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Nigeria / Police

[Chronique] Pourquoi la police nigériane fait-elle si peur?

Les autorités nigérianes essaient d'inciter la population à faire confiance à la police. Mais la méfiance à l'égard des forces de l'ordre reste plus vive que jamais. Entre corruption et brutalité, elles restent très mal perçues par les Nigérians.

Des membres des forces de l'ordre nigérianes.
Des membres des forces de l'ordre nigérianes. Reuters
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« La police est ton amie ». Ce slogan inscrit en lettres blanches sur fond noir à l'arrière des véhicules de police est de nature à faire rire jaune plus d'un Nigérian. A Lagos, comme ailleurs dans le pays, les pandores ne sont pas considérés comme bienveillants.

Bien au contraire : ils font peur. Les forces de l'ordre sont réputées pour leur extrême violence. Les brutalités policières sont désormais visibles de tous grâce aux images prises par les téléphones portables et propagées ensuite sur les réseaux sociaux. Et les quotidiens relatent chaque jour de nouvelles exactions.

Sur le site de The Punch, quotidien le plus lu du sud du Nigéria, on peut, par exemple, voir les images d'un habitant de Port Harcourt, dans le sud-est du pays, qui déambule tranquillement dans les rues de la capitale pétrolière. Un policier lui tire dessus en plein jour sans raison apparente. Il agonise ensuite pendant de longues minutes sur la chaussée dans l'indifférence générale.

Début avril, à Lagos, la police avait déjà abattu deux civils. Leur crime : ils refusaient d'être expropriés. Il est vrai que ce jour-là, cinq policiers ont été abattus dans la même ville par une bande armée qui voulait reprendre le contrôle d'un quartier.

En matière de violence, seule l'armée surpasse les militaires. Lorsqu'un convoi militaire passe dans la rue, il a pour coutume de se frayer un chemin dans la foule à coups de ceinturon. Jusqu'à la fin des années 2000, il était également courant que les forces de l'ordre écartent la foule à coups de fouet. Cette pratique est officiellement interdite depuis que la fille d'un haut magistrat de Lagos a perdu un œil pour cette raison. Mais dans les faits, cette méthode expéditive reste répandue.

« En réalité, la police n'est ton amie que si tu as de l'argent à lui donner, souligne Emeka Ugwu, un commerçant lagotien. Et il faut en avoir beaucoup. Si ton ennemi en a plus que toi, elle fera ce qu'il lui demandera de faire. C'est la loi du plus offrant »

« Se payer sur la bête »

Avant même de commencer son enquête, la police va demander de l'argent pour prendre une déposition. Officiellement, il s'agit de payer pour acheter le papier et l'encre de la machine à écrire.

« Si vous avez les noms et l'adresse de suspects, la police va vous proposer de les arrêter et de les tabasser pour les faire avouer, explique Steve Azuakola, un universitaire lagotien. Mais là, forcément, cela coûte plus cher. Il faut payer la main-d'oeuvre qui tabasse. Tout à un coût ».

Plusieurs fois victime de vols, Steve Azuakola a fait appel à la police car il soupçonnait ses employés de maison. « Ils ont fini par avouer, mais comme ils ont été battus pendant des heures avant de reconnaître les faits, il est bien difficile de savoir s'il s'agit de vrais aveux », constate-t-il.

Le système judiciaire étant lui-même très corrompu, les Nigérians évitent de faire appel à la justice et à la police. Cette dernière a dès lors le plus grand mal à recueillir des informations. Un cadavre peut rester des jours au bord de la route sans que personne ne prévienne les forces de l'ordre. Celui qui avertira la police a peur d'être considéré comme suspect par les pandores et de devoir monnayer sa libération.

Les témoins d'un crime hésitent aussi à prévenir la police. Les liens entre le crime organisé et les forces de l'ordre sont souvent très étroits. Celui qui aura prévenu la police risque de voir son identité révélée à la pègre. Et le témoin gênant d'être éliminé par le milieu. Chaque jour, des corps sans vie refont surface sur les bords de la lagune de Lagos. Le plus souvent, ils sont impossibles à identifier. Et la police n'est pas vraiment pressée de les récupérer.

Les pandores touchent rarement leurs salaires. Ils ont pris l'habitude de se « payer sur la bête ». Ils doivent aussi fréquemment reverser une partie de leurs gains aux supérieurs hiérarchiques qui leur ont obtenu un bon poste « rémunérateur ». Ceux qui travaillent dans les quartiers riches, comme Ikoyi ou Victoria Island à Lagos, se font payer par les notables du quartier pour assurer la paix et la sécurité dans les environs.

Les policiers sont souvent logés dans des habitations insalubres. Leurs familles survivent grâce aux pots-de-vin et aux petits commerces auxquels se livrent leurs épouses en toute illégalité qui vendent le plus souvent leur marchandise sur la voie publique.

« Jungle Justice »

La réputation des forces de l'ordre est si désastreuse que les Nigérians ont pris l'habitude de se faire justice eux-mêmes. Ainsi l'homme suspecté de vol va être tabassé et brûlé vif sur le lieu de son forfait présumé, sans avoir pu plaider sa cause. Quand un Nigérian se sent lésé, il va fréquemment recourir à des membres de la pègre ou à des militaires pour obtenir réparation.

Les services d'un tueur à gages coûtent 400 000 nairas (environ 1000 euros) à Lagos. Dans le nord du Nigéria, ce service est moins onéreux : 30 000 naïras à Kano, la grande ville de la région. La qualité du service n'est pas garantie. Selon The Punch, un père de famille qui avait commandité l'assassinat de son beau-fils à Kano a eu la mauvaise surprise de découvrir que les tueurs avaient bien assassiné quelqu'un mais s'étaient trompés de cible. Au lieu de tuer le gendre, ils avaient assassiné son père.

Inutile de dire que bien loin d'améliorer la situation familiale, ce contrat raté n'a fait que l'empirer. L'histoire ne dit pas si le client mécontent a demandé et obtenu le remboursement de ses 30 000 nairas. Ou s'il avait prévu de payer après « service rendu ».

Les femmes victimes de viol hésitent le plus souvent à se rendre au poste. « Les policiers ne prennent pas les viols au sérieux. Ils y voient juste un moyen d'extorquer des fonds », raconte Anna, une victime de viol qui explique avoir eu recours pour se venger à ce qu'elle appelle avec un léger sourire la « jungle justice ».

« Au Nigéria, nous préférons utiliser la "jungle justice", c'est plus efficace et plus rapide. Nous demandons à des amis militaires de prendre l'affaire en main. Dans le cas présent, mes amis officiers ont fait tabasser à mort l'homme qui avait abusé de moi », poursuit Anna. Cette jeune Lagotienne estime qu'il s'agit du meilleur moyen de régler ce type de conflit.

L'armée, un « Etat dans l'Etat »

Cette supposée justice ne repose évidemment sur aucun fondement légal. Aucune enquête préalable n'est menée avant de décider de tuer ou de passer à tabac quelqu'un. L'armée est tellement puissante au Nigéria qu'il sera toujours difficile pour les victimes de la « jungle justice » d'obtenir réparation.

Inutile de contacter la police pour se plaindre de la « justice » rendue par les militaires. Elle-même a peur de l'armée. « L'armée est toujours un Etat dans l'Etat, même si le Nigéria est officiellement une démocratie depuis 1999, estime Steve Okafor, policier à Lagos. C'est toujours celui qui a le plus gros flingue qui fait la loi ».

La presse rapporte régulièrement des exactions commises par les militaires ou les membres du DSS (Department of State Services), les renseignements nigérians, qui rentrent fréquemment dans les établissements scolaires pour tabasser des enseignants qui auraient infligé de mauvais traitements à leurs enfants. Cette « jungle justice » n'est pas davantage suivie de sanctions.

John Uniwge, étudiant de Lagos résume ainsi l'opinion dominante : « La police est ton amie à condition que tu sois très riche ». Avant d'ajouter : « Ou alors si tu es pauvre, elle est ton amie, à condition que tu restes le plus loin possible d'elle ».

►(Re) lire toutes nos Histoires nigérianes

 

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