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Cinéma / Racisme

Cannes: 16 comédiennes dont «Noire n’est pas le métier»

Elles sont 16, des têtes d’affiche aux seconds rôles, à avoir témoigné dans Noire n’est pas mon métier. Publié à l’initiative d’Aïssa Maïga, actrice de théâtre et de cinéma, ce livre brise la loi du silence. Sans craindre de représailles ou de se retrouver « black-listées » – sans jeu de mots – chez les producteurs, ces femmes noires et françaises racontent les difficultés qu’elles ont à trouver de vrais rôles qui ne les réduisent pas à leur couleur de peau.

La couverture du livre «Noire n'est pas mon métier» (Seuil).
La couverture du livre «Noire n'est pas mon métier» (Seuil). Seuil
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Tout un symbole : la chanteuse burundaise Khadja Nin, membre cette année du jury du Festival de Cannes, a accueilli à bras ouverts les 16 comédiennes noires qui ont écrit Noire n’est pas mon métier. Toutes vêtues de noir et de blanc, choix symbolique, elles ont souri et dansé un instant sur le tapis rouge, devant les objectifs. Trois petits tours et puis s’en vont ? Pas vraiment : leur livre, paru aux éditions du Seuil, a été épuisé au bout de quelques jours. Il promet de devenir un best-seller.

Chacune de ces femmes, connues comme Sonia Rolland ou moins connues, délivre sa part de vérité dans un court texte, traitant d’un aspect différent de leur existence de comédienne noire. Ici, un presque viol par un acteur en vue, là, des rebuffades lors de castings, ou l’analyse au scalpel d’une carrière faite de seconds rôles de « maman ou de putain » africaine.

Pour Aïssa Maïga, fille de journaliste malien, arrivée en France à l’âge de 4 ans et élevée en région parisienne, tout est parti de cette question toute simple : « Comment se fait-il que dans un pays où j’ai grandi normalement, dans des collèges publics, ayant appris les mêmes textes littéraires que les autres, on m’explique les yeux dans les yeux que je ne peux pas interpréter des rôles du répertoire classique ? »

Des rôles de Noires

La comédienne n’a pas peur d’appeler un chat un chat. Elle a signé une splendide introduction au livre Noire n’est pas mon métier, pour le situer dans le double contexte de racisme et de sexisme. Elle mentionne la libération de la parole de la femme outre-Atlantique (avec le phénomène #MeToo) et un « terrible impensé » en France, qui découle de la méconnaissance générale de l’histoire coloniale et post-coloniale. Elle remue aussi le couteau dans la plaie, en pointant cet « inconscient » colonial chez des réalisateurs ayant « le cœur à gauche, prompts à militer pour les droits des sans-papiers hier et des réfugiés aujourd’hui, mais si difficilement prêts à offrir une narration incluant les "autres", les non-Blancs, dans leurs films, téléfilms et pièces de théâtre ? »

En 2015, Aïssa Maïga se déclarait déjà « personnellement discriminée, parce qu’on n’a pas voulu me recevoir dans des castings ». Explication : « On voulait une jeune fille d’une vingtaine d’années, et quand j’arrivais, on me regardait comme si je venais d’une autre planète. J’aurais dû faire des caméras cachées. Les gens auraient du mal à se regarder en face aujourd’hui, car il existe en France une forme d’oubli, de déni des attitudes racistes au quotidien. Mais nous, nous les avons vécues ! Quand j’en parle à d’autres comédiennes noires, nous nous racontons beaucoup d’anecdotes ! En faire un recueil serait très drôle… »

Trois ans plus tard, le recueil existe et, dans le fond, il n’est pas si drôle. Trop édifiant, pour en rire, sur l’état d’esprit qui peut prévaloir en France. Et ce même dans une industrie réputée aussi « progressiste » que celle du divertissement.

La loi du silence

Exemple : Shirley Souagnon, humoriste, raconte comment elle a voulu contourner les obstacles en fondant en 2016 une agence présentant comédiens et réalisateurs noirs. « Pour que les directeurs de casting arrêtent de dire sans cesse qu’il n’y a "pas assez de bons acteurs noirs en France". Je ne pensais pas du tout susciter un tel intérêt. J’ai reçu bon nombre de demandes de directeurs de casting et j’ai très vite abandonné le projet : les propositions que l’on m’envoyait ne valaient pas le coup d’être transmises. Je ne pouvais pas me permettre de proposer : "Cherche femme noire. Rôle : maman avec deux enfants, vient d’Afrique en Suisse pour chercher du travail". J’ai très vite abandonné l’idée de me torturer à filtrer ces offres de travail régressives ».

Noire n’est pas mon métier dépasse le cadre strict de la problématique de la diversité au cinéma et au théâtre, en brisant le silence sur des expériences de femmes noires et françaises, très souvent réduites dans le regard de l’autre à leur physique.

« Un ami comédien m’avait dit de ne pas parler de ça à la télévision, parce qu’on n’aurait plus de rôles dans les films, disait Aïssa Maïga en 2015. Mais je ne vais pas laisser le champ de cette discussion à des hommes blancs de 55 ans qui prennent les décisions ! ». Les comédiennes de Noire ne sont pas seules, pour autant, comme le conclut l’actrice dans son introduction au livre.

Un pavé dans la mare

D’autres protestent ouvertement, en effet. Sont-ils entendus ? C’est une autre question. Ils ont par exemple témoigné dans un numéro spécial du magazine Alternatives théâtrales sur « Quelle diversité sur les scènes européennes ? » après des rencontres au Festival d’Avignon, au 104 à Paris et au théâtre Varia à Bruxelles.

L’acteur belge Soufian El Boubsi, souvent sollicité pour jouer « l’Arabe » – dealer, petite frappe – revendique un autre répertoire et, surtout, la liberté. Ce qui implique de dépasser la « diversité » elle-même, en tant que possible ghetto : « Le risque, écrit-il, est de voir la diversité réduite à une case programmatique ou à la personnalité d’un artiste, qui par sa présence servirait en quelque sorte de caution. Dans cette logique poussée  à l’extrême, chaque lieu chercherait alors à s’attacher son « divers », doux euphémisme pour nommer autrement ce qu’on appelait avant son Arabe ou son Noir de service ».

En France, dans un contexte de débat sur « l’intégration » souvent plombé en raison de ses dimensions politiques, les comédiennes noires ne veulent plus être « de service ». Elles ont lancé un pavé dans la mare, en espérant qu’il devienne une pierre à l’édifice – celui d’une société multiraciale et prête à s’accepter comme telle.

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