Accéder au contenu principal
La semaine de

Loïk Le Floch-Prigent et «son» Afrique

Publié le :

L’on peut avoir, par endroits, un peu de mal à se reconnaître dans l’Afrique que dépeint dans son «—Carnet de route—» l’ancien patron de la compagnie Elf, mais sa sincérité n’est pas en cause. Le regard qu’il porte sur le continent est, parfois, juste déroutant. Surtout, ne pas se hasarder à rappeler de quel côté de l’histoire il se tenait, du temps «—béni—» de la Françafrique. «—Afrique, terminologie unique, réalités multiples—», tel était le titre d’un cours, que dispensait jadis un de mes professeurs, à l’Institut français de presse et des sciences de l’information et de la communication. Le reste, tout le reste est affaire de perspective.

Loik Le Floch-Prigent en Bretagne, près de Trébeurden.
Loik Le Floch-Prigent en Bretagne, près de Trébeurden. AFP/Fred Tanneau
Publicité

Xavier Besson : « Tous ces pays sont corrompus, et donc, les premiers corrompus sont les présidents de ces Etats ». Ainsi s’exprimait, cette semaine, sur RFI, Loïk Le Floch-Prigent. L’ancien patron de la compagnie Elf vient de publier un ouvrage, intitulé : « Carnets de route d’un Africain ». Il est en promotion. Que penser des bons points, et des moins bons, qu’il distribue ?

Il a parfaitement le droit de critiquer ses anciens amis, comme de distribuer à certains les compliments obséquieux qu’il lui plaît. Toute la question est de savoir d’où il parle. Car, monsieur Le Floch-Prigent n’est pas seulement   comme il est fort justement présenté sur le site de RFI   « un homme qui a été, il y a vingt-cinq ans, au cœur du plus grand système de corruption de l’histoire de la Françafrique ». Il est aussi la figure emblématique de cette Françafrique agissante. Son visage le plus connu, à ce jour. La compagnie Elf, avec les moyens considérables qui étaient les siens, a été, dès les indépendances, en première ligne dans tout ce que la Françafrique a perpétré contre les peuples africains. Ainsi, par exemple   et c’est un secret de polichinelle  , elle a été, en 1997, notamment, au cœur du financement de la guerre civile, au Congo-Brazzaville.

Elf, qui était, malgré tout, une enseigne des plus prestigieuses parmi les compagnies pétrolières françaises, à l’échelle planétaire…

Oui. Mais, de scandale en scandale, Elf s’est déshonorée. Au point que la marque a été, peu à peu, dégradée par les dirigeants de la compagnie eux-mêmes, qui ont fini par lui substituer « Total », l’autre enseigne du Groupe. Et le nom Elf, aujourd’hui, a presque disparu. Enterrer le nom, pour bien enterrer le déshonneur qui va avec. Cela s’est avéré payant, comme stratégie d’image.

Il faut rappeler que les plus gros scandales d’argent, ces trois dernières décennies, en France, étaient tous liés à Elf. Surtout ceux qui impliquaient, d’une manière ou d’une autre, l’Afrique. Elf était, en somme, le centre nerveux de la corruption. Et, tout le monde le sait, il n’y a pas de corrompu sans corrupteur. Alors, si le corrompu est un voleur, le corrupteur est le voleur en chef.

Voilà pourquoi il peut être insupportable, pour les Africains, d’entendre monsieur Le Floch-Prigent se vanter d’avoir participé à l’œuvre de corruption des dirigeants africains, en désignant qui en a reçu et qui a refusé. Cette posture de maître de la classe des corrompus et des corrupteurs, décidant de qui est honnête et de qui ne l’est pas, est proprement révoltante.

« Tous ces pays sont corrompus », dit-il ? Qui donc a introduit la corruption dans « ces pays » ? Pourquoi donc le Botswana gère-t-il avec autant de rigueur et de probité ses matières premières, son diamant, alors que tous ces pays d’Afrique centrale que cite monsieur Le Floch-Prigent le font si mal avec leur pétrole ? Au demeurant, ces corrupteurs aussi finissent toujours mal.

Vous ne faites tout de même pas allusion à l’emprisonnement de Loïk Le Floch-Prigent au Togo ?

Non, évidemment. Mais, pour bien situer l’analyse, ici, il faut préciser deux ou trois détails de contexte : lorsque Donald Trump, contre toute attente, est devenu président des Etats-Unis, et que sa légitimité était contestée, sa compétence questionnée, il lui a fallu trouver des personnalités autrement plus respectables que ce que l’on exige généralement d’un président des Etats-Unis. Ainsi du secrétaire d’Etat. Pour pourvoir ce poste, qui donc Donald Trump est-il allé chercher ? Rex Tillerson, le P.D-G. d’ExxonMobil. Et ExxonMobil, aux Etats-Unis, est exactement ce que Elf était naguère à la France. Loïk Le Floch-Prigent, une fois libéré des soucis judiciaires, a vendu ses services à gauche, à droite, en Afrique, conseillant, à l’occasion, tel ou tel chef d’Etat. Et, dans ses pérégrinations, il s’est retrouvé en détention, à Lomé, au Togo, dans un lieu où passent les brigands, les bandits de grand chemin, les assassins, les faux-monnayeurs et, accessoirement, des détenus politiques...

Et ça, c’est humiliant…

Vous ne pouvez mesurer l’humiliation que ce peut être d’imaginer l’ex-P.D-G. d’Elf, enfermé dans un tel endroit, à cohabiter avec les contrebandiers ouest-africains, les criminels et autres bandits de grand chemin du Togo, bref, de quoi vous ôter toute prétention pour dire aux chefs d’Etat africain qu’ils sont corrompus. Ou pour dire de tout un pays, de tout un peuple, qu’il est corrompu.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.