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Le grand invité Afrique

André Guichaoua, témoin-expert au procès de Pascal Simbikangwa

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« Les deux parties, aussi bien le Rwanda que la France tentent de regarder vers l'avenir en "déminant" ce qui a pu constituer des objets de tension ».

André Guichaoua, expert français sur le Rwanda.
André Guichaoua, expert français sur le Rwanda. rwasta.net
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C'est le premier procès jamais organisé en France sur le génocide au Rwanda. Après trois semaines d'audiences à la cour d'assises de Paris, le procès de l'ex-capitaine rwandais Pascal Simbikangwa entre ce lundi 24 février dans sa phase décisive avec l'audition de témoins directs. André Guichaoua enseigne la sociologie à l'université Paris I. Il est témoin-expert du bureau du procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Et naturellement, il a été l'un des tout premiers témoins entendus par la cour d'assises de Paris. Quel est l'enjeu de ce procès ? L'universitaire français répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Le procès Pascal Simbikangwa se déroule quelques semaines avant le vingtième anniversaire du génocide rwandais. Est-ce une simple coïncidence ?

André Guichaoua : Non, ce n’est pas une coïncidence. Il restait quelques pays qui n’avaient pas encore organisé de tels procès en Europe et la France comme l’Allemagne ont effectivement fixé des dates de telle manière à ce que les jugements soient rendus avant le vingtième anniversaire.

Il y a en effet le cas de cet ancien maire rwandais (de Muvumba dans le nord-est du Rwanda) qui a été condamné la semaine dernière par un tribunal allemand à 14 ans de prison pour complicité de génocide. Est-ce qu’on peut parler d’un choix politique des autorités françaises ?

Oui, mais la plupart des dossiers avaient déjà été transmis par le TPIR [Tribunal pénal international pour le Rwanda, ndlr]. Après, avec la visite du président Sarkozy, le processus s’est accéléré et maintenant on arrive à quelque 25 dossiers en cours d’instruction pour le génocide à Paris.

Et c’est sous la présidence Sarkozy et le ministère Kouchner qu’un pôle spécialisé a été créé au parquet ?

Oui, c’est important. Cela a permis de coordonner des enquêtes alors que jusque là, il était toujours très difficile pour des parquets éclatés de poursuivre de telles instructions.

Voulez-vous dire que derrière le volontarisme du parquet de Paris, il y a peut-être une volonté de réhabilitation après les polémiques sur le rôle de la France pendant cette période de génocide ?

Les deux parties, aussi bien le Rwanda que la France, tentent de regarder surtout vers l'avenir en « déminant » ce qui a pu constituer ces objets de tension. Maintenant dans ce débat, il est quand même clair que la position française est plus délicate que celle d’autres pays. La France est intervenue directement et militairement dans le conflit et ces modalités n’ont pas toujours été transparentes.

Vous pensez à l’opération militaire française Noroît au Rwanda entre 1990 et 1993 ?

Il y a eu une série d’interventions qui ont permis de sauver le régime du président Habyarimana un certain nombre de fois. La mission d’enquête parlementaire sur le Rwanda en 1998 a éclairé bien des zones d’ombre. Mais la France officielle n’a pas vraiment contribué à faire la lumière sur l’ensemble de son engagement. Et c’est cela qui chez nous reste très difficile. Que dire aussi de ce qui s’est passé en matière de vérité dans d’autres pays, comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou encore et surtout, l’Ouganda ? Aucune commission d’enquête ne s’est jamais tenue dans ces pays sur leur rôle dans le conflit rwandais. Et je pense que ces pays portent la responsabilité du maintien d’un certain nombre d’énigmes alors même qu’ils disposent assurément de bien des informations dont nous n’avons jamais eues d’échos.

Vous avez témoigné lors de l’une des premières audiences du procès Pascal Simbikangwa devant la cour d’assises de Paris. La semaine dernière, lors de ce procès, plusieurs témoins à charge se sont contredits dans leur déposition. Est-ce que cela ne risque pas de fragiliser l’accusation ?

Assurément, mais cela fait partie du lot commun de ces procès. Aucun procès que ce soit en Belgique, en Suisse, aux Pays-Bas ne s’est tenu exactement comme on l’imaginait. Les défaillances de témoins ont été extrêmement nombreuses.

Quand il n’y a pas de pièces matérielles et quand tout repose sur des témoignages, est-ce qu’on peut encore juger 20 ans après ?

C’est le fond du débat. Je donnerai un exemple très clair : le premier procès qui s’est tenu en Suisse en 1995 s’est traduit par une peine de prison à vie en première instance, et ensuite par une peine de 14 ans parce que, en appel, une grande part des témoignages a été invalidée. C’est un peu la règle fréquente de ce type de procès dans tous les pays qui en ont organisés.

Il y a une autre affaire rwandaise devant la justice française : celle de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana. Plusieurs proches du président Kagame sont toujours mis en examen. Est-ce que le gouvernement français n’a pas intérêt aujourd’hui à ce que cette affaire soit classée ?

Cela fait un certain temps que cette logique semble prévaloir. Et c’est certainement une des conditions pour pouvoir tourner la page d’un long contentieux. A l’heure actuelle, il semble très difficile d’aller vers une issue qui identifierait clairement les coupables. D’autant plus que d’un côté il n’y en a jamais qui ont été mis en avant et de l’autre, il y a au contraire un trop plein de témoins mais qui pour certains refusent de témoigner devant la justice ou pour les autres, qui sont éliminés dans des conditions qui troublent énormément les observateurs étrangers.

Vous pensez à l’assassinat de Patrick Karegeya en Afrique du Sud ?

Effectivement.

Est-ce qu’on se dirige vers un non-lieu ?

Je dirais simplement qu’au-delà de 20 ans, il devient effectivement de plus en plus difficile d’avoir des témoins, de trouver des personnes prêtes à oser raconter, à mettre en danger des proches, à déstabiliser des situations acquises. Plus fondamentalement, c’est vrai que si cette énigme avait été tranchée dans un sens ou dans l’autre, comme disait Carla del Ponte « l’histoire devra être réécrite ». Peut-être, il n’empêche que cela ne change rien aux responsabilités qui ont été clairement identifiées sur le déclenchement et la commission du génocide. Le génocide est l’aboutissement d’une stratégie politique mise en œuvre par des groupes hutus et extrémistes à partir du 7 et du 8 avril. Et d’autre part, cela ne change rien sur le fait que les deux parties, dès l’attentat commis, dès les premiers massacres commis, ne sont pas intervenues pour enrayer l’engrenage fatal. Et bien évidemment la communauté internationale à son niveau.

André Guichaoua, « Rwanda, de la guerre au génocide », éditions La Découverte, 2010. L'ouvrage a déjà été traduit en kinyarwanda et doit être publié cette année en anglais.

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