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Kenya / Serbie

Fan de Tito, Steve Hannington, le plus yougoslave des chanteurs kényans

Dans les Balkans, Steve Hannington est une star. Envoyé à Belgrade en 1965 par son père, un des leaders indépendantistes kényans, il tombe vite amoureux de la Yougoslavie, aujourd'hui disparue. Il ne rentrera à Nairobi qu'en 1991, quand les combats commencent en Croatie. Avant finalement de revenir un quart de siècle plus tard dans « [sa] seconde patrie ».

Un partisan de l'ancien leader communisteTito lors de l'anniversaire de sa naissance, le 25 mai 2009, à Belgrade, en Serbie.
Un partisan de l'ancien leader communisteTito lors de l'anniversaire de sa naissance, le 25 mai 2009, à Belgrade, en Serbie. ANDREJ ISAKOVIC / AFP
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« Tout ce que je dis, je le tiens de Tito ! » Avec ses dreadlocks grisonnantes et ses tenues africaines, Steve Hannington ne passe pas inaperçu dans les rues de Belgrade. « Le président yougoslave, c'était un homme ouvert, déclare-t-il. Son discours allait bien au-delà de la politique : il disait que les gens étaient tous frères, qu’il fallait s’entraider et vivre ensemble sans haine ni guerre. Je suis toujours son plus grand admirateur ! »

Né Jungo Chokwe le 4 janvier 1949 à Nairobi, la capitale, Steve Hannington quitte le Kenya à quinze ans, au milieu des années 1960, pour venir étudier en Yougoslavie. Son père, Timothy, l’un des meneurs de la rébellion Mau Mau contre la couronne britannique, deviendra le premier président noir du Parlement kényan. C'est lui qui l'a envoyé en Europe, dans ce pays socialiste qui avait ardemment aidé la lutte des siens pour l'indépendance.

« Il y avait beaucoup d'étudiants africains à Belgrade. On logeait à la résidence universitaire Patrice Lumumba, se souvient Steve Hannington. On côtoyait aussi des Latino-Américains. Avec les Yougoslaves, on se retrouvait tous au centre de la culture Vuk Karadžić. »

À l'époque, la Yougoslavie socialiste du maréchal Tito était l'une des nations phares des non-alignés. Ce mouvement, né en pleine guerre froide, rassemble (toujours) les pays qui se positionnaient entre les deux blocs, essentiellement en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Après avoir soutenu la décolonisation, envoyant armes, hommes et argent, Belgrade a ensuite mis en place une intense coopération économique et technologique pour favoriser le développement de ses partenaires du tiers-monde.

« Avant d'arriver ici, je n'avais jamais entendu parler de la Yougoslavie, avoue avec modestie Steve Hannington. Mais je me suis vite intégré. J'ai appris le serbo-croate et c'est vite devenu ma deuxième patrie. » Son bac en poche, le jeune Kényan étudie la psychologie. Puis il se met à la guitare et change radicalement de voie, préférant se consacrer à la scène.

Icône noire yougoslave

Steve Hannington enregistre un premier 45 tours assez confidentiel en 1977 et connaît un petit succès trois ans plus tard avec le single Hej Afrika. Il lui faut attendre encore un an de plus pour devenir une véritable vedette. « C'est la pub pour Kluz, une marque de vêtements, qui m'a vraiment fait connaître. À l'époque, un Noir à la télévision nationale, ça surprenait encore beaucoup dans les Balkans ! »

Au moment où le spot cartonne sur les petits écrans, la Yougoslavie pleure toujours le maréchal Tito, son père fondateur, mort au printemps précédent, en 1980, dans un hôpital de Ljubljana. Plombée par une dette abyssale, la fédération socialiste s'enfonce peu à peu dans une irrémédiable crise, politique, économique et sociale.

Pour Steve Hannington, les années 1980 marquent au contraire l'apogée de sa carrière. « Partout où j'allais, les gens me reconnaissaient, raconte-t-il. En Croatie, en Bosnie, au Monténégro... À l'époque, il n'y avait pas de frontières, on voyageait facilement. » L'icône noire yougoslave gagne aussi un surnom plus local, « Steva Šumadinac », tiré de la Šumadija, une région rurale du centre de la Serbie.

Il enregistre deux albums pour PGP-RTB, la maison de disques de la Radio-télévision de Belgrade : le très disco Alulu Songs, en 1984, puis l'ovni Vama S Poštovanjem, en 1987, dont la plupart des chansons sont chantées en serbe. « Aussi étonnant que cela puisse paraître, pour moi, les folklores swahilis et balkaniques se marient très bien ensemble. » Avec sa drôle de fusion yougoslavo-kényane, Steve Hannington enchaîne les plateaux télévisés et les duos avec les vedettes locales.

Orphelin d'un pays disparu

En 1991, tout s'effondre. Pour Steve comme pour la Yougoslavie. Le 25 juin, la Croatie et la Slovénie déclarent unilatéralement leur indépendance. L'armée populaire, aux ordres du dirigeant nationaliste serbe Slobodan Milošević, se déploie. C'est le début d'une décennie de guerres dans les Balkans, qui s'étendront en Bosnie-Herzégovine puis au Kosovo.

Orphelin d'un pays disparu, Steve Hannington repart au Kenya. Une période compliquée après un si long exil : « Du socialisme yougoslave, je suis brutalement passé au capitalisme, se souvient-il. À Belgrade, j'avais tout, un nom, un métier. À Nairobi, je n'avais qu'une maison. »

En 2016, il finit par revenir dans la capitale serbe. Entre-temps, les rides ont strié son visage toujours souriant, mais les Serbes ne l'ont pas oublié. « Les gens d'ici m’aiment toujours, s'émeut Steve. Ils me considèrent comme l’un des leurs, et moi aussi, je me considère comme un Yougoslave. »

Mais en 25 ans, la transition, jamais achevée, a fait des ravages dans les Balkans. En Serbie, les salaires stagnent autour de 350 euros et pour les jeunes, la seule perspective d'éviter le chômage se résume à partir à l'étranger. « Tous les Yougoslaves étaient des frères, ils travaillaient ensemble, ils se mariaient. Cela a beaucoup changé. Avant, les gens souriaient, maintenant, il y a beaucoup de tensions. »

La musique adoucissant les mœurs, Steve donne toujours de la voix même s'il vit désormais chichement. Il a aussi monté une association d'amitié serbo-kényane « pour restaurer la paix, l'amitié et la compréhension entre les peuples. »

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