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France / Environnement

L'«Energy Observer», Solar Impulse des mers, baptisé à Paris

Le premier navire à hydrogène au monde a été baptisé ce jeudi 6 juillet sur les quais de Seine, à Paris, par Nicolas Hulot, ministre de la Transition énergétique et parrain du projet. La semaine prochaine, il s’élancera pour un premier tour de France, début d'une aventure inédite : six années à relier les continents dans le double objectif de sensibiliser à un futur plus respirable et d’expérimenter de nouvelles technologies énergétiques. A Saint-Malo, Victorien Erussard, le capitaine, et Jérôme Delafosse, le chef de l'expédition nous ont raconté la genèse de cette aventure.

Victorien Erussard et Jérôme Delafosse, sur le pont de leur laboratoire flottant, le 4 juillet 2017 à Paris.
Victorien Erussard et Jérôme Delafosse, sur le pont de leur laboratoire flottant, le 4 juillet 2017 à Paris. Eric FEFERBERG / AFP
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Hasard de l'agenda politique ? Le nouveau ministre de la Transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, présentait son plan Climat ce matin en conférence de presse. Cinq heures plus tard, à quelques centaines de mètres, sur les bords de Seine, l’Energy Observer, ambassade flottante d’un avenir plus propre, était officiellement baptisé… par le même Nicolas Hulot, parrain de longue date du projet. « Ce projet arrive à réconcilier écologie, technologie et économie. On entre enfin dans la modernité. La révolution énergétique est en cours », a-t-il déclaré.

Toute la semaine, l'Energy Observer restera à quai à Paris et prendra le large le 15 juillet, pour un premier tour de l'Hexagone : Boulogne-sur-Mer, Saint-Malo, Cherbourg, Nantes, Bordeaux... jusqu'à Monaco en décembre prochain. Puis le tour de la Méditerranée en 2018, l'Europe du Nord en 2019, l'Amérique en 2020, l'Océanie et l'Asie en 2021 et l'Afrique en 2022. 101 escales dans 50 pays.

Calypso écologique à l'hydrogène

Retour en arrière, le 7 avril dernier, à quelques encablures de la cité corsaire de Saint-Malo. Dans la cale où la bête sommeille encore, les étraves bleues et blanches reçoivent les derniers coups de chiffon. Victorien Erussard, 37 ans, nous reçoit souriant dans son pull bleu marine. Son visage rond et jovial est légèrement sillonné par les effets des éléments naturels, ceux-là même qu'il souhaite domestiquer pour alimenter son jouet hi-tech. C'est dans son esprit qu'a germé ce projet fou de bateau à hydrogène.

Officier polyvalent de marine marchande, il a enquillé les courses au large et les médailles pendant dix ans, et passé une année au pôle Sud. « Quand je me lève le matin, je suis déjà à fond, j'ai une chance inouïe », s'enthousiasme-t-il, les yeux bleus et brillants. Cette merveille esthétique et technologique a été réalisée avec la participation de dizaines d'ingénieurs et est déjà surnommé le Solar Impulse des mers. « Bertrand Piccard et André Borschberg sont une source d'inspiration, reconnaît Victorien Erussard. Ils participent d'ailleurs à l'aventure ».

Du navire, seule la coque est d'époque. Construite au Canada en 1983 sous l'oeil avisé du skipper Mike Birch, elle forme alors le plus grand catamaran du monde. L'Enza New Zealand triomphe en 1994, avec un record autour du monde, Sir Peter Blake à la barre. Le coureur au large Frédéric Dahirel, deuxième sur la transat Jacques-Vabre en 2007 avec Victorien Erussard, récupère l'esquif en 2013. Il souhaite en faire un bateau électro-éolien. Sur les conseils de Hulot, Victorien Erussard souhaite aller plus loin et tenter la mixité énergétique totale. Renommé Energy Observer, la légende est prête pour une énième vie.

Comment fonctionne l'Energy Observer ? C'est une sorte de réseau électrique intelligent (smart grid) flottant. « Le coeur du projet, c'est l'hydrogène », pose Victorien Erussard. L'hydrogène est la molécule la plus présente dans l'Univers, mais on ne la trouve pas à l'état naturel. Elle compose notamment le soleil, le corps humain, ou encore l'eau. Dans le cas de l'eau, l'extraction de cette molécule est non polluante. L'hydrogène est de plus en plus considéré comme l'énergie verte de demain.

« Il sera produit et stocké à bord », poursuit Victorien Erussard. L'eau de mer passe d'abord dans le dessalinisateur, puis dans l'électrolyseur qui décompose la molécule d'eau : l'oxygène est relâché ; le dihydrogène, lui, est compressé et conservé sous forme gazeuse dans des réservoirs (62 kg au total). L'énergie est disponible ! Elle alimente la pile à combustible, qui chauffe pour moitié le navire et fournit avec l'autre deux moteurs électriques à très haut rendement. Oui mais... pour extraire et cette énergie hydrogénique à bord, il faut déjà de l'énergie en amont. C'est là qu'intervient un véritable arsenal de moteurs propres : 130 m² de panneaux photovoltaïques, deux éoliennes, une aile de traction géante (kite) d'Yves Parlier, des batteries de 400 V. Pour résumer, soleil et vent approvisionnent classiquement les moteurs électriques. Si ces facteurs météo viennent à manquer, les moteurs font appel à l'hydrogène stocké. Ils sont aussi réversibles en hydrogénérateurs lorsque le bateau avance avec l'aile de traction. Bref, un circuit complet auto-alimenté, qui pallie à l'intermittence des énergies renouvelables. L'objectif : démontrer qu'il est possible de naviguer en totale autonomie et sans recours aux énergies fossiles, « sur un bateau fiable ».

Centres de recherches spécialisés

Pour faire rentrer tout cela dans 31 mètres sur 13, chaque technologie a été conçue sur mesure. Par exemple, les éoliennes axiales, situées à l'arrière, ont été à la fois allégées et consolidées pour leur permettre d'amortir les vibrations de la houle. Les panneaux solaires, eux, sont bifacials : une face orientée vers le soleil, l'autre vers la flotte pour capter la réverbération des rayons. Rien ne se perd ! Ces panneaux, anti-dérapants et disposés le long du toit central, auront 23% de rendement, « l'équivalent des ailes de Solar Impulse », compare Victorien Erussard. Côté électronique, un logiciel de routage maritime a été développé pour optimiser le plan de route en fonction à la fois des conditions météo (vent, vagues, courants...) et de la production variable d'énergie à bord (ensoleillement, niveau d'hydrogène, distance restante...).

Ce chef d'oeuvre de science résulte du travail de différents centres de recherches spécialisés: l'Icam de Nantes, par exemple, s'est chargée des éoliennes. Le Laboratoire d'innovations pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux du Commissariat à l'énergie atomique (CEA-Liten), situé à Grenoble et Chambéry, a joué un rôle majeur en concevant la pile à combustible sur mesure. Florence Lambert, la directrice de ce pôle scientifique européen d'excellence, est la marraine de l'Energy Observer.

L'«Energy Observer» engage un défi scientifique : éprouver des technologies énergétiques nouvelles en milieu hostile.
L'«Energy Observer» engage un défi scientifique : éprouver des technologies énergétiques nouvelles en milieu hostile. energy-observer

Pour parler gros sous, le multicoque reconfiguré pèse cinq millions d'euros, dont la moitié dépensée en recherche et développement. « En récupérant les flotteurs, on a économisé trois millions d'euros », précise Victorien Erussard. Une somme replacée sur les innovations. « Et symboliquement, c'est quand même mieux de recycler le composite. » Le chantier a démarré en 2015 et mobilise près de soixante personnes, ingénieurs, architectes, techniciens, et autres orfèvres des systèmes de navigations. Au final, c'est bateau assez made in France, une touche tricolore que revendique Victorien Erussard, et qui suscite grand intérêt à l'étranger, vu l'engouement de la presse internationale. Le coût total du projet est évalué à 30 millions d'euros.

Une odyssée relatée en temps réel

La mission première sera d’aller à la rencontre des gens qui œuvrent sur tous les continents à la préservation de l’environnement (îles autonomes, écosystèmes menacés, sites classés). Il s'agira de partager les savoirs et d'échanger avec les populations locales sur les innovations. Un exemple : San Francisco, qui vise zéro déchets et est reliée à Los Angeles par une autoroute de l'hydrogène.

C'est là que Jérôme Delafosse entre en scène. Le parcours du chef d'expédition est impressionnant : plongeur et scaphandrier (20 000 heures au compteur), documentariste, il a notamment pris part aux fouilles du palais englouti de Cléopâtre, dans le port d'Alexandrie, effectué une plongée en sous-marin à 1 000 mètres, etc. Joint par téléphone, il déroule, avec le même entrain que son complice : « En vingt ans, j'ai pu mesurer de près l'impact incontestable de l'homme sur l'environnement. Nous en sommes tous responsables. On a beaucoup constaté, dénoncé. Je l'ai fait moi-même dans un film, 'Les Requins de la colère'. Il est maintenant temps de passer à l'action. » Si beaucoup ne l'ont pas attendu pour le faire, l'Energy Observer pose un jalon supplémentaire à la fois scientifiquement crédible et grand public, à l'image d'un Tara Océan.

Le navire veut être un média digital de ce que vivra l'équipage au quotidien, les réussites et les échecs du bateau, les escales, et globalement la vie de l'Homme sur Terre là où l'on ne l'entend que trop rarement. A bord, Jérôme sera donc le producteur de contenus audiovisuels : une visite en réalité virtuelle sera possible, peut-être même en direct si la cabine est connectée au haut débit. Le fil rouge restera cependant la réalisation de huit films de 52 minutes, déjà « vendus à un gros groupe médiatique français ». Parmi les thèmes qui seront abordés : les énergies d'avenir, l'agriculture raisonnée, l'habitat durable, l'économie sociale et solidaire, les réserves de biosphère, les fonds marins...

L'épopée pourra être suivie en temps réel grâce aux réseaux sociaux. La communication au sens large jouera un rôle central dans l'aventure. Elle compte d'ailleurs pour un million d'euros par an sur les quatre consacrés aux frais de fonctionnement. « On se positionne comme des explorateurs qui vont chercher des solutions pour les connecter aux problèmes », conclut Jérôme. Explorateur du monde énergétique de demain et ambassadeur d'un monde plus propre.

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