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Nigeria

[Chronique] Nigeria: Lagos est-elle la ville la plus stressante au monde?

La capitale économique du Nigeria essaie d'améliorer son image dégradée. Un combat loin d'être gagné d'avance.

Embouteillages dans les rues de Lagos, Nigeria.
Embouteillages dans les rues de Lagos, Nigeria. Getty Images
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Malgré le grand talent en communication des Lagotiens, leur ville continue de jouir d'une réputation épouvantable. Au classement des pires cités du monde établi en 2017 par le magazine The Economist, Lagos est arrivée en deuxième position juste derrière Damas, la capitale d'un pays en guerre.

Un mois plus tard, la capitale économique du Nigeria reste sur le podium lorsqu'il s'agit d'établir le classement des villes les plus stressantes de la planète, juste derrière Bagdad et Kaboul. Etonnant, quand on sait que le Nigeria n'a pas connu de conflit depuis la guerre du Biafra, achevée en janvier 1970.

Bien sûr, tout classement comporte une part de subjectivité, mais il soulève une question essentielle. Comment se fait-il que la capitale économique du pays qui possède le produit intérieur brut (PIB) le plus important d'Afrique soit une ville où il est aussi difficile de vivre ?

A l'énoncé de ces résultats, les autorités locales ont été folles de rage. L'Etat de Lagos possède un produit intérieur brut considérable. Si la ville était indépendante, elle arriverait 5e au classement des PIB africains. Le sien équivaut à celui de la Côte d'Ivoire, du Sénégal et du Cameroun réunis.

La « New York » de l'Afrique ?

Chaque année, l'Etat de Lagos dépense des millions de dollars pour tenter d'améliorer l'image de la ville, notamment en organisant un marathon. Cette course très médiatisée a pour but de montrer que Lagos est devenue une métropole « cool », le « New York » de l'Afrique.

Les expatriés qui vivent sur les îles d'Ikoyi et de Victoria Island ont du mal à comprendre pourquoi « leur » ville est si mal classée. Mais ils oublient un peu vite que leurs conditions de vie n'ont rien à voir avec celles des autres Lagotiens qui habitent sur le « mainland », le continent, comme 90 % des habitants de la ville.

Pour ces derniers, Lagos ne leur offre presque rien des services que l'on est en droit d'attendre d'une mégapole moderne. Les routes sont défoncées. Pendant la saison des pluies, il est presque impossible de s'y déplacer sans 4x4. L'électricité et l'eau ne sont pas fournies par l'Etat. Seuls les détenteurs de groupes électrogènes parviennent à obtenir de l'électricité. Mais à quel prix ?

L'eau y est par ailleurs impropre à la consommation. A Lagos, les « gutters », les égouts à ciel ouvert sont encore la règle et ils empestent la ville. La lagune et les bords de l'océan sont des décharges publiques où les 22 millions d'habitants de la mégapole jettent leurs déchets.

Plus grave encore, aucun quartier du « mainland » n'est sûr. Des bandits peuvent débarquer à tout moment chez vous pour prendre vos biens et souvent aussi vos vies. Ils ne prennent souvent même pas la peine de se couvrir le visage : ils n'ont pas peur de la police.

Le simple fait de monter dans un minibus peut se révéler être un danger mortel. Il peut être entièrement occupé par des criminels : un faux chauffeur et de faux passagers. Au mieux, une fois détroussée, la victime sera jetée du véhicule. Au pire, elle sera tuée.

Les hôpitaux ne fonctionnent pas davantage que les écoles. A moins de payer d'avance des sommes considérables. Ainsi, 70 % des Nigérians vivent avec moins de deux dollars par jour. Ils seraient bien incapables de payer une facture d'hôpital.

De plus, un enseignant peut gagner 30 000 nairas par mois, soit environ 70 euros, somme qu'il n'est même pas sûr de percevoir. Bien des professeurs ne sont pas payés depuis des mois. Il en va de même pour les policiers et nombre de fonctionnaires.

Huit heures par jour dans les transports

A Lagos, les emplois sont bien souvent concentrés dans les îles. Les loyers y étant totalement inabordables, le salarié devra habiter sur le continent. La plupart du temps, il quittera son domicile vers 4 ou 5 h du matin pour arriver à 8 h sur son lieu de travail. Il est fréquent de voir des Lagotiens passer plus de huit heures par jour dans les transports.

Ville la plus peuplée d'Afrique subsaharienne, Lagos est pratiquement dépourvue de transports en commun. La population de la mégapole augmente de plusieurs centaines de milliers d'habitants chaque année. Même des réfugiés du Nord qui fuient les exactions de Boko Haram s'y installent.

Lagos est aussi l'une des villes les plus polluées du monde. L'air est empli de micro-particules lâchées dans le ciel par les groupes électrogènes. Les parcs sont quasi-absents et les rares espaces verts existants sont le plus souvent interdits au public, de peur que des squatteurs s'y installent.

Hostilité de l'Etat

Comment expliquer qu'une ville aussi riche soit dans un tel état de délabrement ? C'est en grande partie dû à l'indifférence - voire à l'hostilité - de l'Etat fédéral.

Depuis qu'Abuja est devenue officiellement la capitale fédérale en 1991, presque tous les moyens de l'Etat sont concentrés sur le développement de cette ville. Signe des temps, Abuja sera dotée d'un métro à partir de la fin de l'année, alors même que cette paisible cité compte de grandes avenues « à l'américaine » où les embouteillages n'ont rien à voir avec ceux de Lagos.

Depuis son élection en avril 2015, le président Muhammadu Buhari ne s'est jamais rendu en visite officielle à Lagos. C'est dire s'il se préoccupe du sort de la mégapole nigériane. Les récentes réalisations urbanistiques à Lagos sont le fruit des impôts locaux. Lagos a cessé depuis belle lurette de compter sur l'Etat fédéral pour quoi que ce soit.

Mais du coup, les autorités locales rajoutent au stress des Lagotiens en tentant de lever des impôts sur tout et n'importe quoi. Même les petits vendeurs à la sauvette ont été invités à plier bagages : ils ne payaient pas d'impôt et ne donnaient pas une « bonne image de la ville ».

Les propriétaires et les gérants de petits « maquis », des restaurants plus ou moins légaux ont été aussi souvent chassés. Les établissements ne payaient pas d'impôt et n'étaient pas toujours aux normes sanitaires. Cette chasse aux « petits boulots » a fait le Lagos une ville encore plus dure.

Empêchés de travailler, des vendeurs à la sauvette se sont reconvertis en voleurs à l'arraché. Privés des petites gargotes qui vendaient de la nourriture à prix cassés, nombre de membres des classes moyennes et populaires ne savent plus trop comment s'alimenter.

Vague de suicides

Lagos est une ville d'autant plus stressante que l'on y « tombe » facilement. Ces derniers mois, du fait de la récession des dizaines de milliers de salariés ont été licenciés du jour au lendemain. L'Etat-providence étant réduit à sa plus simple expression, ils se retrouvent brusquement sans revenus et sans moyen de payer les frais de scolarité de leurs enfants ou les frais d'hospitalisation.

Les médias lagotiens ont rendu compte d'une vague de suicides ces derniers mois. Parfois, les désespérés montent sur le Third Mainland Bridge, le plus long pont d'Afrique, pour se jeter dans la lagune. Récemment, une femme a tenté de mettre fin à ses jours parce qu'elle n'arrivait plus à éponger ses dettes. Un automobiliste s'est arrêté à sa hauteur et lui a sauvé la vie.

Mais du coup, la miraculée est condamnée à payer une lourde amende. La loi nigériane stipule en effet que toute personne qui a tenté de mettre fin à ses jours doit dédommager l'Etat. Ce qui fait dire à beaucoup que les désespérés financièrement n'ont pas intérêt à se rater. Décidément, à Lagos, tout se paie au prix fort. La vie comme la mort.

►(Re) lire les autres Histoires nigérianes

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