelque part entre le Sahel et le fleuve Congo, parce que la dynamique démographique est là. Et le fait d’avoir, alors que nous préparons les 50 ans de l’organisation en 2020 à Tunis, une femme africaine à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie a beaucoup de sens.

Beaucoup reprochent à la France d’avoir pris l’initiative de cette candidature de façon unilatérale. N’est-ce pas contraire à l’esprit multilatéral de l’OIF ?

Non. Encore une fois, justement je crois qu’il faut sortir de l’ère du soupçon. La France, elle se rallie, encore une fois, à une candidature qui est portée par un continent tout entier puisqu’à Nouakchott, le 2 juillet dernier, les Etats membres de l’Union africaine ont apporté leur soutien formellement à cette candidature. Donc on est dans une logique de décentrement. Nous ne sommes pas le centre du monde. Naturellement, la France a beaucoup à voir avec la Francophonie, avec la langue française et le chef de l’Etat y est attaché. Mais nous considérons aussi que cette Francophonie doit être irriguée par toute sa diversité, et notamment par le fait que le Sud puisse à nouveau être à la tête du secrétariat général, après des personnalités aussi emblématiques que Boutros Boutros-Ghali, originaire d’Egypte, ou le président Abdou Diouf, originaire du Sénégal, cela s’inscrit dans une belle continuité.

Oui, mais au mois de mai 2018, c’est tout de même à l’Elysée que Paul Kagame et Emmanuel Macron ont annoncé la candidature de Louise Mushikiwabo…

Encore une fois, la France, elle vient en soutien d’une candidature qui s’est déclarée elle-même. On est loin justement de ces petits jeux qui ont fait peut-être le bonheur d’une certaine relation entre la France et l’Afrique dont nous souhaitons tourner une page. La France veut soutenir une vision justement de la Francophonie où encore une fois les sujets d’éducation, d’éducation des jeunes femmes, de langues sont au cœur des enjeux de la Francophonie.

Ces dix dernières années, la ministre Louise Mushikiwabo n’a pas toujours dit du bien de la France. Est-ce qu’aujourd’hui le soutien de la France à sa candidature, c’est une façon de tourner le dos à la Françafrique ?

Je crois qu’une élection, ça se fait autour d’un projet. Et ce que je constate, c’est que les autorités du Rwanda ont annoncé un réengagement significatif pour l’apprentissage du français dans l’enseignement public, et que par ailleurs, le Rwanda illustre aussi ce plurilinguisme.

Depuis 8 ans, le français est remplacé par l’anglais à l’école publique rwandaise. Alors concrètement, que peut faire la Francophonie aujourd’hui au Rwanda ?

Justement, je le redis, les autorités rwandaises se sont engagées à faire revenir la langue française dans l’enseignement public. Donc ce sont des actes qui sont posés.

Oui, mais l’anglais restera la langue enseignée dans les petites écoles, chez les petits Rwandais, non ?

Il y a beaucoup d’Etats de la Francophonie qui sont des Etats bilingues. Regardez le Canada.

Vous voulez aider l’enseignement du français dans des pays comme le Rwanda, mais en même temps, le budget de la Francophonie est en baisse depuis quatre ans…

L’organisation internationale de la Francophonie a un budget qui effectivement n’est pas très extensible à ce jour. Et c’est pourquoi nous plaidons aussi pour une refondation de l’organisation et pour qu’elle se concentre sur le cœur de métier que constituent la langue, la culture. A ce qu’on a pu constater, il y a peut-être un éparpillement ces dernières années avec beaucoup d’actions peut-être de communication. Il est important de revenir aux fondamentaux : c’est la langue, la pédagogie, comment faire pour que cette langue se diffuse, soit enseignée. Autant vous dire qu’il y a énormément de synergies à mettre en place avec un certain nombre d’institutions internationales, comme le Partenariat mondial pour l’éducation.

Le 13 septembre, dans une tribune de presse sur le site internet Le Monde, quatre anciens ministres de la Coopération -Charles Josselin, Pierre-André Wiltzer, Hélène Conway-Mouret et André Vallini-, qui sont d’une certaine façon quatre de vos prédécesseurs, ont affirmé que Louise Mushikiwabo n’avait pas sa place à la tête de l’OIF, notamment parce que le Rwanda n’est pas un modèle en matière de démocratie et de droits de l’homme…

Je ne vais pas me prononcer sur une tribune en tant que telle. Ce que je constate, ce sont les actes, les faits. Il y a quelques semaines, de récentes décisions de libération ont été prises au Rwanda. Je constate que le Rwanda, en matière de question d’égalité femme-homme, est un pays qui, sur le continent africain, est plutôt à la pointe du combat. J’ai pu discuter avec Louise Mushikiwabo sur l’urgence climatique, j’ai pu voir combien elle était mobilisée sur ces sujets. Elle tient également à faire en sorte que les questions de jeunesse, d’emploi soient au cœur de son mandat, toutes choses qui permettent aux jeunes femmes et aux jeunes hommes d’avoir effectivement, dans la vraie vie, leur droit élémentaire promu parce que, dans  l’espace de la Francophonie, il permet de se réaliser.

La libération de ces 2 000 prisonniers, dont l’opposante Victoire Ingabire, est-ce un effet Francophonie ?

Ce n’est pas à moi de commenter la façon dont cela se fait. Ce que je constate, c’est que ces libérations ont eu lieu. C’est un bon signe. La Francophonie, ce n’est pas une organisation internationale qui s’est construite en voulant donner des leçons. Je crois que c’est avec beaucoup de médiation, de diplomatie par exemple, qu’un grand secrétaire général comme le président Abdou Diouf a obtenu des avancées ici ou là.

On imagine que cette candidature que soutient la France peut aider à la réconciliation entre Kigali et Paris. Mais de toute façon, disent vos quatre prédécesseurs dans leur tribune de presse, « Paul Kagame a besoin d’une France coupable et elle le restera à ses yeux tant qu’il sera au pouvoir ».

Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que, lorsque j’ai eu l’occasion de rencontrer le président Kagame sur le continent pour des cérémonies d’investiture ou autres, moi je lui ai porté le témoignage d’un Français qui a aujourd’hui 40 ans et qui, au moment où tous ces évènements complexes se sont déroulés, était un adolescent. Aujourd’hui, ce que je souhaite, c’est pouvoir aller de l’avant, regarder l’avenir, voir comment le français, la Francophonie peuvent toujours mieux rayonner. Pardon de ne pas être dans l’archéologie, mais d’être beaucoup plus dans la prospective et dans l’avenir.

Il y aura bientôt un ambassadeur de France à Kigali ?

L’avenir le dira.

Malgré votre soutien à la candidature de la ministre rwandaise, la secrétaire générale sortante, Michaëlle Jean, maintient sa candidature. Elle se bat avec le soutien notamment de son pays, le Canada. Est-ce que vous ne craignez pas que, le 12 octobre prochain au XVIIème sommet de la Francophonie à Erevan en Arménie, on passe au vote et que la Francophonie ne se déchire ?

La Francophonie justement, chacun doit avoir en tête tous les protagonistes, tous les candidats comme les Etats membres. Qu’est-ce qui fait l’ADN de la Francophonie ? C’est le consensus. Toutes les décisions qui ont été prises jusqu’à maintenant en matière de désignation de secrétaire général se sont faites dans le consensus. Donc la France travaille à ce consensus. L’assemblée générale des Nations unies a permis d’avoir de nombreux échanges avec tout le monde, y compris avec nos amis du Canada. Donc très clairement, il est hors de question d’humilier quiconque. Moi, j’ai bon espoir que la présidence arménienne, qui a saisi l’importance de cette construction du consensus, parvienne à faire en sorte que la minorité, à un moment, se rallie à la majorité et que le consensus advienne.

La minorité canadienne ?

Aujourd’hui, il y a une majorité d’Etats et de gouvernements qui ont signifié un soutien à la ministre des Affaires étrangères du Rwanda. A partir de là, il faut s’attacher à ce que, de cette majorité, nous passions à une majorité très large qui signifie le consensus parce que, encore une fois, la Francophonie ne doit pas à l’occasion du sommet se déchirer sur les décisions de désignation. Elle doit réfléchir à son projet pour dans deux ans, pour fêter le demi-centenaire de l’Organisation, et son projet tout simplement pour tous les Francophones du monde entier.

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