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Le grand invité Afrique

Affaire Audin: pour Sébastien Jumel, «c'est la fin d'un long mensonge d'Etat»

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« Pendant la guerre d’Algérie, la France a mis en place un système entraînant des actes de torture », dit en substance Emmanuel Macron dans une déclaration à Josette Audin, la veuve de Maurice Audin, le militant communiste disparu à Alger en juin 1957. C’est la première fois qu’un président français reconnaît que l’armée française a torturé en Algérie. Le député communiste Sébastien Jumel a assisté hier à la visite du président Macron au domicile de Josette Audin, près de Paris. Au micro de Christophe Boisbouvier, il raconte ce moment où le chef de l’Etat a demandé pardon à la veuve du militant anticolonialiste.

Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime.
Sébastien Jumel, député communiste de Seine-Maritime. AFP/Thomas Samson
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Quelle est votre première réaction à ce geste d’Emmanuel Macron ?

Sébastien Jumel : C’est un acte de la République, de celle qui après le combat d’une vie, celui de Joette Audin, de sa famille, vient dire que l’Etat français reconnaît la responsabilité dans l’utilisation de la torture à des fins politiques.

Alors voilà plusieurs années que vous vous battez aux côtés de la veuve de Maurice Audin pour la vérité. Racontez-nous comment s’est passé ce jeudi après-midi ?

Un moment d’émotion, un moment de proximité. Vous connaissez mes points de désaccord avec le président de la République, mais j’ai trouvé le président de la République dans la responsabilité qui est la sienne, à la hauteur de ce moment historique : proximité, écoute. Comme député, je représentais aujourd’hui la famille communiste, celle qui, depuis le premier jour au côté de la famille Audin, se bat pour que vérité soit faite. Et ça en lien avec Cédric Villani. On a assemblé un mathématicien avec un député communiste. Et au bout du compte, c’est un beau résumé de ce qu’était Maurice Audin.

Vous avez fait une belle équipe en fait avec le mathématicien Cédric Villani. Un communiste, un mathématicien côte à côte comme vous dites. Puis bien sûr, Josette Audin elle-même, 87 ans. Elle continue de se battre. Comment a-t-elle réagi quand Emmanuel Macron est rentré chez elle ?

Digne, grande dame, courageuse, d’une combattivité sans faille. Emue évidemment. Elle a remercié le président, qui en réponse lui a demandé pardon au nom de la France.

Il lui a dit ce mot-là « pardon » ?

Elle lui a dit : « Oui, merci ». Il lui a dit : « Il n’y a pas de merci. Et moi, je devrais au contraire vous demander pardon ».

Oui, c’est un moment fort ?

Oui, c’est un moment fort parce que dans cette histoire, depuis le 11 juin 1957, on a fabriqué des scénarios, on a inventé des histoires. Maurice Audin qui se serait échappé. François Hollande avait posé une première avancée. Mais là, le moment auquel je viens d’assister et auquel j’ai modestement contribué, c’est un moment historique important qui pose, je crois, les bases du socle d’une réconciliation apaisée.

Je crois que le président Macron a donné une lettre à Josette Audin ?

Il y a eu un moment où le président était en tête à tête, à deux, dans la pièce. Je n’ai pas assisté à cette scène, mais j’ai vu la déclaration officielle, telle qu’elle a été rédigée à plusieurs mains avec les historiens, dans l’esprit de Pierre Vidal-Naquet, qui avait porté cela à l’époque. Sylvie Thénault notamment a joué un rôle essentiel dans la rédaction d’un texte qui a fait consensus. Il n’y a pas une virgule à ajouter ou à retirer.

Vous parlez de l’historienne française, Sylvie Thénault ?

Tout à fait. Sylvie Thénault qui, à côté de l’avocate de la famille, joue un rôle déterminant sur ce dossier humain et historique, depuis le début.

L’Elysée reconnait aujourd’hui que « la France a mis en place pendant la guerre d’Algérie un système entraînant des actes de tortures ». Que pensez-vous de cette phrase ?

Je dis ce que ça veut dire, que pendant la guerre d’Algérie, on avait érigé la torture à des fins politiques comme système d’Etat. Et donc c’est une reconnaissance pleine et entière de la responsabilité de l’Etat. Même si évidemment, tous les militaires ne l’ont pas pratiquée. D’ailleurs il ne s’agit pas à travers ce dossier, je veux le dire, de jeter du vinaigre sur les plaies de l’histoire, mais au contraire, d’être en situation d’une lecture apaisée dans l’engagement de la responsabilité de la France qui avait y compris demandé à ses militaires de garder le silence après la guerre d’Algérie.

Est-ce à dire que la France reconnait qu’elle a commis à l’époque de la guerre d’Algérie un crime contre l’humanité ?

Ce n’est pas indiqué dans la déclaration. Il faudra laisser les historiens faire leur œuvre. Mais cette reconnaissance peut être pour les juristes et les historiens le socle de ce que vous annoncez là.

Est-ce que ce geste de Macron vous rappelle d’autres gestes dans l’histoire récente de la France ?

Comparaison n’est pas raison, mais lorsque Jacques Chirac, au Vel d’Hiv, dans un discours qui grandit la France, reconnait le rôle particulier de la police française sous le régime de Vichy, on est sur une autre période de l’histoire, mais dans la même profondeur historique.

Le discours de Jacques Chirac en juillet 1995 ?

Tout à fait. Ce vendredi 14 septembre, nous inaugurons à 16h15 à la Fête de l’Humanité, avec la famille, avec Pierre Mansat, le président du comité Maurice Audin, avec Cédric Villani, une « place Maurice Audin » à la Fête de l’Humanité.

Marine Le Pen affirme : « Maurice Audin a caché des terroristes du Front de libération nationale, le FLN, qui ont commis des attentats. Emmanuel Macron commet un acte de division en pensant flatter les communistes ». Comment réagissez-vous ?

Elle est vraiment au ras du caniveau comme toujours. Les communistes ne demandent pas à être flattés par Macron, ils le combattront sur tous les sujets qui sont d’actualité. Je pense que, quand les fondamentaux de la République sont en jeu, il n’y a pas de place pour la polémique stérile qui ne grandit pas la République.

C’est la fin d’un long mensonge d’Etat ?

C’est la fin d’un long mensonge d’Etat, mais c’est le début, avec l’ouverture des archives, l’appel aux témoignages, du travail des historiens qui va continuer à prospérer. C’est aussi ça la grandeur de la France. De Vidal-Naquet en passant par Henri Alleg jusqu’à Sylvie Thénault aujourd’hui, la République, c’est celle qui permet aussi à ses historiens, à ses intellectuels d’être dans un débat contradictoire sur des moments qui ont fait l’histoire de France.

Pensez-vous que d’autres secrets de la guerre d’Algérie vont être enfin levés ?

Je pense que l’ouverture des archives est de nature à apporter un éclairage complémentaire sur la vérité historique.

Puis, c’est peut-être aussi une victoire pour le Parti communiste aujourd’hui ?

Non. Moi, je pense qu’il n’y a pas d’appropriation à avoir. C’est d’abord le combat d’une femme, Josette Audin. C’est ensuite le combat d’une famille politique. Il y a suffisamment de coucous dans ce monde qui s’approprient le nid des autres. Moi, j’ai trop de respect pour Josette Audin, pour la famille. Oui, les communistes ont, avec la combattivité qu’on leur connait, avec la profondeur historique qu’on leur connait, contribué à cette vérité historique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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