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Droits des Femmes

Kiyémis, «femme, noire et grosse» entremêle art et politique

À 25 ans, Kiyémis conjugue son action à tous les temps et sur tous les fronts. Blogueuse, militante et auteure, elle accorde ensemble luttes et vie personnelle, passion et réalisme, sans jamais se départir d’un optimisme communicatif. Rencontre avec une poétesse engagée, ou peut-être est-ce le contraire.

Kiyémis, auteure et militante.
Kiyémis, auteure et militante. Kiyémis
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« Je ne sais pas si je suis une mosaïque ou un mélange, mais en tout cas je suis pas un bloc. Je suis une femme, noire, grosse, et c’est moi. » Du haut de ses 25 ans, Kiyémis s’assume et s’affiche, sans honte ni vantardise. Née en région parisienne, celle qui se définit comme « blogueuse et auteure afroféministe » a grandi entre Bobigny et Paris, avant de s’installer à Lyon. Présente sur Twitter depuis 2012, elle anime à partir de la fin 2014 son blog, sur lequel elle partage aussi bien ses lectures et ses réflexions sur la vie, que, surtout, ses colères politiques.

De l’agacement, de l’énervement, de la rage même, cette militante n’en manque pas. Parce qu’elle a réalisé, au fil des expériences et des rencontres que « certains mythes, certaines promesses construites par la France sont fausses », ne se retrouvent pas dans son quotidien de femme noire. Parce qu'« un peu naïve jusque-là », elle s’est rendu compte entre 17 et 20 ans que la fameuse devise française « Liberté, égalité, fraternité » était battue en brèche par la réalité de ce qu’elle vivait. Parce que, enfin, « en apprenant, en parlant, en lisant », elle a vu à quel point ses « expériences individuelles sont collectives », partagées par de nombreuses femmes noires dans l’Hexagone. Alors elle s’est posé la question qui change tout : « Maintenant, qu’est-ce qu’on fait » ?

Grande lectrice et amoureuse des mots, elle a pris son clavier à deux mains pour « exiger l’égalité ». Dès son tout premier post, le ton est donné : sa « voix mérite d’être entendue. Pas plus, mais certainement pas moins qu’une autre ». Depuis, les mots se sont affirmés, certaines pensées ont évolué, le blog a pris son envol, mais le discours fondateur ne change pas. Kiyémis reste cette « fille noire et ronde » qui n’a « aucune mention inutile à rayer ».

Une parole volubile et précise

A la lire, on pourrait imaginer quelqu’un de vindicatif, voire d’emporté. Pourtant, en interview, c’est tout le contraire. Kiyémis parle calmement, clairement, cherche parfois ses mots pour formuler au mieux sa pensée. La jeune femme s’exprime bien, très bien, ce qu’elle attribue aussi bien à ses nombreuses lectures et son parcours universitaire – après une licence d’histoire, elle suit un master de sciences politiques – qu’à « beaucoup de conversations, de discussions » avec son entourage. Là encore, Kiyémis se pose en « mosaïque », elle qui possède à la fois la « culture légitime » à laquelle « on fait beaucoup confiance en France » et une certaine expérience de la vie.

Volontiers pédagogue, elle explique, sans jamais mépriser son interlocuteur, pourquoi certaines expressions lui posent problème. Elle évite le terme d’identité – « utilisé pour disqualifier les notions de racisme, de sexisme, comme questions secondaires qu’il ne faut pas traiter » - ou celui de communautarisme, employé comme attaque pour empêcher l’autre de s’exprimer.

La voix toujours pleine d’émotion, elle raconte en quoi, a contrario, le mot-valise afropéenne, qu’on retrouve en sous-titre de son blog, lui « parle beaucoup […] en tant que Française, qui a grandi en France, mais dont les deux parents sont Camerounais ». Cette étiquette auto-apposée « revendique bien » son identité, dans une France qui « demande beaucoup » aux afro-descendants de « se dissoudre ».

L’afroféminisme, une évidence et une nécessité

Ce refus de s’effacer se retrouve aussi dans le militantisme de Kiyémis, construit tout au long de sa vie, avant même de connaître le terme afroféministe. Par ses parents, notamment sa mère qui lui « faisait toujours remarquer l’absence de femmes noires à la télé », elle a « baigné très jeune » dans un discours qui lui a « permis de réfléchir à comment les femmes noires vivent dans la société française ». Même si elle s'est nourrie par la suite de références nord-américaines ou anglaises, elle s'inscrit donc avant tout dans la situation actuelle de l’Hexagone, avec ses préjugés et ses inégalités.

En tant que femme noire en France, elle n’est pas confrontée « de la même façon » aux questions de sexisme et de racisme que d’autres. Par exemple, raconte la néo-lyonnaise, le regard sur sa féminité « est faussé ». Des problèmes que n’abordent pas, ou très peu, les féministes françaises des années 1970, d’où la nécessité d’une lutte spécifique. Kiyémis cite Le ventre des femmes de Françoise Vergès, s’enflamme et s’interroge à voix haute : « Pourquoi on ne parle pas de la coordination des femmes noires, qui pourtant existe dans les années 1970 ? Pourquoi a-t-on besoin de passer par les féministes nord-américaines ? Pourquoi, même, ne connait-on pas les féministes anglaises, pourtant voisines de la France ? » A ses yeux, pas de doute, « dans le féminisme français, tout est à questionner, à repenser ».

La lutte contre la grossophobie, discrimination invisible

Militante dans toutes ses facettes, Kiyémi lutte aussi contre la grossophobie, elle qui a des rondeurs. Une révolte peut-être plus dure encore, « parce que c’est peu un sujet en France. Ça interpelle beaucoup moins que le racisme et le sexisme, alors même qu’être grosse est aussi un facteur de discrimination ». Valoriser les corps gros, « ce n’est pas vu de façon positive », dans une société qui ne voit la grosseur que de « façon médicale, sur le plan du problème de santé publique ».

Pour toutes ses luttes, Kiyémis a du travail, dans une société qui perçoit encore trop souvent les luttes afroféministes comme menaçantes, voire dangereuses et qui ne considère pas la lutte contre la grossophobie comme « légitime ». Heureusement, elle est une « incurable optimiste », qui sait « s’entourer de personnes qui veulent changer les choses » et « se créer des espaces sains ». Face à l’adversité, la militante est parfois « dans l’éducation, même si c’est difficile d’éduquer quelqu’un qui pense déjà tout savoir ». A d’autres reprises, elle se contente « d’ignorer la personne », pour se concentrer sur ses besoins.

L’écriture, c’est comme se gratter

Et notamment sur ses écrits, que ce soit sur son blog, pour elle, ou pour être publiée. Kiyémis a commencé l’écriture à « huit ou neuf ans, parce que la télé était dans la chambre de [ses] parents ». Très jeune, elle ressent un véritable besoin de coucher ses mots sur du papier – ou sur un clavier d’ordinateur. « Il y avait des mots » dans sa tête « et il fallait qu’ils sortent, c’était comme respirer ».

Aujourd’hui, avec l’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux, cela lui vient de façon moins évidente. Elle a du « apprivoiser de nouveau » son écriture, prendre le réflexe de « mettre son téléphone en mode avion » avant de sortir son carnet, mais la passion demeure intacte.

Une envie qui lie « forcément », art et politique, comme dans son premier ouvrage, qui parait le 22 mars aux éditions Métagraphes, A nos humanités révoltées. Ce recueil de poésies se revendique afroféministe, puisque, après tout, « la vie des gens est forcément empreinte de politique » et que l’art est miroir des existences.

Dans « dix ou quinze ans », Kiyémis aimerait d’ailleurs « sortir un essai politique ». Elle voudrait « osciller entre la poésie et l’essai ». Elle s’intéresse aussi au roman jeunesse, mais préfère « laisser ça aux grandes auteures qui le font très bien, comme Aude Konan ou Madina Guissé ».

D’ici là, on attend de lire les poèmes de cette militante au verbe brillant, au rire « communicatif » et à l’enthousiasme contagieux.

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