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Afrique / Marxisme

Marx et les Africains: le socialisme à l’épreuve des indépendances (2/2)

Malgré la fascination qu’a exercée l’idéologie révolutionnaire marxiste pendant la décolonisation, aucun Etat africain libéré du joug colonial ne s’est engagé dans la voie de la construction du socialisme selon le modèle marxiste-léniniste. Est-ce que la pensée communiste basée sur la justice sociale et l’égalité a encore de l’avenir en Afrique ?

Karl Marx en 1875.
Karl Marx en 1875. International Institute of Social History/John Jabez Edwin Mayal
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C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à la faveur de la lutte contre la colonisation, que le marxisme prend véritablement racine en Afrique. « La contribution de la pensée marxiste a été primordiale pour la libération nationale dans les pays de l’Afrique occidentale », affirme Samba Sy, ministre du Travail au Sénégal dans le gouvernement de Macky Sall et l’une des grandes figures de la gauche communiste sénégalaise avec Abdoulaye Bathily, Amath Dansokho et Landing Savane.

Des « alliés naturels »

« Je pense plus particulièrement, poursuit le ministre, au rôle fondamental joué dans la prise de conscience générale par le PAI (Parti africain de l’indépendance, NDLR), qui fut le premier grand parti communiste de l’Afrique occidentale et la matrice dont sont issus les partis et les organisation d’extrême-gauche de toute la sous-région. Les campagnes organisées par le PAI avaient inscrit les revendications de libération nationale dans la conscience populaire ».

Le PAI fut créé en 1957 par le turbulent leader étudiant Majhemout Diop. Celui-ci s’était fait connaître en publiant quatre ans plus tôt dans la revue Présence Africaine un article appelant à la fin immédiate de la colonisation française : « L’unique issue : l’indépendance totale ». L’homme avait rappelé dans son article que les communistes étaient les « alliés naturels » des peuples coloniaux, engagés dans la voie de la révolution nationale et la transformation sociale.

Les années 1940-50 furent en Afrique des années de bouleversements majeurs qui ont conduit à l’indépendance à partir de 1960. Les leaders politiques africains de l’époque, tout comme les syndicalistes et surtout les étudiants africains, qui étaient au premier rang des combats anticolonialistes, étaient fascinés par la pensée marxiste à l’œuvre à l’époque dans les pays de l’Est. Compte tenu des progrès réalisés dans ces pays passés, en l’espace de trois décennies, de l’arriération et le sous-développement industriel à la modernité, le communisme était perçu comme propice au développement et surtout émancipateur. D’autant que l’Union soviétique soutenait les luttes pour l’indépendance des pays africains.

Dans ce contexte, les associations étudiantes se sont révélées particulièrement dynamiques, prônant le radicalisme pour mieux sensibiliser leurs troupes à la pensée marxiste. C’était le cas de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), mouvement historique qui pendant près de 30 ans, de 1951 à 1980, année de sa dissolution par le gouvernement français, a réuni les étudiants africains poursuivant leurs études en France.

Il s’agissait d’étudiants particulièrement politisés, dont les livres de chevet, selon une enquête menée par la chercheuse africaniste Françoise Blum, avaient pour titres, entre autres : L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (Lénine), Le marxisme et la question coloniale et nationale (Staline) L’accumulation du capital (Rosa Luxembourg), ou encore La démocratie nouvelle (Mao Tsé-Toung). Il n’est donc guère étonnant que les étudiants qui militaient au sein de la FEANF dans les années 1950, « furent, comme l’écrit la chercheuse africaniste, incontestablement des précurseurs dans la formulation radicale de l’idée d’une indépendance à acquérir par la voie révolutionnaire ». L’enjeu était double : tourner définitivement la page du colonialisme et gagner l’Afrique au socialisme scientifique.

Les expériences socialistes

Si le but de tourner la page du colonialisme, du moins sous sa forme de domination politique, a pu être atteint dans les années 1960-70 pour la grande majorité des 55 pays que comptelUnion africaine, l’objectif d’instaurer le socialisme scientifique à travers le continent s’est avéré beaucoup plus compliqué à mettre en oeuvre.

Certes, on a vu à partir de 1969 des régimes inspirés du modèle soviétique se mettre en place, mais sans que cela entraîne une véritable transformation sociale dans les pays en question (Angola, Bénin, Congo-Brazzaville, Ethiopie, Madagascar, Mozambique et Somalie). Pour la plupart de ces régimes communistes arrivés au pouvoir dans le contexte de la Guerre froide lorsque l’Afrique était un enjeu pour les deux superpuissances de l’époque, le marxisme-léninisme n’était qu’un jargon vide, synonyme de tyrannie et accès aux financements soviétiques. D’ailleurs, ces Etats se sont écroulés lorsqu’à la fin des années 1980, l’URSS économiquement exsangue a fermé le robinet d’aide et a réclamé aux Africains le remboursement des 25 milliards de dollars qu’elle leur avait prêtés depuis trente ans.

Plus intéressantes sont sans doute les expériences socialistes, tentées avec des fortunes diverses et variées, dans un certain nombre de pays africains depuis les indépendances. Elaborées et mises en pratiques par les chefs d’Etats eux-mêmes dont le présidentSenghor au Sénégal, Julius Nyerere en Tanzanie, Kwame Nkrumah au Ghana, Kenneth Kaunda en Zambie, elles s’appellent « consciencisme » au Ghana, «  négritude » au Sénégal, «  ujamaa » (signifiant « familialisme » en swahili ou « humanisme  » tout court en Zambie. Elles ont en commun la référence aux traditions africaines de solidarité et de bien-être, le mot d’ordre étant de penser en Africains, pour les Africains, à partir des réalités africaines.

« Pour les initiateurs de ces expériences socialistes, explique Souleymane Bachir Diagne, l’athéisme et la lutte des classes étant des notions étrangères à l’Afrique, il fallait réaménager le marxisme, l’indigéniser pour rendre le modèle communiste viable et porteur d’espoir. » Car, comme le rappelle le philosophe sénégalais, citant de mémoire le Ghanéen Kwame Nkrumah, « Nous ne faisons face ni à l’Est ni à l’Ouest, mais à l’avenir ».

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