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Nigeria

[Chronique] Lagos: bienvenue à Banana Island, havre de richesse et de sécurité

Dans la capitale économique du Nigeria, les plus riches vivent désormais dans des « villes dans la ville » où le reste de la population ne peut pénétrer sans y être expressément autorisé.

Une vue de Victoria Island à Lagos (Nigeria), qui pourrait à l'avenir ressembler à son opulente voisine, Banana Island.
Une vue de Victoria Island à Lagos (Nigeria), qui pourrait à l'avenir ressembler à son opulente voisine, Banana Island. Education Images/UIG via Getty Images
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Banana Island. Derrière ce nom que l'on croirait tout droit sorti d'un film de Disney se cache l'une des citadelles les plus expugnables de Lagos. Banana Island doit son nom à sa topographie en forme de Banane. En réalité, il s'agit d'une presqu'île et non d'une île : des terres gagnées sur les marécages entourant l'île d'Ikoyi. Victoria Island et Ikoyi sont les deux îles où vivent les plus riches des Lagotiens. Un pont de treize kilomètres, the Third Main Land Bridge, sépare les îliens du « mainland », le continent où vivent plus de 20 millions de Lagotiens : le reste de la population de la capitale économique du Nigeria.

Banana Island a vu le jour pour permettre aux riches de s'y sentir encore plus en sécurité. Banana Island a tout d'une ville dans la ville. On peut même y faire ses courses dans un supermarché. Ses avenues sont propres, bien pavées et rectilignes. Alors qu'à deux pas de là, à Ikoyi, en saison des pluies les rues se transforment en « marécage », faute de sytème d'évacution des eaux digne de ce nom.

A Banana Island, tout est en ordre : la presqu'île donne un avant-goût de la Suisse à ceux qui n'ont jamais eu l'occasion de s'y rendre.

Vous avez peu de risque d'écraser un Bananien. Il se déplace très peu à pied. Sauf pour faire un jogging le dimanche matin. A Banana Island, la vitesse des voitures est limitée à 10 km/h. Si jamais vous étiez tenté d'oublier cette loi d'airain de Banana Island, des dos d'ânes « monstrueux » se chargeraient de vous le rappeler rapidement. A quelques centaines de mètres de là, les règles du code de la route ne sont pas les mêmes. Sur le rond-point qui mène au pont de Lekki, comme ailleurs au Nigeria, il n'existe aucune priorité pour sortir ou rentrer sur le carrefour giratoire. D'ailleurs, des automobilistes ont pris la « bonne habitude » de s'y garer, ce qui ne contribue pas vraiment à la fluidité de la circulation. A Banana, les coups de klaxon sont interdits alors qu'ils constituent la « bande son » de la circulation lagotienne. Banana Island est un monde à part.

A Banana Island ne rentre pas qui veut

Impossible de pénétrer à Banana Island sans y avoir été expressément invité. A votre arrivée à l'entrée de la citadelle, vous devez donner votre nom aux services de sécurité. Ils appellent le Bananien qui vous a invité. Vous avez ainsi franchi le premier barrage. Vous traversez de longues avenues calmes. Puis vous arrivez devant un nouveau barrage : celui qui mène aux complexes résidentiels proprement dit. Là, il faut encore appeler le « Bananien » pour qu'il vous donne l'autorisation de pénétrer dans le saint des saints.

Vous pouvez alors constater que les immeubles de Banana Island seraient bien en peine de gagner un concours d'architecture. Peints en rose ou en mauve, ils pourraient rapidement donner une migraine ophtalmique à un esthète. Mais vous ne dites rien parce que vous avez compris depuis un certain temps que les Bananiens sont parfois des gens susceptibles.

Dans le meilleur des cas, ils payent tout de même plus de 50 000 dollars par an pour occuper un simple appartement et doivent verser deux ans de loyer d'avance avant d'emménager. Alors si vous leurs dites qu'ils ont des goûts bizarres, votre visite risque de s'achever plus tôt que prévu. Les riches Lagotiens sont assez peu portés sur l'autodérision.

Dès lors que vous avez passé le deuxième barrage, vous avez vue sur les parkings avec les rutilants 4x4. Si vous voyez un véhicule banal, soyez sûr que c'est celui d'un domestique qui arrive au boulot. Si vous êtes un peu en avance à votre rendez-vous, approchez-vous de la piscine. Un calme olympien y règne : la présence d'animaux et de nourriture y est formellement interdite. Depuis la piscine, vous avez une belle vue sur la lagune.

Jetez un coup d'oeil à la salle de gym, selon toute probabilité vous y croiserez au moins une ou deux jolies femmes à n'importe quelle heure du jour. Chose étrange, partout dans le monde, il semble exister une corrélation entre la richesse et les jolies filles. Même à Banana Island.

Achetez une bouteille d'eau pour vous remettre de vos émotions. Ici, elles sont très peu chères. En même temps, lorsque l'on vous fait payer un loyer de 50 000 dollars par an, ce serait tout de même un peu mesquin de vous assommer sur le tarif de l'eau.

Ultime épreuve avant d'atteindre le Saint-Graal

Vous respirez un bon coup avant de vous lancer dans la troisième épreuve. L'ultime barrage, avant d'accéder au Saint-Graal : l'intimité d'un Bananien. Partout des vigiles circulent avec leurs talkies-walkies ; il semble qu'à Banana Island, il y ait plus de vigiles que d'habitants. Mais peut-être est-ce juste une impression d'optique due au fait que les Bananiens sortent rarement de leurs véhicules ou de leur appartement, sauf pour aller à la piscine ou jouer au tennis.

Au pied de chaque immeuble, d'autres vigiles veillent. Vous devez leur expliquer pour la énième fois que vous avez rendez-vous avec Monsieur X. Après vous avoir étudié de près au cas où vous seriez un individu particulièrement dangereux qui pourrait représenter un risque pour la société, pour leur sécurité et pour leur emploi, ils vous laissent passer comme à regret. A Banana Island, même le « gateman » éprouve un sentiment de supériorité et vous le fait sentir. Il est du côté des « boss », des « oga pata pata » (des grands patrons), comme l'on dit en yorouba. Pour être crédible dans son rôle de gardien du temple, il doit donc afficher une certaine morgue.

Des riches et des pauvres de moins en moins amenés à se croiser

Il est aussi conscient d'être un privilégié : de vivre dans un monde de sécurité si rare à Lagos. Le concept de Banana Island a d'emblée séduit les riches nigérians mais aussi les expatriés. Chaque jour, les journaux sont emplis de faits-divers plus terrifiants les uns que les autres : attaques à mains armées, kidnappings et assassinats.

A Lagos, dans le quartier populaire d'Ikorudu, personne n'est à l'abri : chaque jour, des gangs tuent des habitants. Ceux-ci commencent à s'organiser en milices populaires pour répliquer. Ils pratiquent ce qu'ils appellent la « jungle justice », les exécutions sommaires de présumés criminels. Malheureusement, ils se trompent souvent de cibles et assassinent des Lagotiens dont le seul crime est de présenter une prétendue ressemblance physique avec de prétendus criminels.

Dans les nouvelles églises évangéliques qui ont pignon sur rue à Lagos, l'une des prières les plus fréquentes est de pouvoir un jour acheter un appartement à Banana Island. Plus que le luxe des bâtiments, ce qui attire, c'est la sécurité espérée.

Le concept de Banana Island a tellement séduit qu'il a donné des idées aux promoteurs. Aujourd'hui, une ville nouvelle régie par les mêmes principes voit le jour à proximité de Victoria Island. Là encore des terres gagnées sur l'océan. Afin de les protéger, un barrage de quatre kilomètres de long a vu le jour : les premiers travaux d'aménagement de l'Eko Atlantic ont coûté près de deux milliards de dollars. Eko Atlantic est un projet à plusieurs dizaines de milliards de dollars. Des immeubles sont déjà sortis de terre. A terme Eko Atlantic pourrait accueillir 100 000 habitants. Une ville dans la ville, ultra-sécurisée. Une « cité interdite » qui disposerait de ses propres services de sécurité.

Une cité où les millionnaires pourraient vivre entre eux. Pour les riches, la tentation de vivre séparément est de plus en plus forte. Certes, le Nigeria est la première économie du continent. Mais 70 % de son immense population de plus de 180 millions d'habitants vit avec moins de deux dollars par jour. Vivre ou survivre avec moins de deux dollars par jour, une prouesse d'autant plus difficile à réaliser que l'Etat n'offre pratiquement aucun service digne de ce nom. A Lagos, par exemple, inutile de compter sur les transports publics pour se rendre à son travail.

« La cohabitation entre le Lagos des riches et celui des pauvres devient de plus en plus difficile », souligne John Uche, un ex-habitant de Banana Island. Il ajoute : « Les riches font désormais tout leur possible pour éviter les contacts avec les pauvres. Sauf avec leurs domestiques évidemment. Dans le Lagos du futur, tout est fait pour que les riches et les pauvres soient de moins en moins amenés à se croiser. »

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