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Nigeria

[Chronique] Nigeria: Kaduna, symbole du nord oublié

Malgré les efforts des dirigeants politiques, le nord du Nigeria s'enfonce inexorablement dans la crise. Même Kaduna, l'ancienne capitale économique de cette région, n'échappe pas à cette paupérisation.

Les rues de Kaduna, dans le nord du Nigeria, le 29 mars 2015, à la veille des élections.
Les rues de Kaduna, dans le nord du Nigeria, le 29 mars 2015, à la veille des élections. AFP/Nicole Sobecki
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Redonner de la vitalité au nord du Nigeria. Bien avant que Boko Haram ne commence à frapper, il s'agissait déjà d'une obsession des dirigeants nigérians. Depuis l'indépendance acquise en octobre 1960, le Nigeria a pour l'essentiel été dirigé par des « nordistes », notamment à l'époque des régimes militaires qui a duré jusqu'en 1999. Ces dirigeants issus des régions septentrionales n'ont cessé de s'inquiéter des écarts de développement économique entre le Nord et le Sud.

Le choix de changer de capitale participe à cet effort de rééquilibrage. Il a été initié par le général Murtala Muhammed, au pouvoir entre 1975 et 1976, et lui-même originaire du nord. Lagos a alors été dépossédée du titre de capitale dans les années 1990 au profit d'Abuja, une ville créée de toute pièce par l'Etat fédéral.

Lagos se trouve à l'extrême sud-ouest du pays. Abuja se situe, elle, au centre du Nigeria, mais dans une ère culturelle plutôt tournée vers le Nord. Abuja a d'ailleurs été rapidement rebaptisée « capitale du nord » par les habitants du sud.

La revanche de Lagos

Lagos a continué de se considérer comme la vraie capitale. Ce qu'elle est toujours d'ailleurs d'un point de vue économique et culturel. Dans la pratique, le rééquilibrage entre le nord et le sud ne s'est pas vraiment opéré. Bien au contraire.

Lagos a continué à croître à un rythme rapide. L'ex-capitale compte désormais 22 millions d'habitants, ce qui en fait la ville la plus peuplée d'Afrique. Sa population augmente de plus de 200 000 personnes par an. Son produit intérieur brut est égal à celui de la Côte d'Ivoire, du Sénégal et du Cameroun réunis. Lagos et le pays yoruba, au sud-ouest du Nigeria, « se développent à un rythme asiatique alors que le nord s'enfonce dans la crise », se désole un diplomate occidental.

Paradoxalement, les grandes villes du nord n'ont pas forcément profité du développement d'Abuja. Avant la création de cette « nouvelle cité », Kaduna faisait figure de « capitale économique » du nord. Depuis lors, elle s'est paupérisée. « La ville est bien plus pauvre qu'elle ne l'était il y a vingt ans », note ainsi un industriel de la région.

De fait, avec la montée en puissance d'Abuja, Kaduna s'est en grande partie trouvée satellisée. Encore plus maintenant qu'un train rapide, construit par les Chinois, relie les deux villes. Située à 200 kilomètres d'Abuja, Kaduna risque de devenir une ville-dortoir de la nouvelle capitale aux loyers prohibitifs.

Dieu et la crise économique

Les industries ont peu à peu quitté Kaduna. Jusque dans les années 1990, une activité textile florissante s'était développée à Kaduna. Mais elle a subi de plein fouet la concurrence chinoise. Des dizaines de milliers d'employés du textile ont perdu leur travail. Aujourd'hui, dans ce secteur d'activité, seuls quelques centaines d'emplois subsistent à Kaduna.

Les affrontements entre chrétiens et musulmans se sont d'ailleurs envenimés à Kaduna à la suite de cette crise économique. « Des commerçants chrétiens ont été attaqués, souligne Aminata Fall, enseignante à Kaduna. Leur richesse supposée avait suscité bien des jalousies ». « Avec la crise économique, les populations se sont davantage tournées vers Dieu », estime Nasir El-Rufai, le gouverneur de l'Etat de Kaduna.

L'un des autres symboles de la prospérité et de l'ouverture de la ville était la brasserie Kronenbourg. Un char était en permanence posté à son entrée pour en assurer la protection. Grands consommateurs de bière, les militaires de Kaduna ne voulaient pas que l'on touche à leur source d'approvisionnement favorite. Mais les conflits religieux des années 2000 et l'imposition de la charia dans le nord ont eu raison de la brasserie.

L'usine Peugeot qui produisait à plein régime dans les années 1980 des 504 qui sillonnaient tout le pays a elle aussi ralenti les cadences, pour se retrouver aujourd'hui presque à l'arrêt. Le président Muhammadu Buhari et Nasir El-Rufai font leur possible pour persuader le constructeur automobile français et le milliardaire nigérian Aliko Dangote d'investir dans la ville, mais le pari est difficile à relever.

Le marché de la voiture neuve est très étroit au Nigeria. Officiellement, il se monte à une dizaine de milliers de véhicules par an. Même si, en réalité, bien des voitures neuves entrent chaque jour au Nigeria grâce à la contrebande, notamment par le Bénin.

Les constructeurs automobiles, en particulier les Asiatiques, préfèrent créer des usines de montage à Lagos. Il est en effet plus économique de faire venir des pièces détachées dans un grand port de l'Atlantique que dans des territoires enclavés comme le nord du Nigeria.

Cette localisation dans le sud-ouest du Nigeria s'explique aussi par le fait qu'une grande partie des clients solvables habitent à Lagos. Même s'il est originaire du nord, Aliko Dangote vit à Lagos. Les autres milliardaires nigérians ont opté pour la même localisation.

Pays à deux vitesses

Plus que jamais, le Nigeria devient un pays à deux vitesses. « Le nord du Nigeria était bien plus développé il y a vingt ans, constate Emeka Ugwu, un universitaire nigérian. Le système éducatif s'y est totalement effondré ».

Le sud-ouest, où l'insécurité décline, se développe rapidement. Le Nord, lui, s'enfonce dans la crise et les enlèvements y sont en hausse,notamment sur l'axe routier Abuja-Kaduna.

A long terme, cette situation fait le jeu des islamistes radicaux. « A Kaduna, tout le monde en est conscient, souligne un industriel de la ville. Mais personne ne voit vraiment les moyens de lutter contre ce phénomène de paupérisation et de marginalisation ».

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