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Iran / France

Jean Mouy, l’homme qui a ramené Khomeini en Iran

Au soir du 11 février 1979, à Téhéran, Rouhollah Khomeini annonce la victoire de la Révolution et déclare l’instauration de la République islamique d’Iran. Après quinze ans d’exil, il était arrivé dix jours plus tôt dans la capitale iranienne à bord d’un Boeing 747 de la compagnie Air France, sous le commandement du chef pilote Jean Mouy. Rencontre.

Jean Mouy, fin 2014, dans sa maison en région parisienne.
Jean Mouy, fin 2014, dans sa maison en région parisienne. RFI/Darya Kianpour
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France, Suisse, Autriche, Tchécoslovaquie, Roumanie, Bulgarie, Turquie, Iran : tout au long du trajet, le commandant Jean Mouy est en contact permanent avec la direction d’Air France et les tours de contrôle des pays survolés. « Le vol spécial » Paris-Téhéran est complet, à bord : l'ayatollah Khomeini, 17 membres de son état major, « et le reste des passagers était exclusivement des journalistes. » « Personne des Services », du moins pas à la connaissance du commandant. « Je ne savais rien de Khomeini, se souvient Jean Mouy. A part le fait qu’il habitait à Neauphle-Le-Château, parce que l’Irak n’en voulait plus. »

Aucun volontaire

« Le vol spécial » a eu dû mal à se préparer. Lors de la réunion de la direction d’Air France avec des chefs pilotes, aucun n’est volontaire pour la mission. Jean Mouy a la réputation d’être loyal et il le dit aujourd’hui, non sans un brin d’ironie : « J’aime bien commander et pour commander il faut savoir obéir ». Il annonce donc à son directeur et ami : « Je ne te dirai pas que je suis volontaire, mais si tu as besoin de moi, tu peux compter sur moi ».

Le Boeing 747 est bloqué à terre pendant trois jours pour des révisions techniques et pour « des raisons sécuritaires », aucun vol n’est programmé non plus pour le commandant Mouy pendant cette période. Le jour J, l’équipe est sur place : le commandant-chef pilote Mouy, un co-pilote, trois stewards et une hôtesse. Le petit ami de cette dernière « a tout fait pour la dissuader, elle est quand même venue ». Les passagers s’installent : Khomeini et son entourage devant, les journalistes derrière. Tout semble être normal comme n’importe quel autre vol sauf le contact permanent avec la France et les pays survolés. Le commandant ignore si les autorités de ces pays étaient au courant de l’identité du passager du « vol spécial » et s’ils avaient donné leur accord, « s’il y a eu des négociations, je n’étais pas au courant », affirme Jean Mouy presque quatre décennies plus tard, assis dans le salon de sa maison en région parisienne.

Le chef pilote n’a aucun contact avec les passagers. Un signe de la tête pour les saluer au début du voyage et un autre à la fin. Mais il se souvient de l’heure de prière : « Quand Khomeini est allé se préparer pour la prière, il avait un toutou jaune pâle, mais en sortant des toilettes son toutou était de couleur rose pâle ! » Une anecdote longtemps devenue un sujet de plaisanterie.

« Vous nous avez amené la peste »

Jean Mouy, dans les années 1950.
Jean Mouy, dans les années 1950. Archive personnelle de Jean Mouy

Au-dessus de la piste d’atterrissage, un mauvais sentiment accapare le pilote. « Je n’aimais pas cette piste, quelque chose me déplaisait. J’ai remonté, fait quelques tours et atterri dans le sens inverse. La piste était vide, juste une voiture avec quelques personnes, dont plusieurs hommes enturbannés. Khomeini est descendu de l’avion au bras d’un des stewards, son fils derrière eux. Pendant des années, tout le monde pensait que le steward était moi. »

Pour des raisons de sécurité, l’avion ne reste pas à l’aéroport de Téhéran et décolle immédiatement pour Abou Dhabi avant de revenir le lendemain pour amener cette fois d’autres Iraniens, qui eux, voulaient quitter leur pays. « Certains passagers me regardaient bizarrement, l’un d’entre eux, un monsieur d’une cinquantaine d’années, m’a dit : ‘’Vous nous avez amené la peste’’. Je lui ai répondu : ‘’Je n’ai fait que mon travail’’ ».

Pour les révolutionnaires, Jean Mouy est devenu « un héros », « celui qui a ramené l’imam chez lui ». Une équipe de télévision iranienne viendra, des années plus tard, pour préparer un reportage sur la vie du commandant. Il est même invité à Téhéran pour célébrer les 30 ans de la révolution. Une invitation qu’il décline.

Pour les opposants à la Révolution, ceux qui considèrent l’avènement de Khomeini comme un retour au Moyen Age, Jean Mouy est « un agent des services secrets étrangers », le pilote qui a amené « le monstre » en Iran ; les plus modérés diront « de toute façon, lui ou quelqu’un d’autre, les Occidentaux avaient décidé de ruiner notre pays ».

« Je n’ai fait que mon travail »

Depuis, Jean Mouy suit l’actualité iranienne. Il sait par exemple que, parmi les 17 personnes qui accompagnaient Khomeini dans l’avion, l’un a été fusillé, certains sont exilés, y compris en France, et d’autres encore sont réduits au silence dans leur pays. Il sait aussi que « les exécutions ont commencé dès la première nuit et continuent toujours », que bon nombre « des Iraniens ne sont pas contents »…

Mais, Jean Mouy, aujourd’hui âgé de 91 ans, préfère se rappeler plutôt de sa jeunesse, de la Seconde Guerre mondiale, de l’époque où, à 15 ans, il est entré en résistance dans le groupe Yes et a combattu les nazis et l’occupation de son pays. En tant qu’ex-résistant, il comprend le sentiment de certains Iraniens : « Si à l’époque quelqu’un me disait avoir amené Hitler de tel endroit à tel autre, je l’aurais jeté hors de ma maison, et Khomeini ne vaut pas plus que lui (…) Mais moi, je n’ai fait que mon travail ».

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