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« Nos coeurs battent toujours pour le chemin de fer »

A Thiès, au Sénégal, usagers et cheminots tirent la sonnette d'alarme. Ils s'inquiètent pour l'avenir du chemin de fer Dakar-Bamako, au ralenti depuis des années. Rapide et peu cher pour les uns, véritable ascenseur social pour les autres, le train reste, pour eux, un moyen de transport à préserver.

En 2003, les Etats sénégalais et maliens ont été contraints de privatiser la ligne de chemin de fer et la société a pris le nom de Transrail. Mais faute de pièces de rechange, plusieurs machines ne fonctionnent plus.
En 2003, les Etats sénégalais et maliens ont été contraints de privatiser la ligne de chemin de fer et la société a pris le nom de Transrail. Mais faute de pièces de rechange, plusieurs machines ne fonctionnent plus. Frédéric Diallo
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A Thiès, ancienne capitale du rail ouest-africain, l'inquiétude est vive. La ligne de chemin de fer, qui relie Dakar (au Sénégal) à Bamako (au Mali), fonctionne au ralenti depuis des années (lire ci-après). Pourtant, pour certains, ce moyen de transport a de multiples atouts.

Le train : rapide, confortable et économique

Pascal Etienne Ndione habite à Keur Ndioukoune, un village situé à quelques kilomètres de la commune de Thiès. Plutôt qu'un véhicule qui roule très vite, il préférait prendre le train pour aller à Dakar. « Il y a des embouteillages monstres sur l'axe Rufisque-Mbao et, en véhicule, j'arrivais toujours en retard à l'université ou à Dakar Plateau, au collège Saint-Michel où je prenais des cours de comptabilité. Et, pourtant, mon heure d'entrée était 9 h. Mais quand j'ai essayé le train, je suis arrivé largement avant l'heure.

Pascal Etienne Ndione, de Keur Ndioukoune, un village près de Thiès, est un adepte du train.
Pascal Etienne Ndione, de Keur Ndioukoune, un village près de Thiès, est un adepte du train. Frédéric Diallo

J'étais toujours confortablement assis, contrairement aux cars de trente-cinq places, qu'on appelle au Sénégal "Ndiaga-Ndiaye". Il m'arrivait souvent dans le train de rattrapper le sommeil que j'avais perdu chez moi.
Et en plus, le prix du ticket était moins cher. Avec les cars, je payais 750 fr Cfa et je descendais loin de ma base et j'étais obligé de payer à nouveau 100 fr Cfa pour arriver à destination et, en plus, en retard. Avec le train, c'est 450 fr Cfa le ticket et je descends à quelques kilomètres du lieu où je suis des cours. De ce fait, si je dois choisir, je préfère le train.
Mais cette situation mi-figue mi-raisin me perturbe. Avec l'accroissement du chômage, l'ambiance que le train avait créée dans ce pays a disparu, car le chemin de fer employait beaucoup de personnes. J'espère que cette situation se décantera, si les deux états trouvent des partenaires sérieux
», conclut-il.

Cheminot de père en fils

Même désarroi pour Mame Demba Diakhate, qui fait partie des nombreuses familles thiessoises, où l'on est cheminot de père en fils : « Je suis entré au chemin de fer le 22 janvier 1976, je dirais par accident car j'étais à l'école. Mais du fait que j'étais turbulent, on me dénoncait souvent à mon papa, qui vit jusqu'à présent. Il a 99 ans ! Alors, il m'a intégré au chemin de fer et m'a mis en relation avec un certain Mamadou Sy qui m'a formé comme Diéséliste.

Mame Demba Diakhaté est cheminot et fils de cheminot.
Mame Demba Diakhaté est cheminot et fils de cheminot. Frédéric Diallo

Le train m'a beaucoup apporté car il m'a aidé à construire un bon avenir, une famille et permis de vivre aisément sans me soucier de quoi que ce soit. Il est un acteur de développement social. Ses tentacules sont hors du Sénégal. Les Nigériens et les Maliens en ont aussi profité. Il nous a fait vivre du temps de nos papas et encore aujourd'hui, bien que des problèmes soient survenus.
Personnellement, je souhaite que les états du Sénégal et du Mali réparent cette erreur. Car c'est grossier de laisser le chemin de fer, qui a tant soutenu, agoniser. Pour nous, cheminots ou fils de cheminot, nos coeurs battent toujours pour le chemin de fe
r ».

Frédéric Diallo
Journaliste et directeur de Lemiroir-Sétoubifm
Thiès, Sénégal
hawabadiallo@yahoo.fr

Riche d'histoire, la ligne Dakar-Bamako peine à repartir

Dans son édition du 11 juillet 1885, sous le titre « Inauguration du chemin de fer Dakar/Saint-Louis », l'hebdomadaire français L'illustration précisait : « Tous ceux qui ont visité le Sénégal savent que la ville de Saint-Louis, sa capitale, est la plupart du temps inaccessible par suite des caprices de la barre qui obstrue l'embouchure du fleuve. Il arrive fréquemment que les navires soient obligés de séjourner des mois entiers d'un côté ou de l'autre de cette barre sans pouvoir la franchir, ce qui occasionne aux armateurs des pertes considérables d'argent et de temps et de compromettre à chaque instant l'approvisionnement et le ravitaillement de Saint-Louis ».
C'est dans l'optique de faciliter le transport des marchandises et des passagers que le chemin de fer « Dakar-Saint-Louis », fut construit puis inauguré le 6 juillet 1885, devenant le principal moyen de transport.
A mesure que le rail pénétrait dans l'intérieur du pays, des comptoirs s'établissaient à chaque station et de nouvelles villes se fondaient. La construction de la troisième ligne de chemin de fer, de Thiès (Sénégal) à Kayes (Mali), démarra en 1907. La quatrième ligne permit de relier Kayes à Koulikouro (Mali). Enfin, grâce au port fluvial de Koulikouro, des marchandises pouvaient être acheminées jusqu'au Niger, grâce au fleuve Niger. Avec le temps, le chemin de fer a ainsi servi de cordon ombilical entre le Sénégal et le Niger via le Mali, ancien Soudan français.

Symbole de l'égalité salariale

Si la construction de la ligne de chemin de fer fut un instrument de conquête militaire, politique et économique pour l'administration coloniale française, pour autant elle ne s'est pas faite sans heurts. Car comment parler de l'histoire du chemin de fer au Sénégal, et notamment de la ligne Dakar-Saint-Louis, sans parler de l'épopée de la traversée du royaume du Cayor et du combat mené pendant vingt ans par Lat-Dior Ngoné Latyr contre la présence coloniale française ?
Comment ne pas parler de la grève de 1947/1948, la plus longue que l'histoire coloniale française ait connue, faisant de la ville de Thiès le symbole de la lutte des cheminots pour l'égalité salariale ? Une lutte qui marqua le début de la marche vers l'indépendance. Riche de ses victoires, Thiès rayonnait dans les années 70. Mais l'âge d'or ne dura pas.
En raison d'importantes difficultés économiques, en 2003, les états du Sénégal et du Mali ont été contraints de privatiser la ligne. Transrail SA, société à capitaux majoritaires étrangers, a alors repris la gestion du chemin de fer.

En quête de nouveaux partenaires

Mais les problèmes n’allaient que s’accentuer. D’abord parce que les repreneurs abandonnent peu à peu le trafic passagers pour se concentrer sur le trafic marchandises. Dès lors, le long de la ligne, un grand nombre de petites localités qui vivotaient grâce aux arrêts du train se retrouvent orphelines. Ensuite, les investissements dans la rénovation des rails et du matériel roulant ne sont pas à la hauteur. Aux retards des trains s’ajoutent les retards dans le paiement des salaires, ce qui donne lieu à des grèves à répétition. Dix ans après sa privatisation, l’entreprise qui faisait la fierté et le gagne-pain des Thiessois est à l’agonie. 60 % d’entre eux ont un cheminot dans leur famille et dépendent du train.
En 2015, les états sénégalais et maliens ont décidé de reprendre la main sur le chemin de fer, qui a pris le nom de Dakar-Bamako-ferroviaire (DBF).
Pour autant, malgré les discussions avec de potentiels partenaires, la situation n'est toujours pas réglée. Au grand désespoir des Thiessois.

  • En savoir plus

Plongez-vous dans l'histoire du rail avec Vladimir Cagnolari :
> en ré-écoutant l'émission Si loin Si proche, " Thiès, quand le train sifflera "
> en lisant l'article " A Thiès, les glorieux fantômes du rail attendent de se réveiller "

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