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Iran

Jay-Jay, Iranien, espion de la CIA et du Mossad

« Je suis devenu un espion parce que je voulais me venger. J’aime passionnément mon pays, je déteste avec rage ses dirigeants ainsi que la religion au nom de laquelle ils commettent leurs atrocités », affirme Djahanshah Bakhtiar, le petit-fils du dernier Premier ministre du Shah d’Iran assassiné en France. Il raconte sa vie dans un livre intitulé : Moi, Iranien, espion de la CIA et du Mossad.

Djahanshah Bakhtiar à Paris, le 13 juin 2014.
Djahanshah Bakhtiar à Paris, le 13 juin 2014. RFI/Darya Kianpour
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Le 8 août 1991, le monde apprend avec stupéfaction l’assassinat dans des conditions atroces du dernier Premier ministre du Shah d’Iran, à Suresnes, en banlieue parisienne. C’est la deuxième tentative pour éliminer Chapour Bakhtiar. Onze ans plus tôt, Neuilly-sur-Seine, une autre banlieue huppée de la capitale française, se réveillait dans la terreur. Ce 18 juillet 1980, un commando sous l’ordre de la République islamique d’Iran s’était introduit dans l’immeuble où résidait Chapour Bakhtiar pour l’assassiner. Un policier français et une voisine de l’ancien Premier ministre ont été tués par les assaillants et un autre fonctionnaire de la police a été gravement blessé. Ce jour-là, Chapour Bakhtiar ne sera pas atteint et un adolescent de 15 ans, son petit-fils, échappe aussi à la mort. Ce jeune garçon, aujourd’hui âgé d’une cinquantaine d’années, Djahanshah, dit Jay-Jay, raconte dans un livre ses souvenirs d’enfance, sa vie avec son grand-père, sa soif de vengeance et la manière dont il y est (presque) parvenu.

Un beau jour, à l’aube de ses 40 ans, Jay-Jay décide de rentrer dans son pays, de faire payer les « enturbannés » qui le dirigent, les assassins de son grand-père. Il quitte son métier de banquier et une vie très aisée. Et l'aventure commence.

Escroc-gentleman, physique de play-boy, Jay-Jay a du bagout. Il se livre très facilement, sans aucun tabou : son addiction au Valium, ses fréquentations avec des « filles faciles », ses mensonges et même un meurtre. Il l’avoue : il a tué un gardien de prison en Iran « un violeur, un assassin », dit-il. « Un acte barbare », convient-il mais qu’il ne regrette pas car il a éliminé « une ordure ». Il en est conscient : « Si mon grand-père était vivant et entendait ce récit, il m’aurait maudit, renié… Il aurait été à 100 % contre tous mes faits et gestes. Mais bien sûr, je ne veux pas continuer dans la même voie que lui. Je ne suis pas politicien, je ne donne pas de conseil. C’est ma vie. »

Malgré quelques appréciations discutables de certains faits historiques et une lecture des événements et des personnages du passé fondée plutôt sur des rumeurs que des réalités avérées, le livre présente un intérêt certain. Car à travers une histoire personnelle, c’est aussi l’histoire des jeux de pouvoir au sein du régime de Téhéran qui est dessinée à grands traits. L’ouvrage est aussi un vrai polar, un conte d’espionnage et, nous l’avons dit, un récit autobiographique.

 

RFI : Quel est l'objectif de ce livre ?

Djahanshah Bakhtiar : Pour moi, c’est une revanche. Après l’assassinat de mon grand-père au mois d’août 1991 et le décès de ma mère deux semaines plus tard, ma vie a complètement changé. J’avais déjà une haine extraordinaire envers le régime en Iran. Je ne supporte pas que mon pays soit dirigé par des mollahs qui sont des fascistes, des voleurs, des tueurs, et qui sont des gens qui ont détruit mon pays depuis leur arrivée. Je précise que je ne suis pas un royaliste non plus et ne désire pas avoir un roi en Iran.

Si vous voulez vraiment savoir, c’était une revanche pour montrer aux autres Iraniens que le régime des mollahs n’est pas aussi intelligent qu’ils le croient. Pendant dix ans, j’ai fait marcher ces imbéciles, Fallahian, Shahroudi, Kiani… Ils sont tous tombés dans le piège que je leur ai tendu. Ça veut dire le piège financier.

 

DR

Avez-vous réalisé votre revanche, la vengeance souhaitée ?

Très bonne question. Je ne crois pas. Je crois que c’est mon « devoir » de continuer ma lutte contre le gouvernement iranien à ma façon. Est-ce que depuis 1979, un dirigeant iranien a été jugé, par exemple, à La Haye ? Est-ce qu’il y a un dirigeant iranien qui est en prison ? Entre eux, ça arrive qu’ils se tuent à cause de l’argent et du pouvoir. Mais l’Occident ne fait absolument rien pour mon pays. Je parle pour moi-même, je ne suis porte-parole de personne et je n’appartiens pas à un mouvement politique. Je ne suis en contact ni avec le fils du roi, ni avec personne d’autre, ni avec un mouvement quelconque. Personne ne m’intéresse. Je suis seul, solo, je me finance, je fais ma vie, je n’ai rien à répondre à qui que ce soit sur cette terre. Je suis libre. C’est un sentiment que j’adore.

Si vous voulez continuer votre lutte, pourquoi vous vous dévoilez dans un livre ? Pour faire la guerre, ne faut-il pas être un peu dans l’ombre ?

Vous avez tout à fait raison. Mais en ce qui me concerne depuis toujours, j’aime bien rendre ma vie difficile ! Là vraiment j’ai mis une cible énorme sur ma tête. Mais le fait est que j’ai démontré à pas mal d’Iraniens, ce que j’ai pu faire avec ces gens, et montrer que sans être terroriste, sans être un tueur, il reste encore des moyens de faire mal à ce régime. La plus grande faiblesse de ce régime, est l’argent. Un mollah vendra sa mère pour 100 dollars. Et si c’est choquant pour les Iraniens que je le dise, peu m’importe. Je dis la vérité parce que je l’ai constatée. Il y a plein d’Iraniens qui sont à Washington, à New York, à Paris, à Londres, qui parlent de l’Iran, de la liberté, du mouvement vert, du mouvement orange, mouvement je ne sais quoi, ils ont plein d’idées. Moi, j’ai une chose à leur dire : si vous aimez tellement votre pays, prenez l’avion et allez-y, et faites mal aux mollahs. Et faites du bien parce qu’en même temps que j’ai fait mal aux mollahs, j’ai dépensé des millions de dollars de mon propre argent en aidant des gens qui sont en Iran. J’ai changé la vie de beaucoup de personnes. J’aurais pu continuer ma vie de golden boy. J’habitais à Monaco, j’avais une vie que les autres Iraniens ne peuvent même pas rêver. J’ai tout abandonné pour prendre ma revanche. J’espère que certains Iraniens vont être inspirés. Je sais que certains vont dire « mais tu es un traître, travailler avec les Américains, avec les Israéliens, il n’y a pas pire sur terre. Double traître, peu importe ce que tu dis, ou tout ce que tu as fait. Tu es un traître pour nous ». D’accord, j’accepte ça aussi. Mais quelque part, une fois de plus je n’appartiens à personne, à aucune organisation. Je suis un homme libre. Malheureusement, il y a très peu d’Iraniens qui peuvent dire la même chose.

Vous dites que vous voulez continuer votre combat et vous vous financez. Mais votre fortune n’est pas éternelle. De toute façon, il vous faudra d’autres moyens.

Oui !

Avec quels moyens voulez-vous lutter contre le régime ?

Pendant une longue période, j’ai utilisé les fonds des mollahs pour les combattre. Ils étaient aussi stupides pour ne pas le savoir. Et ça m’a fait énormément plaisir de faire ça. Aujourd’hui, vous avez raison, je ne vais joindre ni le Mossad ni aller voir les Renseignements généraux en France. Je suis en train de réfléchir depuis la sortie de ce livre. Et ce n’est pas grâce à ce livre que je vais gagner un euro parce que, dès le départ, j’ai donné jusqu’au dernier centime à deux œuvres de charité : une à Buenos Aires, l’autre au Tibet. Donc Djahanshah touche zéro euro sur ses livres. Je n’ai pas de réponse mais je vais réfléchir et quand je réfléchis, normalement je trouve une solution. Parfois, ça me prend longtemps. Mais d’ici-là, je dois être prudent parce que j’ai le sentiment, que le régime va essayer de me faire taire parce que quelque part, ce n’est pas très bien d’entendre la vérité pour ces gens.

Dans votre projet, vous aviez des compagnons, des personnes qui vous ont aidé. Est-ce que vous ne les mettez pas en danger ?

Non, parce que l’homme qui m’a vraiment aidé en Iran, le docteur Roudiani, est décédé. Je n’aurais pas dit son nom s’il était toujours vivant. Et il n’a aucune famille en Iran. Donc il n’y avait aucun danger. Et je n’ai pas dévoilé d’autre nom. Les Iraniens que j’ai mentionnés, ce sont des fonctionnaires et des agents du régime comme Kiani, Hosseinpour et d’autres. Ils sont connus, même le Wall Street Journal a mentionné leurs noms. La banque Standard Chartered de Dubaï est une plaque tournante de blanchissement d’argent pour le gouvernement iranien depuis une décennie. Toutes ces informations, je les ai eues par l’intermédiaire d’un Anglais. Il nous a vendu ses renseignements. Je les ai données au Mossad qui à son tour les a partagées avec la CIA. Ces mêmes Iraniens ont, maintenant, acheté une banque en Géorgie.

Je ne les laisserai pas tranquille. Où que ces Iraniens aillent, je les trouverai. Et je donnerai toutes ces informations aux autorités compétentes. Soit ils réagissent soit je viendrai vous voir, vous les journalistes et je dévoilerai leurs noms et leurs agissements. Aujourd’hui, il y a un Iranien à Monaco, pour l’instant je ne donnerai pas son nom, sur place il gère un milliard cinq cents millions d’euros qui appartiennent à Khamenei, je sais combien de voyages il a effectué à Dubaï, à Téhéran et ailleurs. Je le connais, il était banquier en Suisse. Je suis en train de préparer le dossier. Quand il sera complet, je dévoilerai tout. Moi, je chasse dans le domaine que je connais c’est-à-dire la finance, je ne sais pas faire autre chose, je ne suis pas révolutionnaire, je ne suis pas un tueur…

Pourtant ça vous est arrivé ! Vous avouez le meurtre d’un gardien de la prison d’Evin.

Ça, c’était un nettoyage. J’ai mis une ordure à sa place, c’est-à-dire sous la terre. Un homme qui violait des garçons de 12-13 ans, qui cassait des bouteilles de soda et les mettait dans leurs anus. Vous appelez ça un homme ? Non, pour moi ce n’était pas un homme. Qu’est-ce que je devais faire ? L’amener devant la justice à Téhéran ? « Bonjour Monsieur le juge, voilà un gardien qui viole les enfants et qui leur fait du mal » ! Soit il était un parent du juge ou un membre de la famille d’un religieux ou juste il faisait son travail pour lequel il était payé. A qui d’autres je pouvais m’adresser : Amnesty International ? L’ONU ? Donnez-moi le nom d’une organisation sur terre auprès de laquelle je pouvais porter plainte. Donc, quand il n’y a pas de justice dans un pays, comment je pouvais arrêter le mal que ce monstre faisait subir aux autres.

Vous ne pensez pas qu’en dévoilant certaines parties de votre vie privée ou celle de votre grand-père, vous apportez de l’eau au moulin des autorités iraniennes et leurs donnez des bâtons pour vous battre ?

Ma réponse est simple : Chapour Bakhtiar est mort. C’est fini. C’est une période qui est close, comme le shah d’Iran qui est mort. Ce que je voulais c’est que les gens sachent la vérité. Personnellement, j’avais une dette envers Israël. Mon grand-père est sorti grâce à eux. Peut-être qu’il aurait dû faire la même chose que Hoveyda [Amir Abbas Hoveyda, Premier ministre du 1965 au 1977, exécuté en 1979 par le régime révolutionnaire, ndlr], aller voir la justice révolutionnaire et dire « je n’ai rien fait de mal » ! Et la réponse de Khomeini aurait été quoi ? Une balle dans la tête, comme ils ont fait avec Hoveyda. Donc, il devait quitter le pays pour rester en vie. Qui pouvait l’aider ? Le Mossad l’a fait et beaucoup de personnes le savaient. Maintenant s’ils veulent faire semblant de le découvrir, c’est leur problème. Mon grand-père ne s’est pas levé un beau jour en se disant : « Tiens, je vais aller à l’aéroport ». Sa fuite a pris six mois de préparation.

L’une des premières décisions de Chapour Bakhtiar à la tête du gouvernement a été d’arrêter de vendre le pétrole à l’Afrique du Sud et à Israël. Donc personne ne peut dire qu’il était pro-israélien. Si on veut regarder l’Histoire, regardons toute l’Histoire. Son action à côté de Mossadegh [Premier ministre d’Iran de 1951 à 1953 et leader du Front National iranien, ndlr] et tout ce qu’il avait appris ici en France, combattre Franco, son engagement dans la résistance en France et contre Hitler et dès son retour sa lutte contre le Shah. Maintenant, ça serait stupide de penser qu’il était un traitre parce qu’il a été aidé par Israël pour sortir d’Iran et ne pas tomber dans les mains des mollahs. Mais, je comprends votre question, je suis navré si je donne cette impression, je voulais juste dire la vérité. La seule vérité c’est qu’un fanatique imposteur nommé Khomeiny s’est emparé du pouvoir en Iran ; et cela fait trente cinq ans qu’on en souffre ; ça c’est la deuxième vérité.

Etes-vous toujours en contact avec le Mossad et la CIA ?

Absolument pas et je ne vous mens pas. C’est-à-dire, j’ai un ami, Sam, l’ancien directeur de la CIA pour le Moyen-Orient. Je suis en contact avec lui en tant qu’ami. Il a quitté la CIA depuis trois ans. Quand je suis à Washington, on se voit, on déjeune ensemble. On parle de ses livres. Nous sommes amis. Sinon je n’ai aucun contact avec la CIA. Et le Mossad me demandait des choses que je ne pouvais pas faire. Tant qu’il s’agissait de ma propre vie, je n’avais pas peur et je pouvais tout faire mais à la fin, je devais recruter des jeunes Iraniens. Ça, je ne pouvais pas. Je ne peux pas mettre en danger la vie des jeunes innocents. J’ai refusé et le Mossad ne m’a plus jamais contacté.

Les deux agences étaient-elles au courant de la sortie de votre livre ?

Oui, non pas parce que je les ai appelées pour leur dire que j’allais sortir un livre mais, je reste, il me semble, quelqu’un qui présente un intérêt pour elles et je pense qu’elles en ont été informées. Les deux services veulent savoir où je suis, qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je vais raconter des secrets ? Je n’ai rien dévoilé sur le Mossad. Je n’ai pas révélé le nom d’un seul agent. Ai-je exposé leurs modes d’opération ? Non. Le reste est dans le livre.

Est-ce que vous allez retourner en Iran ?

Certainement. Est-ce que je vais rentrer comme je suis sur la photo que vous venez de prendre ? Certainement pas. Est-ce que je vais rentrer par l’aéroport de Khamenei, pas sûr. Pardon c’est l’aéroport de Khomeiny. Vous savez pour moi, Khomeiny, Khamenei, Khatami, c’est le même obscurantisme et la même absurdité. Et si vous trouvez que Moussavi ou Karoubi sont mieux, vous vous trompez gravement… Moussavi était le Premier ministre de la République islamique pendant huit ans. Je ne suis pas sympathisant des Moudjahedines. Mais, qu’a fait Monsieur Moussavi quand le régime a assassiné près de 4000 membres de ce mouvement ? C’est ce qu’on appelle un génocide, c’est un acte stalinien !

Jusqu’où êtes-vous prêt à aller pour vous venger ?

Comme je l’ai dit, je ne les laisserai pas tranquilles. Je donnerai même ma vie, mais je ne risquerai pas la vie des autres. Je ne peux rien apporter à une organisation politique. Je suis le diable, j’ai travaillé avec le Mossad et la CIA, je suis athée, menteur, je bois de l’alcool, j’ai fréquenté des prostituées… Je ne dis pas tout cela pour choquer, c’est juste pour dire la vérité et dire aussi que moi, j’ai fait quelque chose. Tous ces gens qui viennent à la télé, bien habillés, éloquents et qui annoncent « Ah, le peuple iranien souffre ! » Qu’est-ce que ces gens ont fait depuis 35 ans ? Donc pas besoin d’un mouvement, d’une organisation, pas besoin non plus de grandes déclarations. Chacun dans son domaine, s’il le désire, peut dévoiler le visage de ce régime et lui faire du mal. Moi, mon domaine c’est la finance. Je continuerai mon chemin tout seul.

 

Moi, Iranien, espion de la CIA et du Mossad, par Djahanshah Bakhtiar. Editions du Moment, 203 pages, 17,95 euros.

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