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Liban / Arabie saoudite

«Disparition» de Hariri: le Liban fragilisé par des facteurs qui le dépassent

Cela fait une semaine que le Premier ministre du Liban, Saad Hariri, a démissionné, lors d’une annonce imprévue lancée depuis l'Arabie saoudite. Il serait depuis « retenu » dans le royaume. Vendredi 10 novembre, Riyad a appelé ses ressortissants à quitter le pays du Cèdre, suivi par d’autres monarchies du Golfe. A Beyrouth, les esprits s’échauffent.

Le président libanais, Michel Aoun, photographié au palais présidentiel de Baabda, le 31 octobre 2016.
Le président libanais, Michel Aoun, photographié au palais présidentiel de Baabda, le 31 octobre 2016. REUTERS/Aziz Taher
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Six jours après l'annonce surprise de Saad Hariri, depuis Riyad, de sa démission, invoquant la « mainmise » de l’Iran et du Hezbollah, les voix se font plus fortes, plus fermes et, fait rare, plus unies, au sein de la classe politique libanaise, pour un retour du chef du gouvernement du Libanrapporte notre correspondant à Beyrouth, Paul Khalifeh. Le président de la République Michel Aoun, l’ensemble de la classe politique, mais aussi la famille, le parti de Saad Hariri, son bloc parlementaire, et une majorité de Libanais sont maintenant convaincus que le Premier ministre - Michel Aoun n'a toujours pas accepté sa démission - est retenu contre son gré en Arabie saoudite.

La démission de Saad Hariri, nouvel épisode de la «guerre froide» Téhéran-Riyad

Jusqu’à ces dernières heures, les dirigeants gardaient le silence dans l’espoir d’un dénouement. Mais lorsque les démarches qu’ils ont entreprises par l’intermédiaire du président égyptien et du roi de Jordanie ont échoué, ils ont décidé de passer à un autre stade. Un ministre proche du président de la République a affirmé à RFI que le Liban considérait que le Premier ministre n’est actuellement pas libre de ses mouvements. Une source proche de Saad Hariri, citée par l’agence Reuters, a affirmé que les Saoudiens ont ordonné au dirigeant libanais de présenter sa démission et l'ont placé en résidence surveillée.

La direction du parti de Saad Hariri, la plus grande formation sunnite du pays, et son bloc parlementaire, ont publié un communiqué estimant que le « retour du chef du gouvernement est une nécessité pour recouvrer la dignité et pour préserver les équilibres internes et externes du Liban dans le cadre du respect de la légitimité du pays ».

Le ministre de l’Intérieur Nouhad Machnouk a été plus explicite. Interrogé sur des informations selon lesquelles les Saoudiens souhaiteraient remplacer Saad Hariri par son frère Bahaa, ce proche du Premier ministre a répondu : « Nous ne sommes pas un troupeau de moutons qui changent de propriétaire. Et le Liban ne fonctionne pas par le système de l’allégeance mais par la démocratie. »

La Russie rentre dans le bal

Michel Aoun a dépêché des émissaires dans plusieurs capitales, dont Paris, pour les informer de la situation de Saad Hariri et réclamer leur intervention afin qu’il puisse revenir à Beyrouth. En cas d’échec de ces médiations, le Liban va annoncer officiellement que son Premier ministre est retenu contre son gré à Riyad.

L’ambassadeur de Russie à Beyrouth, Alexander Zasypkin, a déclaré ce jeudi que si le flou entourant la situation du Premier ministre n’était pas dissipé, Moscou pourrait porter l’affaire devant le Conseil de sécurité des Nations unies.

Alors que le ton monte à Beyrouth, l’Arabie saoudite a appelé ses ressortissants à quitter le pays, suivie du Koweït, de Bahreïn et des Emirats arabes unis. Ce n’est pas la première fois que des pays du Golfe appellent à éviter le Liban. Si ces prises de positions diplomatiques ne sont pas nécessairement de mauvais augure, elles ne sont pas non plus très positives.

« Ce communiqué-là a deux directions, pense Joseph Bahout, chercheur invité au Carnegie Endowment à Washington, spécialiste du Moyen-Orient. D’une part, il vise à commencer une série de mesures qui vont probablement isoler la scène libanaise, c’est un peu ce que les Emirats et l’Arabie saoudite ont fait vis-à-vis du Qatar. Il faut peut-être s’attendre à des retraits de dépôts bancaires, à des mesures économiques à venir. L’autre signification de cette déclaration, qui serait plus grave et plus inquiétante, c’est le signe avant-coureur de troubles sécuritaires. »

Le Hezbollah au coeur des enjeux

Mais les tensions verbales et les craintes de nouvelles violences s'accroissent. Le ministre saoudien des Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhan, a accusé le Liban récemment d'avoir déclaré « la guerre » au royaume. Et celui des Affaires étrangères, Adel al-Joubeir, a affirmé que le groupe chiite libanais Hezbollah, excroissance de l'Iran au Liban, était impliqué dans le tir d'un missile le 4 novembre sur l'Arabie saoudite, à partir du Yémen.

« Tout le monde sait au Liban que le Hezbollah est aujourd’hui une force régionale pratiquement invincible, mêmes les Israéliens commencent à s’en convaincre. Est-ce que les Saoudiens et les Emiratis dans cette stratégie veulent utiliser des forces locales ? Est-ce qu’ils ont autre chose en tête ? Tout le monde aujourd’hui à Beyrouth se pose la question avec pas mal d’inquiétude, et je dirais même d’effroi dans la mesure où les Libanais ont déjà eu une expérience similaire en 2008 quand des forces - disons dans la rue - sunnites avaient essayé de s’opposer militairement au Hezbollah. Cela s’est soldé par une raclée qui s’est faite en 24 heures à l’issue de laquelle le Hezbollah a en fait a mis la main sur l’entièreté de la République », rappelle Joseph Bahout, chercheur invité au Carnegie Endowment à Washington, spécialiste du Moyen-Orient.

Un bras de fer entre Iran et Etats du Golfe au Liban

Le chercheur estime avec pessimisme que « tous les scénarios envisageables sont les uns plus noirs que les autres », avec beaucoup de questions en suspens : « Est-ce que les Saoudiens ont quelque chose qu’on ne connaît pas dans leur manche ? Est-ce qu’ils comptent peut-être sur une escalade régionale ? On parle de risque de guerre avec Israël. Est-ce que tout cela est dans la stratégie qu’on voit commencer à se dessiner ? »

Et de conclure : la direction prise par les événements est celle « crainte depuis le début : il va bientôt y avoir un grand bras de fer entre l’Iran et les Etats du Golfe sur le territoire libanais », prédit-il. « Reste à savoir quelle tournure va prendre ce bras de fer : est-ce qu’il va s’arrêter aux mesures de rétorsion ou est-ce qu’il va aller vers le clash dans la rue ? » Un affrontement par procuration donc, un « déjà-vu » dont le pays du Cèdre a toujours été la première victime.

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