«Le magasin des petits explorateurs», réflexion sur l’Autre depuis le XIXe siècle
A Paris, le musée du Quai Branly invite à faire un tour du monde peu ordinaire. « Le magasin des petits explorateurs » expose images et récits datant du XIXe siècle à nos jours, qui ont fondé la culture populaire française auprès de la jeunesse sur leur approche des sociétés d’ailleurs. Une incroyable leçon sur l’altérité.
Publié le : Modifié le :
Larguer les amarres pour de lointains horizons. Construit tel un navire, « Le magasin des petits explorateurs » est un voyage au long cours, une réflexion sur l’éducation et l’altérité. Comment, dès le XIXe siècle, les jeunes ont appréhendé le monde qui les entourait ? Non pas en voyageant physiquement mais en vagabondant mentalement, intellectuellement, à travers les récits, les images, les films, les jouets etc.
Et quelle découverte ! Robinson Crusoé et Vendredi, les cannibales, les sauvages, les sociétés barbares, les mondes hostiles, de quoi façonner un imaginaire plein d’ambivalences. Sur le pont, le visiteur peut ainsi croiser Balthazar, le roi noir de la crèche, le premier Noir de l’imagerie enfantine, les marionnettes maures, ennemies désignées des chrétiens,...
Une quête d’exotisme et d’aventure qui laisse une large place aux caricatures et au racisme. En démontre le vocabulaire utilisé de manière hiérarchique durant des décennies, surtout pendant la période coloniale, dans les ouvrages : de bamboula à moricaud en passant par nègre ou sauvage, une panoplie de mots racistes reflétant l’inégalité entre les sociétés. Les clichés xénophobes sont alors légion.
Robinson Crusoé de Daniel Defoe (1719) fait l’éloge de la colonisation par l’homme blanc, cependant qu'à la même époque, le botaniste et écrivain Bernardin de Saint-Pierre (ami de Jean-Jacques Rousseau) prône dans Paul et Virginie (1788) l’égalité des races et l’abolition de l’esclavage.
Des petits découvreurs bercés par les récits des grands explorateurs
Paradis ou enfer sur terre, les explorations dans le Pacifique des célèbres James Cook et Antoine de Bougainville au XVIIIe siècle offrent une nouvelle vision du monde aux Européens. Commencent à circuler des images de colportage représentant les sauvages des mers du Sud. Parallèlement, le temps est aux gravures telles que le Tableau comparatif des races et des costumes (1830) ou le Tableau des principaux peuples de l’Afrique (1797).
S’ensuivent différents récits de voyages qui inspirent les ouvrages de jeunesse,
dont ceux du célèbre Dumont d’Urville (publiés en 1835 et en 1854). La géographie devient à la mode et les éditions de jeunesse en profitent dès le début du XIXe siècle, avec des titres incroyables. Il suffit de contempler l’ouvrage de Louis-François Jauffret (1807), Géographie dramatique ou dialogues amusans (sic) pour aider les filles qui ont du mal à étudier la géographie.
Pour rêver, la jeunesse s’empare aussi de ces « magasins » ou « musées », des revues faites de courts articles et d’images de voyages, de sciences et de découvertes, et ce dès 1830. En 1833, Emile de Giradin fonde le Musée des familles. Il y publiera par exemple Le voyage en ballon de Jules Verne. Le journal des voyages (1877) popularise ensuite le genre, mêlant géographie et aventures. A défaut d’être ethnographe, la jeunesse voyage dans l’exotisme.
Puis vient le temps où l’aventurier cède sa place au reporter. Tintin au Congo, puis Tintin en Amérique sont écrits et dessinés en pleine période coloniale et publiés dans la revue Le petit vingtième.
Car la propagande coloniale bat son plein : l’aventurier héroïque part civiliser les peuples de sauvages. Dans les années 1930 apparaissent à côté des revues et magazines nombres d’objets parallèles, les bons points, les images à coller etc. Le cinéma n’est pas en reste. Chez les mangeurs d’hommes, un film de cannibalisme, fait fureur dès sa sortie en 1930, lors de l’exposition coloniale de Paris.
Mais que serait la littérature d’aventure jeunesse sans Tarzan, cet enfant naufragé élevé par des singes... Créé en 1912 par Edgar Rice Burroughs, aujourd’hui publié en 56 langues autour du monde, Tarzan vit dans la nature, loin de toute civilisation, avec des Africains, bons et méchants, au milieu de la jungle qu’il protège. Pilote Magazine de son côté, dès 1959, fera un tabac avec sa double page « pilotorama » sur les sociétés lointaines.
Des musées et du chocolat pour découvrir le monde
Les expositions universelles, la création de musées ethnographiques dans de nombreuses villes continuent de passionner les jeunes aventuriers par procuration. Pour alimenter cet entrain, les grandes marques de produits des colonies lancent les images cachées à l’intérieur des produits, au dos desquelles sont imprimées les légendes indiquant les aspects culturels des peuples. Le chocolat Poulain édite 123 millions d’images en 1900.
Arrivé à bon port, après s’être rempli les yeux de plus de 400 objets et documents, où la production destinée à la jeunesse de chaque époque se mêle à l’espace consacré au thème qui fut l’obsession de la fin du XIXe siècle (le Tour du Monde), le visiteur ne peut que constater combien « Le magasin des petits explorateurs » est une formidable réflexion sur l’éducation et l’altérité du XIXe siècle à nos jours.
►« Le magasin des petits explorateurs », Musée du Quai Branly - Jacques Chirac, Paris. Exposition du 23 mai au 7 octobre 2018.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne