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Chine / Histoire

Massacre de Tiananmen: «Les bourreaux sont toujours au pouvoir»

C'était il y a 30 ans, dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, l'armée réprime les manifestations pro-démocratie sur la place Tiananmen à Pékin. Le pouvoir brise le mouvement initié par les étudiants et les intellectuels qui réclamaient la liberté et l'instauration d'un régime libéral sur le sol chinois. Récit de cet élan démocratique avorté.

En Chine, des centaines de milliers de personnes occupent la place Tiananmen au centre de Pékin le 17 mai 1989, devant le Monument aux héros du peuple et le mausolée de Mao.
En Chine, des centaines de milliers de personnes occupent la place Tiananmen au centre de Pékin le 17 mai 1989, devant le Monument aux héros du peuple et le mausolée de Mao. REUTERS/Ed Nachtrieb
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Tout bascule le 15 avril 1989 avec la mort de Hu Yaobang. C'est un homme politique, un réformateur, cadre du Parti communiste. Pour les étudiants pro-démocratie, il incarne l'espoir d'un changement au plus haut niveau de l'État. Sa disparition provoque un électrochoc.

Dès le lendemain, place Tiananmen, la jeunesse libérale déroule ses revendications : plus de liberté, le droit de manifester, d'avoir une presse libre et indépendante, la lutte contre la corruption des élites et l'organisation d'élections libres et transparentes.

Au début, ils sont quelques centaines, mais la foule grossit chaque jour. Le 27 avril, plus d'un million de personnes se rassemblent de manière pacifique devant le Palais du peuple. Le pouvoir ne veut rien entendre, alors les étudiants s'organisent, entament une grève de la faim, font campagne auprès des médias étrangers.

Une provocation intolérable pour les autorités, qui choisissent la ligne dure. Le 20 mai, le numéro un chinois Deng Xiaoping décrète la loi martiale. L'armée va marcher sur Tiananmen et dans la nuit du 3 au 4 juin, les chars enfoncent les barricades étudiantes, des rafales de mitrailleuses lourdes retentissent dans le centre de Pékin.

Il y aura des centaines, des milliers de victimes, jusqu'à 10 000 morts selon certaines sources. Aujourd'hui, la propagande officielle estime que ces événements ont immunisé la Chine contre l'agitation politique.

Une répression de plus en plus forte

Jusqu’à nos jours, le massacre est passé sous silence par le régime communiste. Ce 4 juin 2019 est un jour comme un autre en Chine. Rien ne le rappellera à Pékin.

Même l’Occident a fini par passer l’éponge sur ce crime d’État, regrette l’écrivain dissident Liao Yiwu, qui a passé quatre ans en prison pour avoir dénoncé le massacre dans un poème. Aujourd’hui, il met en garde contre une dictature chinoise qui poursuit sa répression avec un zèle redoublé : « Maintenant, la Chine s’est transformée en un empire de haute technologie. D’une part, c’est une technologie qui a été fournie, consciemment ou pas, par l’Occident. D’autre part, les Chinois l’ont volée grâce à leur espionnage industriel. Aujourd’hui, regardez ce qui se passe dans la région autonome du Xinjiang. Il n’y a pas seulement les un à deux millions d’Ouïghours qui sont détenus dans des camps de rééducation, mais c’est la région entière qui vit sous haute surveillance. Le Xinjiang sert aujourd’hui de laboratoire. Un laboratoire de l’intelligence artificielle qui pourrait un jour être appliqué très facilement à l’ensemble du pays. Dorénavant, pour surveiller ses citoyens, l’État n’a plus besoin de déployer autant d’énergie qu’autrefois, grâce à l’intelligence artificielle. Un exemple : le 9 décembre dernier, ils ont arrêté le pasteur Wang Yi, mais pas seulement lui. En une seule nuit, ils ont mis la main sur une centaine de croyants, des paroissiens de Wang Yi. Ils ont tous été raflés en une nuit. Cette recette d’une surveillance totale, le président Xi Jinping voudrait l’appliquer au reste du monde ».

Un véhicule blindé écrase des tentes installées sur la place Tiananmen par des manifestants pro-démocratie, dans la nuit du 3 au 4 juin 1989.
Un véhicule blindé écrase des tentes installées sur la place Tiananmen par des manifestants pro-démocratie, dans la nuit du 3 au 4 juin 1989. REUTERS / Stringer

À lire aussi : Chine: 30 ans de Tiananmen, un anniversaire sous haute surveillance

« Travailleur du souvenir »

Le nombre exact de morts reste à ce jour inconnu, et les « bourreaux sont toujours au pouvoir », dit le dissident Liao Yiwu. Comme d’autres militants pro-démocratie, l’écrivain a payé le prix fort pour son engagement : torturé, emprisonné, contraint au silence, il a finalement pu s’exiler en Allemagne. Aujourd’hui, il se qualifie de « travailleur du souvenir ». Il a expliqué à RFI pourquoi le massacre ne doit pas tomber dans l’oubli :

« Le massacre de Tiananmen a été le point de départ de toute l’évolution de la Chine de ces 30 années passées. C’est pour cela que c’est important de revenir sur ces événements. On doit se rappeler qu’à l’époque, le général Wang Zhen, un haut fonctionnaire, avait dit à Deng Xiaoping ceci : "Tuer 200 000 personnes nous apportera 20 ans de stabilité". Je pense qu’il avait bien compris le système et il faut que nous aussi on le comprenne. Ensuite, le marché qui était passé entre la population et le gouvernement chinois c’était : "Vous pouvez faire tout ce que vous voulez y compris être capitaliste et faire fortune, mais vous n’avez pas le droit à la parole, ni des droits de l’homme ni de la démocratie". Au fond, cela revenait à dire : "Nous avons ouvert le feu et c’était justifiée, il fallait la répression pour maintenir notre système en place". D’ailleurs, le gouvernement continue à le penser : sans le massacre de Tiananmen, il n’y aurait pas la Chine d’aujourd’hui, avec sa prospérité, ses succès économiques, etc. En conclusion : l’Occident n’était pas capable d’exporter sa démocratie vers la Chine, mais maintenant la Chine risque d’exporter son système totalitaire vers le reste du monde ».

Une telle mobilisation est-elle encore possible ?

En 1989, la jeunesse chinoise rêvait de liberté. Une Chine plus démocratique et plus ouverte semblait à portée de main jusqu’à cette nuit du 3 au 4 juin. Aujourd’hui, 30 ans après le massacre, un tel soulèvement de la jeunesse serait-il encore possible sous le régime autoritaire et répressif de Xi Jinping ? Wu’er Kaixi, à l’époque l’un des grands leaders sur la place Tiananmen, aujourd'hui exilé à Taiwan (et de passage à Paris, rencontré par RFI), s’efforce de rester optimiste.

« Nous avions de l’espoir en 1989, mais cela a fini par un massacre, dit-il. Ces 30 dernières années, j’ai dû vivre en exil, pourtant je ne veux pas perdre l’espoir. Toutefois, il serait extrêmement difficile pour la jeune génération chinoise d’aujourd’hui de se mobiliser pour occuper à nouveau la place Tiananmen, car entre-temps le gouvernement chinois est devenu l’un des régimes les plus totalitaires et les plus brutaux que le monde n’ait jamais connus. Moi, j’accuse le monde et surtout l’Occident d’avoir aidé la Chine à devenir ce régime-là. Donc, aujourd’hui, on peut se poser la question si le peuple chinois se soulèvera à nouveau, mais tout en sachant que ça sera beaucoup plus difficile. L’Occident en est en partie coupable et devrait pousser la Chine sur la voie démocratique. »

« Or, ces 30 dernières années, la communauté internationale a traité la Chine comme s’il s’agissait d’un gouvernement responsable. À l’époque, on croyait que notre adversaire, l’État, se résoudrait à prendre le bon chemin, on voulait le croire. Mais malheureusement, le régime a choisi la pire de toutes les options pour la Chine. Aujourd’hui, le monde entier voit les conséquences que cela a eu. »

Un contrat sous-jacent avec la société

Lun Zhang était professeur en 1989 et membre d'un mouvement démocratique. Pendant l'occupation de la place, il s'occupa de la sécurité et veilla à ce que le mouvement reste pacifique. Hors de Pékin le 3 juin, apprenant le lendemain le début de la répression, il a pu fuir et vit depuis trente ans en France. Il a raconté son histoire au journaliste Adrien Gombeaud et au dessinateur Améziane qui en ont tiré une bande dessinée : Tiananmen 1989, nos espoirs brisés. Il explique à RFI en quoi ces événements de Tiananmen permettent de comprendre la Chine contemporaine :

« Je pense que la Chine, d’une certaine manière, est toujours dans cette post-phase de 1989. Et donc une fois que la répression est faite, pour les autorités, la seule issue est de continuer à faire des réformes, acheter un peu la paix, un contrat sous-jacent avec la société. "Tu ne me touches pas, je vous laisse plus de liberté maintenant, et vous enrichir, et tout ça...". Et en même temps, à cause de 1989, avec cette répression, du coup il n’y a plus de recul possible aux yeux des dirigeants, du coup le champ politique est fermé. C’est une contradiction presque unique dans l’Histoire. C’est d’un côté cette Chine très puissante qui montre sa puissance, de plus en plus agressive, et de l’autre côté, cette Chine qui montre une image très faible. C’est paradoxal, je pense que la racine est en 1989. Donc, pour résoudre ce problème, pour la paix en Chine et aussi dans le monde, plus d’États de droit, plus de démocratie, plus de justice sociale, plus de liberté d’expression seront des moyens incontournables pour l’avenir ».

À lire aussi : Tiananmen: la mémoire volée du 35 mai

Un manifestant fait le signe de la victoire alors que des ouvriers recouvrent le portrait géant du président Mao sur la Porte de la Paix Céleste sur la place Tiananmen à Pékin,  le 23 mai 1989.
Un manifestant fait le signe de la victoire alors que des ouvriers recouvrent le portrait géant du président Mao sur la Porte de la Paix Céleste sur la place Tiananmen à Pékin, le 23 mai 1989. REUTERS/Ed Nachtrieb

Un vent de liberté soufflait alors sur la Chine

Au printemps 1989, la jeunesse chinoise croit que la démocratie est possible. Sur la place Tiananmen, à deux pas du centre de pouvoir communiste, plus d'un million d'étudiants érigent une statue de la liberté, soutenus par la population de la capitale chinoise.

Plein d’espoir, Cai Chonguo, jeune doctorant en philosophie dans la ville de Wuhan, à 1 800 km de Pékin, rejoint le mouvement et devient témoin de la répression sanglante qui en suit. Trente ans après, en exil en France, il revient sur ces événements et l'optimisme qui régnait en ce printemps pékinois.

« Après le massacre, on parlait d’étudiants qui rêvaient de démocratie et qui voulaient renverser le régime communiste. Ce n’était pas vrai. La majorité pensait à des réformes. On croyait que finalement le parti, les dirigeants, l’État nous écouteraient tôt ou tard. On voulait une réforme politique, pas la révolution. En 1989, on était plus ou moins optimistes parce qu’il y avait une réforme politique, parce qu’il y avait une grande réforme économique. À partir de 1978-1979, Deng Xiaoping abandonnait la politique de Mao Zedong, il a ouvert la Chine, il a introduit les capitaux étrangers, il a autorisé les Chinois à créer leur propre entreprise. Donc, nous les étudiants, nous disions que Deng Xiaoping, le dirigeant communiste a déjà fait des réformes économiques radicales et que donc il pouvait aussi faire des réformes politiques. Finalement, il a tiré sur eux. C’est un peu comme le grand-père qui tuait ses petits-enfants. »

Un groupe de journalistes soutient la manifestation en faveur de la démocratie sur la place Tiananmen, à Pékin, en Chine, le 17 mai 1989.
Un groupe de journalistes soutient la manifestation en faveur de la démocratie sur la place Tiananmen, à Pékin, en Chine, le 17 mai 1989. REUTERS/Carl Ho/File Photo

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