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Hebdo

Afrique du Sud: la «ramaphorie» va-t-elle durer?

Au pouvoir à Pretoria depuis le 15 février, Cyril Ramaphosa a pour principale mission de mener son parti, l’ANC, à la victoire aux élections législatives d'avril 2019. Un objectif qui détermine les actions que le nouveau président sud-africain déploie pour relancer l’économie et lutter contre la corruption. Tout en ménageant le camp de son prédécesseur dont les neuf ans de gestion « prédatrice » ont conduit le pays au bord de l’abîme, selon les observateurs.

Prestation de serment de Cyril Ramaphosa, nouveau président de l'Afrique du Sud, face aux parlementaires, le 15 février 2018.
Prestation de serment de Cyril Ramaphosa, nouveau président de l'Afrique du Sud, face aux parlementaires, le 15 février 2018. REUTERS/Rodger Bosch
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« Ramaphorie » ? Ou faut-il plutôt parler de « ramaphobie » ? Les commentateurs sud-africains hésitent. Si, pour nombre d’entre eux, leur pays vit une grande période d’euphorie depuis l’arrivée au pouvoir de Cyril Ramaphosa, qui a fêté le 27 mai ses 100 premiers jours à la tête du pays, d’autres se demandent si les formidables attentes créées par l’entrée en scène de ce nouveau président vont se réaliser.

« Il est encore trop tôt pour dresser le bilan de l’action du nouveau gouvernement tant celle-ci est dictée d’une part par la situation laissée par son prédécesseur et par les impératifs des législatives prochaines que le Congrès national africain (ANC) ne peut se permettre de perdre, d’autre part », confie Anthony Butler, professeur de sciences politiques à l’université du Cap et auteur d’une biographie de Cyril Ramaphosa*. « Difficile de dire aujourd’hui avec une certitude quelconque si le nouveau chef de l'Etat a l’autorité ou la volonté requise pour sortir le pays du marasme », ajoute le biographe.

D'autant que le gouvernement a une marge de manoeuvre très étroite pour peser de manière significative sur les dossiers importants. L'ANC reste profondément divisé entre les pro-Ramaphosa et le camp Zuma, qui n'a pas dit son dernier mot et pourrait même mettre le président intérimaire en minorité et le neutraliser. La nouvelle direction du parti, issue du congrès de décembre dernier, demeure en effet également partagée entre les deux camps.

Du centre-gauche au centre-droit

Pour les observateurs de l’Afrique du Sud, il n’en reste pas moins que le 15 février 2018 a été un tournant dans la vie politique de ce pays. « Les Sud-Africains furent nombreux à se sentir soulagés de voir Ramaphosa l’emporter sur Ndlamini Zuma, candidate du camp Zuma », se souvient Anthony Butler.

C’est le jeudi 15 février que Cyril Ramaphosa a prêté serment devant le Parlement à Pretoria, devenant le cinquième président de l’Afrique du Sud post-apartheid. Il succédait à Jacob Zuma dont les neuf années à la tête du pays, jalonnées par des scandales de corruption et des tentatives de «  capture de l’Etat » par des prédateurs financiers proches du gouvernement, ont conduit le pays au bord du gouffre.

Pendant ces années fatidiques, l’économie sud-africaine a stagné, entraînant la dégringolade de la devise nationale, le rand, et la dégradation de la note souveraine du pays par les agences internationales de notation. Parallèlement, sur le plan politique, l'ANC, affaiblie par la crise économique et les accusations de corruption visant son élite noire, a vu son étoile électorale sérieusement pâlir. Les élections municipales de 2016 ont ainsi été marquées par la prise du contrôle par l’opposition de deux villes de premier plan comme Johannesburg et Pretoria.

« L’opposition misait, explique le biographe du président Ramaphosa, sur l’arrivée de Madame Ndlamini-Zuma à la présidence de l’ANC lors de son congrès de décembre dernier, entraînant dans son sillage la scission du parti de Mandela. Une telle éventualité, si elle devait se produire, aurait été désastreuse pour l’ANC et aurait sans doute permis à l’opposition libérale de remporter les prochaines législatives en s’alliant avec les factions dissidentes du parti historique de Mandela. L’élection de Ramaphosa, suivie du renvoi de Jacob Zuma de la présidence a, depuis, changé la donne ».

« Avec ce nouveau président qui occupe toute l’espace politique - du centre-gauche au centre-droit -, c'est l’opposition libérale incarnée par l’Alliance démocratique (DA) de Mmusi Maimane, tout comme la gauche représentée par les Combattants pour la liberté économique (EFF) de Julius Malema, qui doivent désormais se repositionner par rapport à l’ANC », poursuit Anthony Butler.

« Hype without action » ?

La publication par l'Alliance démocratique, à l’occasion de l’anniversaire symbolique des 100 jours du nouveau président, d'un rapport détaillé sur le bilan de ce dernier qualifié de hype without action (« battement médiatique sans action réelle », NDLR), est sans doute la preuve que l’opposition est gênée aux entournures par l’élection de Ramaphosa. Cela n'a pas empêché les auteurs du rapport de la DA d'attribuer au nouveau président une note de « 6 sur 10 » pour sa performance !

En effet, même les observateurs sud-africains les plus critiques du gouvernement s’accordent pour reconnaître que la confiance retrouvée dans l’avenir constitue le principal impact de la désignation à la présidence de Cyril Ramaphosa. Ancien syndicaliste et collaborateur de Nelson Mandela, devenu richissime homme d’affaires, le nouveau président inspire confiance, notamment aux investisseurs potentiels qui connaissent le passage remarqué que celui-ci a fait dans le monde des affaires. D'ailleurs dès l'annonce de la nomination de Ramaphosa à la présidence, la Bourse est repartie à la hausse et le rand s'est consolidé.

Première biographie du chef de l'Etat sud-africain.
Première biographie du chef de l'Etat sud-africain. Anthony Butler

« Certes, trois mois après l'intronisation de Ramaphosa, on attend toujours des mesures précises susceptibles de pousser les hommes d’affaires à changer leurs plans d’investissement à court terme, mais la nouvelle administration a su donner des gages sérieux en prenant notamment à bras le corps le problème des entreprises publiques gangrenées par la corruption », déclare Anthony Butler. « Elle a surtout repêché, poursuit le politologue, l’ancien ministre des Finances Pravin Gordhan, personnalité très respectée dans le milieu des affaires. Le coup de maître du président Ramaphosa a été de nommer Gordhan à la tête du ministère des Entreprises publiques, devenues le symbole de la "capture de l’Etat" qui fut la principale cause de la chute de la précédente administration. »

« En raison de leur gestion prédatrice, ajoute Butler,les entreprises parapubliques croulent aujourd’hui sous le poids de leurs dettes. Elles se montent à quelque 30 milliards d’euros, s'agissant du géant public de l’électricité Eskom, sans doute l'entreprise publique la plus mal au point ». Le coup de balai à la tête des entreprises d'Etat auquel le successeur de Jacob Zuma a procédé dès les premiers jours de sa prise de fonction, s’inscrit dans un vaste remaniement du personnel dirigeant dans l’administration et dans les ministères encore en cours.

Toute en applaudissant la réforme des deux mains, l'opposition appelle le gouvernement à aller plus loin dans la purge des éléments corrompus. Dans son rapport sur les 100 jours de Ramaphosa, Mmusi Maimane de l'Alliance démocratique reproche au nouveau président de tarder à se séparer d'autres ministres réputés corrompus et incompétents et n'hésite pas à citer des noms. Quant à l’opposition de gauche incarnée par le bouillonnant Julius Malema, elle pointe du doigt le budget d’austérité présenté par le gouvernement, sans prévoir la moindre mesure pour résorber le chômage, évalué à plus de 27%. La réaction la plus virulente à l'égard de ce budget est venue de la part de la centrale syndicale, la Cosatu, dont paradoxalement le président actuel fut l'un des fondateurs dans les années 1980. La centrale craint de voir Cyril Ramaphosa poursuivre un agenda pro-riches, pro-banques et pro-investisseurs.

Réformes agraires

Le gouvernement Ramaphosa est aussi attendu sur le terrain des réformes agraires, qui demeurent un sujet brûlant depuis la fin officielle de l’apartheid il y a plus de deux décennies et à l’approche des élections de 2019. Lorsque l’ANC est arrivé au pouvoir en 1994, le président de l’époque, Nelson Mandela, avait fait de la redistribution des terres une priorité, mais cette réforme programmée brille par son « manque de progrès », a reconnu Cyril Ramaphosa lui-même lors d’un récent atelier organisé par l’ANC.

Selon une étude parue récemment, la minorité blanche détient 73% des terres contre 87% à l’époque de l’apartheid. Comment réparer cette injustice historique, sans porter atteinte à l’agriculture qui reste largement aux mains des Blancs, comme d'ailleurs le reste de l’économie sud-africaine ? Tel est le dilemme auquel se trouve confrontée l’administration Ramaphosa.

« Cette question est devenue urgente car l’ANC, qui est au pouvoir depuis vingt-quatre ans, a tardé à s’en occuper, s'indigne Anthony Butler. Le gouvernement est aujourd'hui sous pression pour changer la Constitution, autorisant l’expropriation sans compensation des terres agricoles au profit de la majorité noire. Ramaphosa s’y est refusé jusqu’ici, demandant qu’on explore d’abord pleinement la possibilité de distribuer les vastes étendues de terre que possèdent l’Etat et ses entreprises parapubliques. »

« Pour corriger cette injustice historique, le gouvernement dispose au moins de trois alternatives, explique Butler. Soit il rachète les terres à des fermiers blancs qui font de l’agro-business mais qui veulent aujourd’hui vendre car ils sont proches de la retraite, mais ne trouvent pas de preneurs dans le privé. Soit le gouvernement fait un deal avec les autorités traditionnelles comme l’Ingonyama Trust qui possède quelque 2 700 000 hectares dispersés dans la province du KwaZulu-Natal ou, enfin, dans les régions urbaines, il lance une opération pour la récupération des terres appartenant à des municipalités ou à des entreprises publiques, des terres situées en périphérie des villes, servant entre autres de terrains de golf pour les plus riches ». Et le politologue d’ajouter : « Quelle que soit l'option retenue, le thème de la réforme agraire sera au cœur de la campagne des élections générales de 2019 ».

Cette question sensible des réformes agraires est emblématique de la situation compliquée dans laquelle se retrouve Cyril Ramaphosa. Une situation que Butler comme d’autres commentateurs qualifient d’« impossible », car le successeur de Jacob Zuma est tiraillé entre des attentes tellement contradictoires : celles des milieux d'affaires qui espèrent que le nouveau président va définitivement inscrire le pays dans la voie du capitalisme et du marché libre permettant à l’économie sud-africaine d'enregistrer des taux de croissance à deux chiffres et les attentes de la gauche préconisant la voie socialiste fondée sur une meilleure distribution de richesses parmi la majorité noire trop longtemps marginalisée.

« Les 100 jours ne sont pas suffisants pour comprendre vers quelle sensibilité idéologique son instinct va finalement conduire le nouveau président », prévient son biographe, appelant les observateurs à ne pas se fier au sentiment d'euphorie qui domine le pays depuis trois mois, mais qui risque de ne pas durer.


* Cyril Ramaphosa, Oxford University Press, James Currey, 2008 (non traduit en français)

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