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Cinéma

Biennale de Dakar: trois films de Wasis Diop à l’affiche

Le compositeur Wasis Diop, attendu pour ses albums, présente trois films durant la Biennale de Dakar. Tout en travaillant à ses chansons et des musiques de film, il ne cesse de tourner des images, depuis plusieurs années. Pas seulement pour témoigner de la vie de Joe Ouakam, fondateur du laboratoire Agit’art, ou encore de Bouna Medoune Seye, artiste underground et figure de Dakar, tous deux disparus en 2017. Son principal documentaire, Une Afrique fantôme, s’attaque à un sujet sensible et difficile : les crimes rituels.

Wasis Diop en concert à Saint-Louis Jazz en avril 2017.
Wasis Diop en concert à Saint-Louis Jazz en avril 2017. Sabine Cessou / RFI
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Comment les rites de sacrifice humain, courants en Afrique centrale, mais pas dans le Sahel, ont-ils fait leur apparition au Sénégal ? À partir de cette question toute simple et de sa propre indignation, Wasis Diop a décidé de prendre sa caméra pour chercher des réponses. Son film est d’autant plus d’actualité que des manifestations pour protester contre les enlèvements d’enfants ont eu lieu cette année à Dakar.

Tout est parti d’une visite au cimetière de Soumbedioune, à Dakar, où un gardien lui a raconté comment le corps mutilé et sans vie d’un enfant a été retrouvé un jour aux portes du cimetière, en pleine période électorale, avant la dernière élection présidentielle. « C’était un garçon de six à sept ans, raconte le gardien dans le film. On l’a retrouvé dans une mare de sang. Il lui manquait un bras et des organes ».

Une réflexion toute en nuances

Choqué par l’avidité des hommes politiques, fortement soupçonnés d’être les commanditaires de ces meurtres pour s’assurer la conquête du pouvoir, Wasis Diop a déroulé une réflexion toute en nuances sur l’un des sujets qui le préoccupe le plus : la puissance de la pensée magique en Afrique. Son titre, inspiré du livre L'Afrique fantôme de Michel Leiris (Gallimard, Paris, 1931-33), va bien au-delà du constat :

« Oui, c’est terrible ! Et alors ? J’ai voulu remonter cette histoire qui est un héritage, comme celui de la Grèce antique avec Iphigénie, fille sacrifiée par un Grec pour qu’il pleuve, toujours pour servir le pouvoir des hommes, de la communauté, du village. Le sacrifice humain est connu dans la littérature, mais chez nous, ce n’est pas de la littérature et il n’est pas pratiqué pour la communauté, mais le besoin d’une seule personne. C’est extraordinaire ! On vole des enfants et on leur enlève des organes pendant qu’ils sont vivants. C’est atroce, et l’opinion voit ces crimes comme un fait divers. Personne n’essaye vraiment de comprendre. »

Cette pensée archaïque, si elle n’est pas propre à l’Afrique, persiste sur le continent. Elle témoigne d’un système de valeurs qui s’est imbriqué avec la modernité, la violence du libéralisme. Joseph Tonda, anthropologue et écrivain gabonais, explique les fondements de ces pratiques : « On tue des gens pour prélever leurs organes de préférence quand ils sont vivants selon un principe criminel : tant que la personne est vivante, sa souffrance signifie une énergie, que l’on va chercher à s’approprier. »

Le film ne comporte qu’une seule image choquante et laisse l’imaginaire partager la révolte intelligente de Wasis Diop. Les illustrations sont surtout des paroles, crues parfois : « Les cœurs, explique Joseph Tonda, sont prélevés par des gens qui veulent eux-mêmes être vus comme des cœurs, être aimés ; les organes sexuels aussi, à cause du désir de l’amour de la séduction ; et la langue pour les mêmes raisons… » L’auteur reste en retrait. On ne l’entend qu’à deux reprises poser des questions, dont celle-ci : « Est-ce qu’il ne faudrait pas interdire ces pratiques ? ».

Une œuvre encore confidentielle

Ce travail au long cours, réalisé sur les deux dernières années, s'inscrit dans une œuvre méconnue, car confidentielle. Directeur artistique sur les plateaux de tournage de son illustre frère Djibril Diop Mambéty, dont le film Hyènes (1992) est à nouveau présenté à Cannes cette année, cet amoureux de la photo et du dessin n’a jamais vraiment laissé tomber l’image. Même s’il a choisi d’aller vers la musique dans les années 1970, après le tournage de Touki Bouki (1973), le premier long-métrage de son frère.

Wasis Diop ne cesse de tourner, le plus souvent à Dakar, pour faire témoigner les personnes qu’il respecte ou documenter les sujets qui l’intéressent. « Ce sont mes carnets de voyage, explique-t-il. A travers la musique, j’ai la possibilité de voyager mais sur tout ce que je vois, ce que j’entrevois, je m’interroge. Ce que je ne peux pas dire dans les chansons, j’essaie de le capter par l’image. » Avec ce documentaire, il fait preuve de courage et d’une forme rare d’honnêteté intellectuelle, en prenant ses responsabilités d’artiste pour poser sur la place publique un sujet tabou.

« J’ai remarqué que les Africains tiennent beaucoup à raconter la beauté de l’Afrique, dans une sorte de narcissisme moderne avec lequel je veux rompre, personnellement. L’Afrique n’est pas forcément ce qu’on en dit : elle est belle, mais comporte aussi sa part de violence, et même d’extrême violence, dans les cœurs et dans les esprits. Ne pas le dire, c’est comme révéler la partie émergée de l’iceberg, sans penser au Titanic. La mer est bien belle, mais elle est dangereuse ! »

Construction d'un patrimoine national

Comment sortir de l’obscurantisme ? Ce film invite les spectateurs – d’abord et avant tout Africains – à remettre en question le « rouleau compresseur » de la pensée magique, qui procède à la fois du jeu et de la violence. Cette logique archaïque précède les combats de lutte traditionnelle au Sénégal, par exemple, ou préside à la fabrication des plus banals gri-gris.

En prenant la peine d’aller chercher des images, Wasis Diop participe à sa manière à la construction d’un patrimoine national, en livrant entre les lignes des parts de l’histoire du Sénégal. Il a tourné entre autres un poème filmé sur Saint-Louis, Les figues de Barbarie, et un premier documentaire sur Joe Ouakam qui a déjà fait le tour des festivals. Parmi ses prochains sujets figure le héros populaire Yadikoon Ndiaye, légende urbaine et Robin des bois de Dakar, qui volait aux riches pour donner aux pauvres.

Projections de Issa Samb (homage à Joe Ouakam) à l’Institut français de Dakar le 7 mai à 21 heures, au restaurant Bideew, d’Une Afrique fantôme le 9 mai à 18h30 à l’Institut français et de Bouna Medoune Seye en mai durant la biennale sur le site du Laboratoire Agit’art, ancien marché malien, près de la gare de Dakar.

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