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Littérature / Maurice

Le nouveau roman de Barlen Pyamootoo, entre le ludique et l'absurde

Le Mauricien Barlen Pyamootoo est un romancier singulier. Ses livres racontent des « géographies d’âmes », aime-t-il dire. Il fait paraître cet automne un quatrième roman intitulé  L’île au poisson venimeux, dans la veine des « road novels » qui l’a fait connaître il y a presque deux décennies.

Barlen Pyamootoo est romancier, cinéaste, éditeur et beaucoup d'autres choses en même temps.
Barlen Pyamootoo est romancier, cinéaste, éditeur et beaucoup d'autres choses en même temps. Patrice Normand/Edition de l'Olivier
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Il y a d’abord les titres. Les romans de Barlen Pyamootoo sont reconnaissables entre mille par leur titre, qui sont tout sauf programmatiques.

Ils sont surtout ludiques dans Bénarès (1999) et Le Tour de Babylone (2004), premiers opus du romancier mauricien. Il s’agit de jeux de mots, qui suggèrent le thème plutôt qu’ils ne l’affirment, laissant au lecteur la possibilité de se frayer un chemin dans la pensée à l’œuvre, à travers des associations d’idées et des correspondances subtiles. Comme celle que le titre du premier roman établit de manière quasi-elliptique entre la Bénarès de Maurice dont il est question dans le livre et Bénarès en Inde, transformé en horizon d’attente et anti-modèle. Le Tour de Babylone déroute par son article masculin, alors que l’on s’attendait au féminin, comme dans la tour de Babel de réputation biblique. Salogi’s (2008), le titre du troisième opus de l’écrivain, est différent car il s’agit d’une autobiographie, dédiée à la mère trop tôt disparue de l’auteur, dont le nom sur la couverture enrichi d’un «  ’s  » qui est le signe du possessif en anglais, évoque la perte et le deuil.

Avec son nouveau roman, intitulé de manière peu énigmatique L’île au poisson venimeux, le talentueux Mauricien replonge dans la veine ludique, tout en prenant le contre-pied des publicités des agences de voyage destinées à attirer le chaland en brodant à l’infini sur les plages de sable et la luxuriance de l’île, oubliant de parler, comme l’écrit l’anthropologue Julie Peghini, «  des problèmes de l’île Maurice d’aujourd’hui : prostitution, chômage, jeunesse en mal d’idéal, qui s’ennuie profondément dans les villages laissés en jachère, notamment sur le plan culturel, par les pouvoirs en place  ». Comme le dit l’auteur lui-même, ce titre est un «  misnomer  » (une erreur d’appellation) car il s’agit dans le récit de tout autre chose que de ces «  Laffe La Boue  », nom donné dans l’île au poisson le plus venimeux au monde qui hante ses eaux paradisiaques.

Un romancier pas comme les autres

Romancier, mais aussi cinéaste, éditeur et beaucoup d’autres choses en même temps, Barlen Pyamootoo s’est fait connaître en 1999 en publiant son premier roman Bénarès, un «  road novel  » beckettien qui renouvelle la pensée des racines et du désir si chère aux écrivains de Maurice depuis presque trois siècles.

La légende veut que le manuscrit ait été envoyé par la poste aux éditions de l’Olivier à Paris, qui l’ont imposé comme un chef-d’œuvre de post-modernisme, pas seulement mauricien. Lors de sa publication, l’auteur a été unanimement salué par la critique, qui a parlé de l’art de dépouillement de Pyamootoo, de son écriture toute en litotes et en rage rentrée, loin de tout exotisme facile.

En effet, Barlen Pyamootoo n’est pas un romancier comme les autres. Il n’écrit pas des romans pour raconter des histoires d’amour, de guerres ou des drames de déchirements identitaires. Lui, il écrit pour donner à voir l’absurdité de la vie, les dérives des hommes et leur désespoir.

En la matière, le maître du Mauricien semble être Claude Simon, prix Nobel de littérature 1985. «  Il racontait lors de son discours de réception en Suède, se souvient Pyamootoo, que malgré ses 73 ans, il n’avait pas encore trouvé le sens de l’existence. Si la vie a une signification quelconque, disait-il, c’est qu’elle ne signifie rien  ». «  Ce fut pour moi, poursuit le Mauricien, une formidable leçon de vie.  » Une leçon de littérature aussi, puisque le désespoir de l’homme face à l’absurdité de l’existence, Barlen Pyamootoo en a fait le thème central de son œuvre, un thème auquel il revient de livre en livre.

Un homme disparaît

« L'île au poisson venimeux » est le quatrième titre sous la plume du Mauricien Barlen Pyamootoo.
« L'île au poisson venimeux » est le quatrième titre sous la plume du Mauricien Barlen Pyamootoo. Editions de l'Olivier

Son nouveau roman L’île au poisson venimeux ne déroge pas à la règle. Le livre raconte la disparition d’un père de famille. Parti déjeuner avec un copain, Anil, père de deux enfants et propriétaire d’un magasin de tissus cossu dans le centre-ville, ne rentre pas à la maison. Ses proches s’inquiètent, s’interrogent et se confondent en hypothèses plus ou moins farfelues, après que leurs recherches dans des morgues des hôpitaux et des commissariats n’aboutissent à rien. Certains pensent qu’il a été blessé dans un accident de route et attend qu’on vienne le secourir, alors que d’autres avancent l’idée qu’Anil ait pu être victime de la sorcellerie : « imagine que pour un sacrifice, je ne dis pas forcément dans un cimetière à minuit, on l’ait réduit en cendres, alors là c’est foutu, on ne verra plus Anil. »

Or, pour Raffa, le narrateur du récit et chargé de l’enquête sur la disparition d’Anil en tant qu’ami de la famille, on ne se volatilise pas comme ça à Maurice, « ce petit monde clos où il est difficile de se cacher ». Alors, les recherches se poursuivent et on finira par retrouver Anil, mais au lieu d’être un moment de bonheur et de retrouvailles, c’est le sentiment de panique qui domine les dernières pages du roman.

Cette histoire dramatique de disparition d’un père de famille, racontée sur le ton banalisant de fait divers, est l’occasion pour Barlen Pyamootoo de remettre en scène l’effondrement du monde connu, avec tous ses repères qu’on croyait stables jusqu’ici et gravés dans le marbre. Dans cet univers absurde, privé de sens rationnel, que le romancier a fait le sien, la disparition comme les retrouvailles relève des contingences de la vie, sans valeurs morales ou affectives particulières. « Si la disparition d’Anil signifie quelque chose, explique l’auteur, c’est qu’elle ne signifie rien. Sauf qu’elle a eu lieu. » Anil est enfermé dans une éternelle répétition des cycles du quotidien, suggéré par les ressemblances entre sa vie d’avant la disparition et celle d’après.

A la fois enquête, «  road novel  » et roman social, ce nouveau titre sous la plume du sans doute le plus talentueux des écrivains mauriciens de sa génération, renoue avec cette narration sans affects qui a fait la réputation cet écrivain singulier. Barlen Pyamootoo, un Sisyphe heureux ?


L'île au poisson venimeux, par Barlen Pyamootoo. Edition de l’Olivier, 174 pages, 17 euros.

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