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Salon du livre de Paris

Salon du livre de Paris: les saveurs orientales du français

Alors que la journée internationale de la Francophonie consacrée aux droits des femmes vient de s’achever, le Salon du livre de Paris remet à l’honneur la langue de Molière aux quatre coins de la planète. Parmi les pays du bassin méditerranéen, le Liban est sans conteste le meilleur ambassadeur de la langue française... et de ses difficultés. Bien que le Pays du cèdre ait pour langue officielle l’arabe, y entendre parler français est dans la nature des choses. Dans les allées du salon parisien, au stand du Liban, un petit livre intitulé Faux et usage de fautes, mieux parler français au Liban, fait beaucoup causer les visiteurs…

Le stand du Liban, entre langue arabe et française, au Salon du livre de Paris, le 22 mars 2013.
Le stand du Liban, entre langue arabe et française, au Salon du livre de Paris, le 22 mars 2013. RFI/Anne Bernas
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Dans les pays du Proche-Orient arabe, entendre parler français est rare. Mais un petit pays fait de la résistance : le Liban, pays le plus francophile du bassin méditerranéen. Au Pays du cèdre, tout en étant fier d’être arabe, parler français est une chose « normale ». Pas étonnant alors que 45% de la population soit entièrement ou partiellement francophone. « Le français est pour eux un choix historique qui n’est pas lié aux vicissitudes politiques puisqu’il est arrivé au Liban bien avant la colonisation » soulignait Ghassam Salamé, ancien ministre de la Culture libanais en charge de l’organisation du IXe Sommet de la Francophonie.

Quel voyageur n’a jamais eu le sentiment d’être dans le sud de l’Hexagone alors qu’il arpentait les rues animées de Beyrouth ? A une exception près cependant : les Libanais manient la langue de Molière d’une façon particulière qui rappelle au visiteur qu’il est en Orient. Des mots tressés, métissés, que les Libanais pensent être du « vrai » français. C’est de là qu’est né le « franbanais » : du français parsemé de libanismes que l’écrivain Dounia Mansour Abdelnour décortique dans son livre Faux et usage de fautes. Avec une formidable autodérision, son ouvrage rassemble une sélection de fautes de français transmises de génération en génération.

Onze heures et demie cinq au stand Liban du Salon du livre de Paris…

Une première édition de Faux et usage de fautes a été lancée en 2006 au Liban par la maison d’éditions Tamyras. L’auteur y évoque les libanismes tels que « un jour oui, un jour non » (pour dire « un jour sur deux ») , ou bien encore « je vais à la toilette » (pour « je vais aux toilettes »). Mieux encore, au Liban, le serveur d’un café risque d’être désemparé si le client lui demande « une paille pour boire son soda ». Là-bas, c’est « un chalumeau » qu’il faut pour siroter… Et quand il est onze heures et demie cinq à Beyrouth, il est onze heures trente-cinq à Paris…

Le succès de Faux et usage de fautes surprend son auteur comme son éditeur. Une seconde édition voit alors le jour et l’ouvrage se diffuse en France via la maison L’oiseau indigo, en 2009, au grand bonheur des milliers de Libanais vivant dans l’Hexagone. Dans ce nouvel ouvrage s’ajoutent les mots français qui sont entrés dans la langue arabe.

Adieu l’arabe « Isstahmamt bil’rachach » signifiant « j’ai pris une douche ». En franbanais, on dit désormais « daouachat » , du verbe se doucher, ou bien encore « daoukaret » pour dire « j’ai décoré ». « Les mots français deviennent alors des mots libanais, avec l’accent ! s’amuse Tania Hadjithomas Mehanna, directrice de la maison d’édition Tamyras basée à Beyrouth. C’est une vraie invention ! »

Et c’est une belle revanche. Parce que les Français ont pris beaucoup de mots à l’arabe, étymologiquement : artichaut, sucre, alcool, sorbet, sofa, etc… « C’est un voyage, raconte Tania Hadjithomas Mehanna. Les mots sont venus du monde arabe, puis ils sont allés en Espagne, puis en France… Aujourd’hui c’est nous qui chipons des mots au français ! Et on les arabise ! C’est un juste retour des choses ! »

L’« englibanais » en concurrence avec le « franbanais » ?

Tania Hadjithomas Mehanna, directrice de la maison d'édition Tamyras, au Salon du livre de Paris, le 22 mars 2013.
Tania Hadjithomas Mehanna, directrice de la maison d'édition Tamyras, au Salon du livre de Paris, le 22 mars 2013. RFI/Anne Bernas

Au Liban, on « envoie un e-mail » et non un courriel, comme ça devrait être fait en France, mais on continue « d’entrer au net » lorsqu’on se connecte sur la Toile… On « ferme » et on « ouvre » toujours le téléphone…. Développement des réseaux sociaux et explosion de la bulle internet, l’anglais s’immisce de plus en plus dans le quotidien des Libanais qui accueillent cet autre idiome sans appréhension aucune.

Bien que dans près de 75% des écoles le français soit la seconde langue enseignée après l’arabe, nombre d’étudiants s’orientent vers la langue de Shakespeare au détriment de celle de Molière. L’« englibanais » pointerait-il son nez ? Pour Tania Hadjithomas Mehanna, le français a un long avenir devant lui. « Au Liban comme ailleurs, des mots anglais apparaissent dans le vocabulaire quotidien, mais ils ne suppriment pas pour autant de mots arabes ou français, ils s’y ajoutent et s’y mélangent. L’anglais est devenu la langue des affaires, et de la communication », explique-t-elle.

La publicité envahissante a délaissé le français pour l’anglais, certes, mais il semble que ce soit le cas dans une grande partie des pays francophones. Mais partout sur la planète, un « je t’aime » vaudra toujours bien plus qu’un « I love you »…

Le Liban, passerelle éternelle de la francophonie

Parler français au Liban peut donner l’image d’appartenir à une classe sociale élevée. Mais aujourd’hui, explique l’éditrice, parler français est aussi un acte de résistance, non pas par rapport à l’arabe ou à l’anglais, mais par rapport à une certaine culture à préserver.

« Mais pas de craintes à avoir, renchérit Tania Hadjithomas Mehanna, les Libanais sont très attachés au français, mais aussi à la culture française, les valeurs françaises. Ils sont résistants ! Les francophones sont très francophiles. Et ils le seront jusqu’à leur mort. Ils passent à leurs enfants cet amour du français. »

Les Libanais sont bel et bien différents de leurs voisins. Leur réputation d’être le pont entre l’Occident et le monde arabe est bien réelle. « Parce que les Libanais vivent comme les occidentaux, qu’ils sont très modernes, parce que la femme libanaise est très moderne, analyse Tania Hadjithomas Mehanna. Ca devient comme un acte de survie dans un monde arabe qui aujourd’hui est en pleine reconstruction, perdition. Et on se bat pour ça ». Khalass, ça suffit !

Et l’éditrice d’alerter l’opinion sur l’avenir : « Le Liban est tourmenté. Et les Européens viennent désormais moins vers nous aujourd’hui. Le Liban voudrait être utilisé comme passerelle. Nous, on vit comme l’Occident. Et l’Orient, il est dans nos gènes. On a besoin que les autres viennent vers nous via la passerelle que nous sommes. Et cela ne se fait pas, parce qu’on assimile trop le Liban à la guerre, au terrorisme et au monde arabe en ébullition. »

La passerelle qu’est le Pays du cèdre entre l’Orient et l’Occident est donc loin d’être un mythe… Et Tania Hadjithomas Mehanna, une passionnée pour qui chaque livre est un « bébé qu’il faut porter », est là pour le confirmer. Elle esquisse un sourire complice à l’idée d’une troisième édition augmentée de Faux et usage de fautes… « Et pourquoi pas un petit dictionnaire dans les prochaines années »… Alors, Yalla !

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