Accéder au contenu principal
Qatar

«Le Qatar achète des Rafale pour acheter de l'influence politique»

François Hollande est arrivé ce lundi matin à Doha, au Qatar, avec au programme de sa visite la signature officielle de la vente d’avions Rafale, ainsi que des discussions sur les nombreuses crises qui secouent le Moyen-Orient, avant une autre escale, cette fois en Arabie Saoudite. Le président français y sera l'invité exceptionnel du Conseil de Coopération du Golfe. Karim Sader, politologue et consultant, spécialiste de cette région, est l'invité de RFI. 

Le président français François Hollande et l'émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, à Doha, en marge de la signature de l'achat de 24 avions Rafale à la France, le 4 mai 2015.
Le président français François Hollande et l'émir du Qatar, Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, à Doha, en marge de la signature de l'achat de 24 avions Rafale à la France, le 4 mai 2015. REUTERS/Christophe Ena
Publicité

Premier chef d’Etat occidental invité d’un sommet du Golfe, c’est une faveur à la France, un remerciement ? Pourquoi ce geste ?

Karim Sader : Oui, absolument. Parce qu’on vit une période actuellement dans la géopolitique régionale qui voit les pétromonarchies du Golfe, l’Arabie Saoudite en tête, avoir des relations de plus en plus tendues avec le partenaire traditionnel que sont les Etats-Unis. Pour la raison que l’on connaît, c'est-à-dire cette main tendue de l’administration américaine de Barack Obama au régime chiite de Téhéran.

Alors que François Hollande est vu comme quelqu’un de plus dur avec Téhéran que Barack Obama ?

Voilà. La position française incarnée par Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères et par François Hollande consiste à imposer plus de conditions à cette réhabilitation, à cet accord autour du nucléaire, et cette levée des sanctions est redoutée par les pétromonarchies. Et effectivement, ce qui est assez quand même intéressant, on n’avait pas l’habitude d’avoir dans la région une position plus dure de la part des Français par rapport aux Etats-Unis vis-à-vis de Téhéran.

La mort du roi Abdallah d’Arabie Saoudite a-t-elle changé quelque chose ? Est-ce que cela a accéléré les choses ?

Ce n’est pas vraiment tout à fait lié. Il est vrai que le roi Abdallah n’avait pas d’excellentes relations avec Paris, mais c’était surtout lié au mandat précédent, celui du prédécesseur de Hollande, c'est-à-dire Nicolas Sarkozy. Nicolas Sarkozy avait effectivement œuvré aux bonnes relations entre Paris et les Etats du Golfe, mais en mettant en priorité un tropisme Qatari – on connaît les relations privilégiées qu’il y avait entre Doha et Paris, l’Elysée plus particulièrement, sous Nicolas Sarkozy, et ça avait contribué à irriter, à fâcher le défunt roi Abdallah qui avait par deux fois annulé sa visite à Paris. Ses relations [avec Paris, ndlr] étaient assez tendues.

Sous François Hollande qui a eu effectivement les conseils du Quai d’Orsay qui ont indiqué qu’il ne fallait plus mettre les œufs dans le même panier et en tout cas revenir à un saupoudrage des relations entre la France et les pétromonarchies, en respectant quelque part cette hiérarchie, c'est-à-dire la suprématie saoudienne par rapport aux autres pétromonarchies, ça a permis un rééquilibrage. Et on a vu que François Hollande s’est d’abord rapproché d’Abou Dhabi. Il entretient de bonnes relations avec Riyad et effectivement cette position plus ferme vis-à-vis de Téhéran fait de la France un partenaire alternatif aux Etats-Unis, dont les positions ne sont pas du tout bien vues, ni à Riyad ni ailleurs dans le Golfe.

D'ailleurs les Américains ne veulent pas s’en laisser compter puisqu’on a appris ce lundi matin que John Kerry rencontrerait dans les prochains jours les puissances du Golfe. Il y aura aussi des rendez-vous pendant ce mois de mai à Washington...

Bien sûr. Les Etats-Unis veulent absolument faire passer la pilule en quelque sorte aux pays du Golfe, mais on voit clairement que Barack Obama souhaite marquer la fin de son mandat de la même manière que Nixon l’avait fait en allant à Pékin avec Kissinger pour signer un traité. On voit effectivement que les Etats-Unis sont assez déterminés à ouvrir la voie des négociations et à une réhabilitation de l’Iran.

A ce moment-là, la position française pourrait effectivement paraître quelque peu imprudente à l’avenir, quand on sait le rôle que va être amené à jouer Téhéran sur les différents terrains dans lesquels nous avons des intérêts – je pense au Liban, je pense à la Syrie, à l’Irak – on va dire qu’il serait judicieux en quelque sorte d’opérer un rééquilibrage.

Justement, sur la lutte contre les jihadistes, sur la guerre en Syrie, comment est vue la politique de la France parmi les monarchies du Golfe ? On a beaucoup parlé de début de discussions avec le régime de Bachar el-Assad...

Absolument. Pour l’instant, sur le dossier iranien, les positions sont similaires, et côté syrien jusque-là les positions étaient parfaitement alignées. Je pense en particulier lorsque François Hollande était monté aux avant-postes pour réclamer, ordonner des frappes aériennes à l’encontre du régime de Bachar el-Assad. Aujourd’hui, il est clair que la voie des négociations est devenue presque prioritaire. On a bien compris que le régime de Bachar el-Assad n’allait pas tomber comme ça et la France pourrait à ce moment-là pousser les pétromonarchies du Golfe vers justement plus de compromis, plutôt que de soutenir des franges armées parmi lesquelles il y a des franges radicales qui alimentent la guerre civile en Syrie actuellement.

La France peut-elle agir au Yémen ? C’est l’un des points chauds en ce moment au Moyen-Orient...

La France pourrait éventuellement apporter une aide logistique si on la sollicite. Mais pour l’instant, ce n’est pas le souhait de l’Arabie Saoudite de mêler des acteurs étrangers à ce conflit. Au contraire, c’est le conflit que l’Arabie Saoudite veut mener. C’est l’objectif de ce conflit, c'est-à-dire réaffirmer son leadership dans le monde sunnite et mener un front uni parmi les puissances sunnites, pétromonarchies-Egypte-Soudan, etc. qui soient soudées autour d’elles pour justement affirmer son leadership face à un Iran de plus en plus menaçant et qui plus est en voie de réhabilitation.

Sur la vente de 24 avions Rafale au Qatar, cela permet-il de graver dans le marbre cette relation privilégiée ? Il y aura bientôt peut-être Abou Dhabi qui se portera également acquéreur du Rafale...

Absolument, bien sûr. Mais il faut bien avoir à l’esprit que quand les Qataris rachètent des Rafale c’est surtout pour acheter de l’influence politique. Ce n’est pas pour les utiliser forcément. Donc effectivement, c’est un signe que la France est aujourd’hui le partenaire alternatif des Etats-Unis en tant que membre du Conseil de sécurité et toujours vis-à-vis de ses positions et des connivences qu’il y a d’intérêt entre Paris aujourd’hui et les pétromonarchies.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.