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Gaza

A Gaza, la misère conduit en prison

Près d’un an après le début de la « Grande marche du retour », un mouvement de protestation réclamant la levée du blocus imposé à la bande de Gaza, la situation économique de l’enclave palestinienne n’a fait que se détériorer. Le blocus n’a pas été allégé et l’Autorité palestinienne a réduit ses paiements en faveur de Gaza pour forcer le Hamas au pouvoir dans cette enclave à céder le pouvoir. Désormais, de plus en plus de Gazaouis sont incapables de payer leurs dettes et se retrouvent incarcérés.

Cent dix-sept personnes sont actuellement détenues dans la prison du camp de réfugiés d’Al Shati, au nord de la ville de Gaza, qui ne comptent que trois cellules.
Cent dix-sept personnes sont actuellement détenues dans la prison du camp de réfugiés d’Al Shati, au nord de la ville de Gaza, qui ne comptent que trois cellules. RFI/Guilhem Delteil
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De notre envoyé spécial à Gaza, Guilhem Delteil

Au nord de la ville de Gaza, le camp de réfugiés d’Al Shati est l’un des plus peuplés de l’enclave palestinienne : il compte plus de 85 000 habitants. A la sortie du camp, le poste de police n’est pas très grand. Mais au fond de la cour, dans un bâtiment d’un seul étage, 117 hommes sont détenus : des délinquants de droit commun, mais aussi beaucoup de particuliers incapables de payer leurs dettes.

C’est le cas de Moustapha Ahmad. « Mon problème est que j’ai acheté un appartement en empruntant une grosse somme d’argent. Et j’ai fait des travaux ensuite », explique ce père de trois enfants. A 35 ans, il s’est retrouvé en défaut de paiement. Pourtant, il fait partie des privilégiés à Gaza : Moustapha Ahmad a encore un travail et un salaire supérieur à la moyenne de Gaza « Je gagne 1 000 dollars par mois, mais la banque en prélève 45 ou 50 %» Incarcéré deux jours plus tôt, ce trentenaire espère pouvoir sortir rapidement. Il attend le versement de son salaire pour être en mesure de rembourser une nouvelle tranche de son emprunt : il doit encore 2 000 dollars à ses créanciers.

« Même mes enfants n’ont pas de travail »

Mahmoud Al Aashi, lui, sait qu’il doit prendre son mal en patience. Il va passer 91 jours en prison. Cet ancien homme d’affaires possédait une usine de vêtements, mais il a tout perdu lorsque le 25 janvier 2017, elle a brûlé. Les coupures d’électricité récurrentes obligent les entreprises à avoir des générateurs. Un dysfonctionnement a fait que le sien ne s’est pas arrêté lorsque la distribution électrique a repris, entraînant une surtension. La moitié de son usine a brûlé, l’autre moitié était ravagée par la fumée. Mahmoud Al Aashi doit désormais un peu plus de 120 000 dollars à ses anciens fournisseurs.

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 « J’ai remboursé ce que j’ai pu, mais maintenant, ce n’est plus possible », juge ce quinquagénaire. Vêtu d’un jogging gris, mal rasé, Mahmoud Al Aashi est abattu : « Je n’ai rien, même mes enfants n’ont pas de travail », dit-il d’une voix faible. « J’ai été un homme d’affaires compétent, je pouvais subvenir à mes propres besoins. Mais aujourd’hui, je vis de l’aide du ministère des Affaires sociales. » Incapable de rembourser, Mahmoud Al Aashi passe chaque année trois mois en prison. Il s’agit de sa troisième incarcération et il a vu la population carcérale évoluer. « Ces temps-ci, la situation économique est devenue tellement mauvaise que les gens qui ont prêté veulent récupérer leur argent : c’est pour ça qu’ils nous mettent en prison» Il assure que son cas est loin d’être unique : « Quand vous allez en prison, vous vous rendez compte que la plupart des détenus sont des gens biens qui traversent une mauvaise passe. Ce ne sont pas des criminels, mais des gens respectables. »

Des prisons surchargées

Dans les cellules, des hommes de tous âges discutent. Quelques-uns, les plus âgés, portent les manteaux utilisés pour les cérémonies : c’est le seul signe qu’il leur reste qu’ils sont des hommes d’honneur. Les 117 détenus de la prison vivent dans trois cellules de 10 à 20 mètres carrés chacune. Les murs sont décrépis et seule une minuscule fenêtre en hauteur leur apporte un minimum d’air. Quelques matelas sont posés à même le sol, mais il devient difficile de trouver de la place pour tout le monde. « Nous sommes 44 détenus dans cette cellule de 20 mètres carrés. Tous les détenus doivent partager des matelas. Un matelas pour deux ou trois, cela dépend de la taille des gens », raconte Moustapha Ahmad.

« Bien sûr qu’il y a une surpopulation dans les prisons », reconnaît Ayman Batniji, le porte-parole de la police dans la bande de Gaza. Les forces de l’ordre sont actuellement saisies de plus de 50 000 dossiers de non-remboursement de dettes.

Certaines personnes ont plusieurs dossiers à leur nom, mais les procédures actuelles visent tout de même des dizaines de milliers de Gazaouis. Un nombre très élevé et des alternatives à l’incarcération sont recherchées. « On peut régler ces problèmes à travers nos institutions sociales ou en faisant jouer les relations au sein de la communauté. Parfois, ils apportent des documents du procureur ou de la cour qui reportent l’arrestation afin de permettre de régler le problème graduellement. Donc tous les dossiers ne se terminent pas par une incarcération », relève Ayman Batniji.

Des dons pour sortir de prisons

Dans le centre de Gaza, la « Société de la zakat islamique » est l’une de ces organisations qui viennent en aide aux plus démunis. Financée par la Zakat, les dons faits pour les plus nécessiteux, elle a mis en place il y a six ans un programme visant à régler les dettes de certains détenus.

« Nous allons dans les prisons et nous donnons ensuite les noms des détenus aux travailleurs sociaux. Ce sont eux qui font une enquête sur les familles et l’homme emprisonné », explique Hisham Sharif, l’un des responsables de ce volet. D’autres ONG ont des programmes similaires, mais confrontés au manque de moyens, ils ne sont appliqués que pendant le mois de ramadan, période de l’année où les dons sont les plus généreux. « L’an dernier, nous avons fait sortir environ 20 personnes de prison. Nous ne nous occupons que des très pauvres, ceux qui ont de petites dettes : 400 ou 500 shekels », entre 100 et 120 euros. Souvent, il s’agit d’arriérés de loyer.

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A Gaza, les sources de revenus sont rares : la moitié de la population active est au chômage, les salaires des fonctionnaires sont versés en retard et plus intégralement. Chaque entrée d’argent est attendue avec impatience. Rituel du début des mois : des files d’employés de l’Autorité palestinienne se créent devant les banques. Ces salariés attendent le versement de leur paye qui n’arrive jamais à date fixe. Mardi dernier, la rumeur annonçait que les payes seraient virées dans la journée. Il n’en fut rien, aux grands désespoirs des fonctionnaires, mais aussi des petits commerçants. Car ses salaires sont essentiels à l’économie fragile de cette enclave sous blocus depuis près de 12 ans.

La peur de retourner en prison

Dans le centre-ville de Gaza, Ahed Al Rifaï a installé un stand de chaussures sur le trottoir entre deux des principales banques de la ville. Mais aussi stratégique que soit son emplacement, le niveau des affaires est très variable : « Cela dépend de la situation, si les salaires sont versés ou pas », explique cet ancien ouvrier en bâtiment devenu vendeur de rues après avoir perdu son emploi.

« Quand les gens sont payés, on vend plus. Mais quand les salaires ne sont pas versés, les gens n’achètent pas. Avant, on restait parfois ouvert jusqu’à une ou deux heures du matin. Mais maintenant, on rentre à 8 ou 9 heures du soir », poursuit Ahed Al Rifaï en réfrénant un petit rire. Mais son sourire crispé cache mal son inquiétude. Lors d’une journée classique, il dit faire un bénéfice de 3 à 5 euros seulement : pas assez pour rembourser ses dettes alors qu’il a sept bouches à nourrir. Et lui qui a déjà passé trois mois en prison l’été dernier redoute d’être à nouveau incarcéré.

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