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Le grand invité Afrique

Mandat de la Monusco: «Il faut réaffirmer la position morale de la mission», selon Jason Stearns

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A la fin du mois, le Conseil de sécurité des Nations unies doit renouveler le mandat de la Monusco, la mission de l’ONU en République démocratique du Congo. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, avait déjà clairement affirmé qu’il ne voulait pas d’une résolution « sapin de Noël », un mandat trop large, trop confus, alors que cette mission est critiquée pour son manque d’efficacité et voit son budget réduit. Pour le gouvernement congolais, c’est simple, il suffit de recentrer ce mandat sur la lutte contre les groupes armés, les opérations conjointes avec l’armée congolaise. Le groupe d’études sur le Congo a demandé son avis à des dizaines d'officiels onusiens au Congo et à New York, mais aussi à des personnalités congolaises. Le résultat, c’est un rapport qui sera rendu public dans la journée du 1er mars. Pour en parler, Jason Stearns, le directeur du GEC, un groupe de chercheurs rattachés à l’université de New York, répond aux questions de Sonia Rolley.

Des casques bleus de l'ONU en RDC.
Des casques bleus de l'ONU en RDC. AFP/Eduardo Soteras
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Pourquoi le renouvellement de ce mandat de la Mission de l'ONU au Congo (Monusco) est un enjeu aussi important ?

Jason Stearns : Je pense qu’il faut donner le contexte. Ce mandat historique arrive au point culminant du processus de paix en RDC. Il y a quinze ans, les élites congolaises ont signé un accord de paix en Afrique du Sud, sous l’égide des Nations unies qui a réunifié le pays, mis fin à la guerre, conduit à une nouvelle Constitution. Ce mandat actuel de la Monusco est important parce que ces deux acquis-là, la démocratie et la paix, sont en danger. Le statu quo n’est pas acceptable. On investit des milliards de dollars, chaque année la mission coûte plus que 1,2 milliard de dollars. Au-delà de cela, il y a l’aide humanitaire, il y a l’aide au développement. Après tout cela, le processus de paix, on a tellement investi, on se trouve à un point où il y a plus de déplacés aujourd’hui en RDC -4,5 millions de déplacés-, qu’il y avait en 2000, 2001, 2002 pendant la grande guerre du Congo.

On se trouve à un point où il y a 120 groupes armés à l’est du Congo, une prolifération dramatique des groupes armés à l’est du Congo. Il y a quelque chose qui ne marche pas. Pour moi, c’est ce contexte-là qu’il faut souligner par rapport à ce renouvellement du mandat de la Monusco. Ce n’est pas un renouvellement normal, où on peut dire « on fait le statu quo, on donne le même mandat que toujours ». C’est vraiment une urgence. Les mêmes institutions qui ont été créées en partie ou parrainées par les Nations unies il y a quinze ans, ces mêmes institutions sont maintenant en train d’être minées par le gouvernement. La paix, qui avait été difficilement obtenue par le comité international, par les Congolais eux-mêmes, est en train de s’effondrer en RDC. Il faut faire quelque chose. Il y a une urgence en RDC. Il est donc difficile pour nous d’imaginer une transformation fondamentale de ce conflit, si la transition démocratique est bâclée. Donc il faut que les Nations unies donnent une priorité justement sur ce processus électoral, sur ce processus démocratique.

Pour l’instant, la mission onusienne n’assure qu’un soutien logistique à la commission électorale. Cette mission est d’ailleurs très décriée par les autorités congolaises, le président Kabila en tête, y compris pour son soutien aux précédents processus électoraux. Est-ce qu’il n’y a pas un risque de blocage en poussant à cette résolution-là ?

La mission effectivement a une position assez difficile. Il est vrai qu’ils sont assez limités. Ils ont été marginalisés politiquement depuis maintenant dix ans. Donc on a ce paradoxe. C’est la mission la plus chère, la plus grande au monde de maintien de la paix, mais une mission aussi qui est fortement marginalisée dans le contexte politique en RDC. Néanmoins, je pense que c’est cela le défi actuel. Il faut surtout réaffirmer la position morale de la mission. Il faut que la nouvelle cheffe de la mission qui vient d’arriver, Leila Zerrougui, puisse articuler une vision audacieuse pour le pays. Il faut absolument avoir une stratégie globale avec les organisations régionales, avec la SADC [Communauté de développement d'Afrique australe], avec l’Union africaine notamment, mais aussi avec un soutien enthousiaste du Conseil de sécurité.

Justement on a vu récemment au Conseil de sécurité, une réunion consacrée au processus électoral en RDC à l’appel de plusieurs pays dont la France, les Etats-Unis, les Pays-Bas. Les points qui semblaient se dégager, c’est un appel à la mise en œuvre effective de l’Accord de la Saint-Sylvestre, l’accord politique, et du respect du calendrier électoral. Est-ce que cela suffirait, selon vous, comme contenu à cette résolution, à ce mandat ?

Non. Je pense que ce qui est important maintenant, c’est de pouvoir stipuler, dénoncer les conditions claires pour le soutien de la Monusco au processus électoral. La Monusco joue un rôle important. Ils vont voter un budget de 94 millions de dollars pour son soutien au processus électoral. Mais au-delà de cela, ils ont la logistique la plus puissante du pays. Ils ont une flotte aérienne beaucoup plus grande que n’importe quelle autre flotte aérienne en RDC. Sans avoir le soutien de la Monusco, il sera difficile pour le gouvernement d’organiser les élections. Donc il est important pour la mission d’énoncer les conditions claires pour son soutien au processus électoral et inclure les autorisations de manifestations de l’opposition qui sont interdites maintenant depuis 18 mois, la libération des prisonniers politiques, mettre fin au doublement controversé des partis politiques et rendre les institutions électorales plus impartiales. Si ces conditions ne sont pas réunies, le Conseil de sécurité, la Monusco, ne devraient pas soutenir ce processus, et devraient dès maintenant envoyer un message très clair au gouvernement congolais que si les élections sont tenues, mais ne sont pas crédibles, que la mission sera transformée.

Cela voudrait dire revoir le partenariat entre la Mission des Nations unies au Congo et le gouvernement congolais ? Parce qu’on sait que c’est aussi les élections de 2006, le fait que ce soit les premières élections libres, crédibles et indépendantes, qui ont permis en fait ce partenariat…

Absolument. Dès maintenant, même avant les élections, il faut revoir son partenariat, il faut imposer des conditions très claires par rapport au processus électoral, mais aussi par rapport aux opérations conjointes militaires à l’est du Congo. Et si les élections ne sont pas crédibles, si le gouvernement qui est élu n’est pas légitime, il faut couper carrément ce partenariat et il faut revoir la mission. Pour l’instant, il n’y a pas un grand avantage à ce partenariat entre la Monusco et les FARDC [Forces armées de la République du Congo]. Il faut le vraiment limiter, le conditionner assez fortement à des conditions des droits de l’homme, mais aussi à des conditions de planification conjointe et une stratégie de réduction de dommages contre les civils conjointe. Si ces conditions encore une fois ne sont pas réunies, là aussi je ne pense pas qu’il faut continuer ces coopérations. Et avec la PNC [Police nationale congolaise] aussi.

Je comprends bien que la mission dit qu’on ne peut pas avoir l’impact de réduire justement les abus de droits de l’homme qui sont commis par les services de sécurité, si on ne fait pas ce partenariat avec eux. Ils ont en partie raison. Mais ce même partenariat les met dans une position d’embarras. Ils ont des difficultés à dénoncer ces mêmes abus s’ils sont dans un partenariat avec ce même gouvernement. Et pour sortir de cet embarras, il est mieux de sortir de cette collaboration officielle avec le gouvernement si les conditions ne sont pas réunies.

Mais est-ce que vous n’êtes pas là dans des recommandations qui, dans le fond, ne seront jamais respectées par les autorités congolaises ou acceptées par les autorités congolaises, puisque le ministre des Affaires étrangères congolais a dit clairement au Conseil de sécurité qu’il refusait d’être conditionné pour les élections, et que le week-end dernier, on a vu en Conseil des ministres le gouvernement plaider pour un redimensionnement de la mission avec moins de troupes, plus spécialisée dans la lutte contre les groupes armés et justement qui favoriserait la brigade d’intervention rapide, celle qui est censée faire les opérations conjointes avec les FARDC…

C’est la seule chose d’ailleurs que le gouvernement aime de la Monusco, c’est cette brigade d’intervention. Il faut dire que cette brigade d’intervention, depuis la défaite du M23 [en novembre 2013], n’a pas eu de grand impact sur le terrain. Donc quand vous parlez aux gens au sein de la mission, ils sont très critiques envers cette même brigade d’intervention. Sur ce point de vue de performance, c’est une autre recommandation que nous faisons, il faut avoir des critères, un mécanisme d’évaluation de la performance de la mission, la performance des civils et des militaires de la mission. C’est impératif.

Comment expliquer que sur les théâtres de la répression dans l’ouest du pays, on trouve des cartouches, des douilles des forces de sécurité qui soient les mêmes que celles des groupes armés dans l’est ?

Il faut dire que la plupart des approvisionnements des groupes armés, même ceux qui se battent contre le gouvernement, proviennent des FARDC. A l’époque, le général Nkunda l’avait dit : « Les FARDC, c’est le logisticien de tous les groupes armés ». Les groupes armés achètent auprès des individus, des soldats FARDC - qui essaient de profiter un peu - leurs minutions et leurs armes. On se trouve dans une situation où les soldats, les centaines de soldats FARDC qui sont tués chaque année en RDC, souvent meurent des balles qui proviennent du stock gouvernemental.

A quoi cela sert-il d’avoir un embargo sur les armes à l’heure actuelle en RDC s’il n’y a pas vraiment de contrôle là-dessus ?

C’est une très bonne question. D’abord, il faut bien préciser que c'est un embargo sur les armes, parce que le gouvernement se plaint toujours qu’il y a un embargo contre le gouvernement : il n’y a pas d’embargo contre le gouvernement. Le gouvernement est autorisé à acheter auprès de n’importe qui ce qu’ils veulent acheter. La seule obligation pour les exportateurs d’armes envers le gouvernement, c’est de le notifier à l’ONU, ce qu’ils ne font pas souvent. Déjà à ne niveau-là, il y a un problème.

Mais ensuite, il y a bien sûr un embargo contre les groupes armés non gouvernementaux, les groupes armés illégaux qui existent en RDC. Alors à quoi sert l’embargo sur les armes contre ces groupes armés s’ils peuvent facilement acheter leurs stocks auprès du gouvernement ? Il faut dire qu’à cause du régime des sanctions, nous avons ce groupe d’experts des Nations unies qui font un rapport chaque année auprès du Conseil de sécurité, qui publient ensuite leur rapport sur la place publique. Ce qui est déjà très utile pour connaître plus par rapport à ce circuit d’armement, à ce circuit de soutien aux groupes armés.

Mais la question plus profonde, c’est comment restructurer l’armée congolaise pour qu’elle ne fasse pas partie du problème ? Pour revenir maintenant aux dynamiques d’insécurité en RDC, j’ai dit qu’il y a 120 groupes armés en RDC. Et il y a un groupe armé qui est beaucoup plus important que n’importe quel autre : ce sont les FARDC. Les FARDC jouent un rôle double dans le conflit en RDC. Elles sont là pour contrecarrer, pour se battre contre les autres groupes armés, mais en même temps, souvent elles font partie du problème. Elles commettent des abus contre les civils, mais elles soutiennent aussi les groupes armés. Le conflit à l’est de la RDC est devenu un fonds de commerce pour les élites politiques congolaises. Et c’est pour cela aussi que nous insistons tellement sur les élections. Ce qui a manqué dans tout ce processus de paix, c’est la redevabilité. Il faut rendre le gouvernement plus responsable, plus redevable au peuple.

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