Accéder au contenu principal
Droits des femmes

Pourquoi certains pays exonèrent les violeurs s'ils épousent leur victime?

Durant les mois de juillet et août 2017, la Tunisie, la Jordanie et le Liban ont tous abrogé les dispositions qui permettaient à un violeur d’échapper à sa peine s’il épousait sa victime. Cette vague réformatrice, qui semble déferler tout à coup sur le Moyen-Orient et au-delà, est le fruit de l’activisme des associations locales de défense des droits des femmes. Au cœur de leur lutte : un héritage colonial méconnu, un système patriarcal omniprésent et une « culture de l’honneur » persistante.

Une activiste féministe célèbre l'abolition de l'article 522 du code pénal libanais qui autorisait un violeur à échapper aux poursuites s'il épousait sa victime, le 17 août 2017.
Une activiste féministe célèbre l'abolition de l'article 522 du code pénal libanais qui autorisait un violeur à échapper aux poursuites s'il épousait sa victime, le 17 août 2017. AFP/Patrick Baz
Publicité

Des centaines de femmes, un voile de mariée sur le visage, robes blanches tachées de sang étaient rassemblées le 25 décembre 2016 devant le Parlement de Beyrouth pour réclamer l’abrogation de l’article 522 du code pénal libanais exonérant tout violeur de sa peine s’il épouse sa victime.

Le 16 août dernier, jour où elles ont finalement obtenu gain de cause, les taches de sang ont disparu des étoffes blanches. Certaines militantes sont sorties des cages dans lesquelles elles s’étaient enfermées symboliquement, et des ballons blancs ont été libérés dans le ciel de la capitale.

« Félicitations aux femmes du Liban. Le vote d'aujourd'hui est une victoire pour la dignité des femmes », s’enthousiasmait alors sur sa page Facebook l’association de défense des droits des femmes Abaad (« Dimensions » en arabe), tête de proue du mouvement qui réclamait l’abrogation.

« Il n'est plus possible d'échapper à une condamnation pour un viol et des actes sexuels imposés par la force », a-t-elle tenu à réaffirmer après le vote du Parlement.

« Undress522 »

Les actions coup de poing d'associations locales comme Abaad et Kafa, mais également une campagne publicitaire intense, un activisme quotidien sur les réseaux sociaux et la pétition en ligne « Undress522 » (« Déshabillez522 ») signée par 10 688 personnes, ont permis cette avancée juridique pour les droits des femmes au Liban.

L’article 522 du code pénal libanais abrogé par le Parlement stipulait que si « un mariage valide est contracté entre l'auteur d'un de ces crimes [viol, agressions, rapts] et la victime, les poursuites cessent et si un verdict a déjà été prononcé, son application est suspendue ». L’amendement d’autres articles de ce code a également permis de durcir les sanctions concernant le viol de mineures de moins de quinze ans.

Quinze jours plus tôt, le 1er août, la Jordanie décidait également d’en finir avec l’article 308 de son code pénal permettant lui aussi à un violeur d’épouser sa victime afin d’éviter une peine de prison. Quelques semaines plus tôt, le 26 juillet, la Tunisie validait de son côté un texte « historique », selon les mots de la ministre des Affaires de la femme, Néziha Labidi. Ce dernier introduisait, entre autres nouvelles mesures, la suppression de la loi permettant l’abandon des charges contre le responsable d’un acte sexuel « sans violences » avec une mineure de moins de 15 ans s’il contractait un mariage avec sa victime.

Héritage colonial

Si les mariages contraints avec son violeur ont pu exister avant leur légalisation dans le droit, c’est au code pénal napoléonien de 1804, abrogé en France en 1994, que les pays de la région doivent la codification des dispositions abrogées aujourd’hui les unes après les autres. Ce dernier permettait en effet à un homme ayant « enlevé ou détourné une mineure » d’échapper aux poursuites s’il l’épousait.

« Après l’indépendance, les anciennes colonies et mandats français d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont conservé dans leurs lois les dispositions du code pénal napoléonien qui exonéraient les violeurs, écrit Rothna Begum, chercheuse sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord pour le département des Droits de femmes de l’ONG Human Rights Watch, dans un article publié par Al-Jazeera. Les anciens protectorats et mandats britanniques ont, eux, appliqué le code ottoman de 1911 également inspiré par le code français ».

Lutte sans frontières

La Jordanie, la Tunisie et le Liban sont les derniers pays en date de la région à avoir amendé leur législation concernant la protection des femmes face au viol mais ils ne sont pas les précurseurs de ce mouvement d’abrogation. L’Egypte a amendé son code pénal en 1999 et le Maroc en janvier 2014.

Il n’existe aucun chiffre officiel permettant d’évaluer le nombre de personnes qui ont échappé à des poursuites grâce à ces lois d’exonération de poursuites judiciaires. Mais leurs conséquences, elles, se sont illustrées à travers de nombreux cas qui ont indigné l’opinion publique.

« Il y a un véritable mouvement qui s’est créé après le suicide d’une jeune femme au Maroc en 2012. La jeune fille [Amina Filali] s’est suicidée avec de la mort-aux-rats après avoir été contrainte de se marier, à 16 ans, avec l’homme qui l’avait violée. Cela a suscité un véritable tollé et la disposition du code pénal marocain qui avait permis cela a finalement été abrogée », raconte Soulayma Mardam, chargée de projet au sein du programme Égalité des genres de l’association Abaad.

Il aura toutefois fallu deux ans d’une campagne acharnée des associations féministes marocaines pour modifier la loi. Entre-temps, une seconde jeune fille, Safae, 15 ans, enlevée à Tanger, violée puis contrainte d’épouser son agresseur, tentera également de se suicider à plusieurs reprises, ravivant par la même occasion la colère de l’opinion publique.

Le piège de « l’honneur »

Mais l’indignation s’arrête là où persiste une certaine « culture de l’honneur ». Le mariage contraint avec son violeur serait en effet un phénomène assez répandu dans certaines régions où les coutumes patriarcales restent omniprésentes. « Il faut distinguer ce qui relève de la loi et les pratiques dans certaines régions reculées et marginalisées qui n’ont pas d’accès à l’information, ont peu de contact avec les organisations, et ne sont pas au courant de leurs droits », explique Soulayma Mardam.

Bien souvent, les familles des victimes se transforment en nouveaux bourreaux car elles contraignent les jeunes femmes à épouser leur agresseur. Pour nombre d’entre elles, l’honneur de la famille, rattaché à la virginité de leurs filles, doit être conservé à tout prix. Et si le mariage repose en théorie sur le consentement mutuel des époux exprimé devant un juge, les pressions familiales poussent bien souvent les victimes à la résignation d’une union avec leur agresseur.

Pour d’autres familles, il s’agit surtout d’assurer l’avenir de leur fille. La famille d’Amal*, une Libanaise de 12 ans, n’a pas accepté l’offre présentée par la famille de son violeur de 24 ans. Toutefois, elle reste persuadée que le mariage est la seule option pour racheter son honneur. Selon les informations du Conseil libanais de résistance contre les violences faites aux femmes (LECORVAW), une organisation qui aide les jeunes femmes contraintes d’épouser leur violeur et qui a rapporté le cas d’Amal, cette dernière a finalement été mariée à un proche de la famille malgré son jeune âge.

Lutte de longue haleine

Plus qu’un simple code juridique hérité de l’époque coloniale, les activistes féministes doivent aussi lutter contre une mentalité patriarcale toujours importante et un code d’honneur. Certaines craignent ainsi que l’abrogation des lois d’exonération des violeurs ne présente des limites. Les mariages forcés pourraient se perpétuer en dehors des cours de justice tout comme les accords officieux, en échange d’argent. « C’est pour cela que la lutte doit continuer à plusieurs niveaux : juridique, institutionnel mais aussi au niveau des localités par de la sensibilisation et de la prévention », prévient Soulayma Mardam.

Certains arsenaux juridiques concernant le viol restent par ailleurs encore largement incomplets. Le viol conjugal notamment n’est souvent pas reconnu. En 2014, au Liban, le combat des activistes pour la reconnaissance du viol entre époux a rencontré la résistance des leaders religieux qui évoquent toujours un « devoir conjugal ». D’autres pays encore, douze selon un rapport de l’association pour la promotion des droits des femmes dans le monde Equality Now, tiennent toujours pour légal un certain accord selon lequel un violeur peut échapper aux poursuites si la victime lui offre son « pardon ».

Enfin, de nombreux Etats ne se sont pas non plus encore engagés dans un projet d’abrogation de ces lois d’exonération de poursuites des violeurs. C’est le cas de l’Algérie, de l’Irak, de la Syrie, de la Libye mais aussi de certains pays asiatiques, comme les Philippines, ou encore d'autres en Amérique latine.

*le prénom a été modifié

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.