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IRAN

Présidentielle en Iran: «une élection pour réguler les rivalités internes»

Le 14 juin 2013, les électeurs iraniens sont appelés aux urnes pour élire un nouveau président. Pas moins de 686 candidats se sont inscrits pour succéder à Mahmoud Ahmadinejad. Parmi les prétendants figurent notamment l’ex-président de la République islamique Ali Akbar Hachémi Rafsanjani (1989-1997), qui préside actuellement le Conseil de discernement de l'intérêt du régime ; Saïd Jalili, chef des négociateurs du programme nucléaire et proche du Guide suprême Ali Khamenei ; Esfandiar Rahim Mashaï, conseiller et parent proche du président sortant Ahmadinejad ; et aussi Mohammad Baqer Qalibaf, maire de Téhéran, ancien officier des Gardiens de la révolution et très proche de Khamenei. Huit femmes ont également postulé, tout en sachant qu’il est impossible que leur candidature soit acceptée par le Conseil des gardiens de la Constitution. A quoi sert un président dans un régime théocratique comme la République islamique d’Iran, quelles sont ses prérogatives et dans quelles mesures il peut influer sur la politique du régime ? Entretien avec Mehdi Mozaffari, politologue, professeur à l'Université d'Aarhus au Danemark, directeur du Centre de recherche sur l'islamisme et la radicalisation.

Mehdi Mozaffari.
Mehdi Mozaffari. DR
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RFI : Une première question d’ordre général : quelles sont la place et la fonction du président de la République dans la théocratie iranienne ?

Mehdi Mozaffari : La Constitution iranienne, dans son chapitre X, attribue des prérogatives assez limitées au président de la République. Bien qu’il soit expressément le chef de l’exécutif, il n’est pas le premier personnage de l’Etat ; comme cela est le cas en France et aux Etats-Unis. C’est le Guide suprême, rahbar, qui possède pratiquement la totalité du pouvoir comme le stipule l'article 110 de la Constitution, et qui est de loin le premier personnage de la République islamique. Le président, lui, ressemble à un Premier ministre, élu certes au suffrage universel, mais sans être le chef de la majorité. De ce fait, ce n’est pas la fonction qui rend la présidence importante ; c’est plutôt la personnalité et le poids politique de celui qui occupe la présidence qui déterminerait le contenu de la fonction. Le président Mohammad Khatami entre 1997 et 2005 se considérait lui-même comme un intendant, tadarokchi, alors que quelqu’un comme Akbar Hachémi Rafsanjani, un vétéran de la scène politique iranienne, pourrait donner à la présidence une autre dimension. Mahmoud Ahmadinejad se situe entre les deux.

D’une manière générale, quelle est la fonction des élections dans un tel système politique ?

C’est une bonne question. Les politologues se sont aussi interrogés là-dessus. Pourquoi les régimes autoritaires et même totalitaires comme celui de Staline, qui bafouent les libertés élémentaires de leurs citoyens, organisaient-ils des élections ? D’abord pour faire valoir que le régime jouit de la légitimité populaire. Ensuite, pour équilibrer les tensions et les rivalités internes de sorte que celles-ci ne se débordent pas. Enfin, pour avoir une meilleure évaluation de ce qui se passe dans les profondeurs de la société.

Qu’est-ce qu’une élection présidentielle peut changer en Iran ?

L’élection en tant que telle ne peut pas changer grand-chose. Tous les candidats jugés qualifiés sont passés à travers les filtres que le régime lui-même et l'ayatollah Khamenei, leader tout puissant, ont instaurés. L’essentiel pour ce genre de gouvernement, c’est que les sujets votent. Peu importe pour qui ils votent ! Celui - car seuls les hommes peuvent être candidats [voir encadré] - qui devient président est quelqu’un de totalement loyal au régime existant.

Ce qui peut éventuellement changer, ce sont les effets collatéraux des élections. Car d’un côté le régime doit élargir, ne serait-ce que pour une période très limitée, le champ des libertés afin de mobiliser les troupes ; et de l’autre, il existe toujours des risques de débordements populaires comme cela a été le cas lors des élections précédentes en 2009. Il s’agit donc de doser savamment la mobilisation et en même temps de faire en sorte que les mouvements ne débordent pas.

On sait qu’en Iran, le taux de participation aux élections est souvent élevé. Comment peut-on expliquer cet engouement ?

Les régimes totalitaires sont très organisés. Ils jouissent de réseaux puissants. En Iran, les unités paramilitaires des Basiji sont évaluées à 5 millions, avec les membres de leurs familles environ 10 millions. Donc, on a déjà ce nombre de réserves de voix. A cela il faut ajouter les immenses réseaux dits religieux, heyat, mahfel, etc. Puis des gens ordinaires qui préfèrent voter pour ne pas être inquiétés par la suite. Il y en a aussi, certes d'une minorité surtout de gauche, qui croient que la participation est un exercice éducatif !

Quels sont les enjeux de la prochaine élection présidentielle ?

L'économie vient en premier, ensuite la politique étrangère avec la question du nucléaire.

Le jeu politique semble moins clair lors de la prochaine élection. Les courants du passé ne sont plus lisibles… Quel est le paysage politique actuel en Iran ?

Les deux principaux candidats en lisse sont Rafsanjani et Mashai. Le premier est bien connu ; le second est le favori de M. Ahmadinejad et un des membres de sa propre famille. L’élection éventuelle de Rafsanjani serait bien accueillie par les puissances occidentales qui voudraient voir en lui une opportunité de résoudre la problématique atomique par la voie diplomatique. Le régime trouverait donc en lui un nouveau sauveur comme cela fut le cas en 1997 avec l’élection de M. Khatami. En revanche, l'ayatollah Khamenei risquerait de perdre du terrain avec un éventuel succès de Rafsanjani.

Mashai est une autre histoire. Il veut incarner un islam iranien et se faire le symbole d’un certain nationalisme iranien. Si les Gardiens de la révolution, Pasdaran, ont véritablement l’intention de réduire le poids politique des clergés chiites et ainsi de se débarrasser d’eux dans l’avenir, lui, pourrait jouer cette carte-là.

Peut-on s'attendre à des surprises ou à des protestations postélectorales, comme c’était le cas en 2009 ?

Les services de sécurité ont maintenant l'expérience des contestations de 2009, ils sont donc préparés. Mais tout est possible. Même une insurrection d’une grande ampleur…


Extraits de la Constitution de la République islamique

Article 12 : La religion officielle de l’Iran est l’islam selon l’école juridique jaffarite duodécimaine. Ce principe ne sera jamais susceptible de modification.

Article 115 : Le président doit être élu parmi les hommes [le mot utilisé dans le texte original est Rejal, ndlr] versés dans la religion et la politique et possédant les qualifications suivantes : Iranien d’origine, nationalité iranienne, capacité à diriger, avisé, justifiant d’un passé sans tache, honnête et pieux, croyant et adhérant aux fondements de la République islamique d’Iran ainsi qu’à la religion officielle du pays.

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