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Attentats, catastrophes: bien des pays font confiance au «cell broadcast»

Lundi 7 août a été publié un rapport d’information sénatorial qui met à mal le dispositif français d’alerte attentat. Le texte pointe notamment du doigt les faiblesses de l’application lancée il y a plus d’un an pour prévenir les citoyens d’une menace imminente. Confrontés également au risque terroriste -ou à des catastrophes naturelles à répétition-, d’autres pays ont opté pour des systèmes d’alerte sur mobile plus simples, mais qui n’en sont pas moins efficaces. Bien au contraire.

Un agent du gouvernement indonésien contrôle la réception d'un SMS d'alerte au tsunami, à Jakarta, le 9 septembre 2014.
Un agent du gouvernement indonésien contrôle la réception d'un SMS d'alerte au tsunami, à Jakarta, le 9 septembre 2014. ADEK BERRY / AFP
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Quel observateur averti des politiques de sécurité publique aurait pu être surpris des conclusions du rapport sénatorial publié lundi 7 août ? Le texte, rédigé par le sénateur Les Républicains de la Sarthe Jean-Pierre Vogel démontre avec force d’exemples, les lacunes du « Système d’alerte et d’information des populations » (SAIP), et particulièrement l’inefficacité de son application, lancée en grande pompe à la veille de l’Euro de football en France il y a un peu plus d’un an.

Le rapport évoque « un choix contestable de recourir à l’application », dont les multiples inconvénients « conduisent à douter de la pertinence [de cette technologie] » : la nécessité de télécharger l’application (900 000 téléchargements alors qu’au moins 5 millions auraient été nécessaires pour la rendre efficace), une ergonomie à revoir et surtout des dysfonctionnements, soit techniques (lors de l’attentat de Nice), soit liés à un emploi trop « timide » de ce nouveau canal d’alerte par les autorités (lors de l’attaque des Champs-Elysées).

 

 

Le sénateur Jean-Pierre Vogel regrette ainsi qu’en matière d’alerte terroriste, l’option de l’application l’ait emporté sur celle de la « diffusion cellulaire » (ou « cell broadcast », pour l'expression anglo-saxonne plus répandue), c’est-à-dire l’envoi d’un message standard aux membres inscrits à ce service, dans un espace défini et surtout quel que soit le téléphone que l’on possède.

Il est vrai que sans être unique au monde, la décision de recourir à une application pour smartphone plutôt qu’à un système généralisé de messages pour tous types de terminaux a bien peu d’équivalents.

 → A (RE)LIRE : Système d'alerte attentat: l'efficacité de l'application mise en cause

Le lancement, début juin, de l’application SAIP avait suscité par exemple un grand intérêt des médias britanniques, au moment où des bataillons de supporters anglais, gallois ou nord-irlandais s’apprêtaient à traverser la Manche pour rejoindre les stades français. A cette époque, le Royaume-Uni n’avait certes pas encore connu la vague d’attentats du printemps 2017. Mais le pays était déjà en alerte maximale. Or ici, point d’application d’alerte mais plutôt un guide de « bonnes pratiques » pour smartphone en cas d’attaque terroriste, baptisé CitizenAid.

Rien de commun avec l’application lancée à New York dans le sillage des attentats parisiens de novembre 2015, et déjà présente dans d'autres métropoles américaines. See something send something permet à n’importe quel New-Yorkais de rapporter aux autorités un comportement suspect par l’envoi de messages ou de photos. Avec tous les abus que cela suggère.

 

 

Il faut en fait aller en Allemagne pour trouver une initiative semblable à la française, avec Katwarn, déployée depuis 2010, ou en Israël - quoique dans un contexte sécuritaire différent - avec l'application Home Front Command (iOref), qui est venue prêter main forte à la multitude d’outils développés au sein de la société civile pour prévenir, en plus de sirènes, les Israéliens de menaces sécuritaires, notamment durant la guerre à Gaza en 2014. Basée sur la géolocalisation des utilisateurs, l’application lancée l’année dernière envoie des messages au moindre danger (chute de roquettes, risque d’attentat, tremblement de terre) et dispense des consignes de sécurité.

Mais derrière cette application développée par l’armée israélienne, il y a le savoir-faire d’une entreprise spécialisée… dans la diffusion cellulaire, Evigilo. La startup israélienne a fait ses preuves dans le pays depuis 2009 avec cette technologie d’alerte pour le gouvernement et les services de secours, ainsi qu’au Chili, depuis 2012, dans la prévention des risques liés aux tremblements de terres.

Le « cell broadcast », une technologie éprouvée

Car en réalité – et comme le souligne à nouveau le rapport sénatorial – nombreux sont les pays à se reposer sur le système d’alerte par envoi de messages standards directement vers les téléphones des personnes menacées. C'est le cas de la Corée du Sud, de Taïwan, des Pays-Bas, du Japon, de la Lithuanie ou encore des Etats-Unis.

Dans une interview au journal Libération, au moment du lancement du SAIP, il y a un an, « l’hactiviste » français et militant du logiciel libre Gaël Musquet déplorait déjà que la France ne se soit pas inscrite dans cette voie : « Il faut [qu’elle] respecte les standards internationaux de la diffusion cellulaire », expliquait-il alors.

Aujourd’hui, celui qui a fondé l’association Hand (Hackers Against Natural Disasters) spécialisée dans la prévention des risques, n’est en rien surpris de la polémique autour de l’application SAIP mais déplore avec toujours autant de vigueur la non-prise en compte du « cell broadcast » en France : « C’est un protocole inventé à Sophia Antipolis et testé à Paris dès 1997 ! Et on est encore en 2017 à se demander si on va le déployer pour alerter nos concitoyens. »

De plus cette technologie a un gros avantage, elle ne connaît aucun obstacle technique : « Vous êtes dans une zone sensible avec un téléphone mais vous n’êtes pas citoyen du pays, vous n’avez même pas de carte Sim. Votre téléphone va quand même capter ce signal – ce n’est ni plus ni moins que de la FM ou de la TNT, c’est un signal numérique – qui est en plus prioritaire. L’antenne relais va diffuser sur ordre de l’opérateur, en lien avec les autorités, ce signal [d’alerte] et le téléphone, qui a des messages préenregistrés, peut même traduire ce signal dans votre langue. »

De l'ouragan Sandy à la traque d'un suspect

En octobre 2012, l’ouragan Sandy frappe de plein fouet la côte est américaine. Dans les Etats de Virginie, du Maryland ou encore de New York, les habitants reçoivent des messages du type « réfugiez-vous à l’intérieur immédiatement et restez-y. NE CONDUISEZ PAS. Appelez le 911 qu’en cas d’urgence ».

 

Exemple de message reçu par diffusion cellulaire lors du passage de l'ouragan Sandy.
Exemple de message reçu par diffusion cellulaire lors du passage de l'ouragan Sandy. FEMA

 

Outre-Atlantique, ce type d’alerte par diffusion cellulaire concerne en fait trois types d’urgences : celles concernant le président lui-même, les disparitions (alerte Amber) et donc, l’imminence d’un danger, liée à une catastrophe naturelle ou un risque terroriste. Ainsi le système d’alerte a été employé pour assister les forces de l’ordre après les attentats de Boston, ou encore, de façon pro-active, pour rechercher Ahmad Khan Rahami, suspect des attentats à Manhattan et dans le New Jersey, en septembre dernier.

 

 

Pour les partisans du « cell broadcast », l’utilité de la technologie n’est donc plus à prouver. Reste un frein, avancé par le gouvernement français pour justifier sa préférence pour l'application, celui du coût de la mise aux normes pour les opérateurs.

« Ce qui est dramatique dans cette histoire, tempête Gaël Musquet, c’est que les opérateurs n’ont pas à rechigner. Ils ont une mission de service public en cas d’urgence. Quand vous êtes opérateur téléphonique en France, vous êtes obligé de "router" [transférer] les appels d’urgence, le 18 ou encore le 112. C’est un service public que personne ne remettrait en cause aujourd’hui. C’est la même chose. »

« Certes, cette technologie présenterait un coût budgétaire pour l’Etat, qui aurait dû indemniser les opérateurs des coûts d’adaptation du système et des coûts de fonctionnement, admet de son côté Jean-Pierrre Vogel dans son rapport. A titre illustratif, aux Pays-Bas, 25 millions d’euros ont été dépensés depuis 2012 pour un parc de 17 millions d’abonnés répartis entre trois opérateurs. Néanmoins, les bénéfices (rapidité, robustesse) auraient largement excédé ces coûts. »

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