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Photographie

Photographie: le regard de Bouna Medoune Seye, artiste underground

Photographe, cinéaste et peintre sénégalais, Bouna Medoune Seye s’est éteint le 27 décembre 2017 à 61 ans. Il laisse une œuvre importante et unique – à l’image de son regard singulier et de son parcours réfractaire. Férocement libre, fidèle dans ses amitiés et constant dans ses centres d’intérêt, il a passé ses dernières années à peindre des portraits de Joe Ouakam, son aîné, fondateur du Laboratoire Agit’art, mort en avril et qu’il a rejoint au cimetière de Ouakam, à Dakar.

Bouna Medoune Seye en 2015 dans l'atelier de son cousin et ami le styliste Mike Sylla à Paris.
Bouna Medoune Seye en 2015 dans l'atelier de son cousin et ami le styliste Mike Sylla à Paris. RFI / Sabine Cessou
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Bouna Medoune Seye n’avait pas de « curriculum vitae » ni de dossier tout prêt à envoyer, mais un regard. Remonter le boulevard Magenta avec lui à Paris par temps de pluie, c’était découvrir la puissante magie des reflets des feux rouges qui incendiaient l’asphalte. Sur le champ, il se mettait à écrire à voix haute le scénario de Rouge feu, l’un des nombreux films qu’il n’a pas réalisés – un thriller qui se déroulait dans les nuits de Dakar, autour d’un serial killer halluciné par les prostituées vêtues de rouge.

Lui demander de faire les photos d’un reportage à Abidjan, en 1997, c’était se retrouver en train de tourner un clip à l’improviste dans la chaleur de la nuit. L’incendie du marché de Treichville, qui venait de se déclarer, lui avait tout de suite servi de décor pour Stezo, un rappeur ivoirien qu’il venait de rencontrer. En 1998, il y retournerait faire un documentaire sur cette vague hip hop, « Zone Rap ».

Un regard singulier

Travailler avec lui en 2010 sur le business des pirogues au Sénégal, ces embarcations de pêche qui ont mené à la mort des vagues entières de jeunes migrants, par lots de 80 personnes entassées comme des sardines à fond de cale, c’était le voir s’affairer sur un chantier naval de Thiaroye, changer de boîtier, se mettre à plat ventre pour mieux capter ce qu’il voyait : des navires éventrés devenus des cercueils. Les cordages devenaient sous son regard le symbole éloquent d’une pendaison collective.

Bouna Medoune Seye n’avait pas de carte de visite, mais une histoire. Issu d’une famille polygame et respectée de Dakar, sa vie – ou plutôt une partie de son envie de vivre – s’est arrêtée très tôt, durant son enfance, lorsqu’il a perdu à 9 ans un ami écrasé par une tribune lors d’une course de pirogues, puis à la mort de son frère, à 13 ans, dont il ne s’est jamais remis. Parti très jeune à Marseille à la fin des années 1970, il s’y trouve une autre famille, composée d’un noyau dur d’amis qu’il n’a jamais quittés. Mais il reste blessé. « J’ai toujours été dans un état épouvantable », confiait-il, puisant dans sa propre souffrance une profonde empathie à l’égard de celle de ses amis, aujourd’hui inconsolables.

Un livre sur les fous errant dans Dakar

De retour à Dakar dans les années 1980, il fonde un collectif avec Djibril Sy, Moussa Mbaye et Boubacar Touré Mandémory pour affirmer une photo artistique africaine. Il publie dans Télérama, Plume, Revue Noire. En 1992, il est co-commissaire du Mois de la photo à Dakar, où il fait découvrir Mama Casset, un précurseur du portrait de studio au Sénégal. Ses images en noir et blanc des fous errant sur les trottoirs de Dakar paraissent sous forme de livre en 1994 chez Revue Noire. Ses deux premiers films, les courts métrages « Bandit Cinéma » (1994) et « Saï Saï By » (1995), ont été culte avant même de faire le tour du monde des festivals.

Dans le premier, il offrait une histoire urbaine de fraude à l’entrée d’un cinéma de quartier, loin du cinéma « calebasse » de « ces gens assis sous le manguier » dans lequel il ne se reconnaissait pas. « Bandit Cinéma » avait été adoubé par le célèbre cinéaste sénégalais Djibril Diop Mambéty, auteur des non moins cultes « Touki Bouki » et « Hyènes », qui voyait en Bouna son héritier sur le plan artistique.

Dans le second film, « Saï Saï By », produit par Revue Noire, il magnifiait un personnage dakarois largué, silhouette filiforme comme la sienne, qu’il suivait dans « sa » nuit : un dédale de « tapats », les tôles ondulées des quartiers pauvres de Dakar, jusqu’au « fumoir » où il se libérait du fardeau de son existence dans les drogues dures. La bande son, voix off du réalisateur lisant un poème sur un air de contrebasse, rendait le film poignant, tout en renversant le regard sur l’univers des junkies.

La cour de Joe Ouakam, en photos

Le reste de son parcours a été marqué par l’ombre portée de Saï Saï By. Réfractaire aux usages du monde de l’art, dont il se moquait en intitulant certaines de ses toiles « L’artnak », Bouna Medoune Seye a refusé de faire des compromis. En quête d’ombre et de la paix qu’il lui fallait pour travailler, plutôt que de lumière et de réussite sociale, il affirmait : « Un artiste ne vaut jamais rien avant sa mort ». Plus occupé à vivre comme on écrit sa propre légende qu’à placer des œuvres dans des musées, il a commencé sans toujours les finir des séries de photos sur les « installations ampilations » de Dakar, ces étals et sièges en bois empilés et cadenassés la nuit sur les marchés de sa ville.

Pendant de longues années, il a immortalisé la cour de son « maître », l’artiste plasticien sénégalais Issa Samb, alias « Joe Ouakam ». Ses photos ont été exposées, entre autres, par la Maison européenne de la photographie (MEP) à Paris. Il a aussi été le directeur artistique de nombreux films tournés au Sénégal, dont « Ramata » de Léandre-Alain Baker en 2011, avec le célèbre mannequin Katoucha Niane dans le rôle principal. « Souvent incompris, très intelligent, Bouna est un artiste profondément underground et cohérent avec ses choix », dit de lui le musicien Wasis Diop, frère de Djibril Diop Mambéty, qui a réalisé sur lui en 2015 le documentaire « Bouna », un 26 minutes tourné entre Marseille, Dakar et Paris. Face caméra, Bouna Medoune Seye y décrit la mort, qu’il a frôlée plusieurs fois au bloc opératoire à cause de son cancer du poumon, comme un « monde cotonneux  » plutôt agréable. Au cimetière de Ouakam, où il a été inhumé le 31 décembre, il a rejoint son père et son père spirituel, Joe Ouakam, emporté par la maladie quelques mois plus tôt, en avril.

Portrait de Joe Ouakam fait par Bouna Medoune Seye à l'île de Ngor en 2015.
Portrait de Joe Ouakam fait par Bouna Medoune Seye à l'île de Ngor en 2015. Archives personnelles de Bouna Medoune Seye

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