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Nigeria

[Chronique] Ce Biafra qui hante toujours le Nigeria

Cinquante ans après le déclenchement de la guerre du Biafra, le sujet continue de rester en grande partie tabou au Nigeria.

Des réfugiés Igbos de l'État nigérian séparatiste du Biafra fuient les troupes fédérales nigérianes en progression près d'Owerri, en septembre 1968.
Des réfugiés Igbos de l'État nigérian séparatiste du Biafra fuient les troupes fédérales nigérianes en progression près d'Owerri, en septembre 1968. © Dennis Lee Royle/AP Photo
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L'indépendance du Biafra a été proclamée par le colonel Emeka Ojukwu le 30 mai 1967. Il était le commandant militaire de la région du sud-ouest (le pays Igbo). Le Nigéria avait acquis son indépendance le 1er octobre 1960. Le colonisateur britannique avait divisé le pays en trois entités : le nord (dominé par les Haoussas fulanis), le sud-ouest (dominé par les Yoroubas) et le sud-est (dominé par les Igbos).

Plusieurs facteurs ont poussé à cette déclaration d'indépendance lourde de conséquences. Le premier d'entre eux a été une lutte d'influence féroce pour le contrôle de l'armée. En janvier 1966, le général Ironsi, un officier igbo, a mené un sanglant coup d'État au cours duquel des sommités du nord ont été assassinées, notamment l'émir de Sokoto. Ironsi souhaitait notamment accroître la centralisation du pouvoir. Mais le putschiste n'en a pas eu le temps, il a été assassiné en juillet 1966 lors d'un contre-coup d'Etat mené par des officiers nordistes. Lors de ce putsch des centaines d'officiers igbos ont été assassinés. Par la suite, une vague de violence s'est déchaînée sur les populations igbos vivant dans le nord : des milliers d'entre eux ont été assassinés, du seul fait de leur appartenance ethnique. Les Igbos ont mené des représailles dans leur région d'origine.

C'est dans ce contexte particulièrement délétère qu'Emeka Ojukwu a proclamé l'indépendance du Biafra. Mais nombre d'observateurs pensent que la protection des Igbos était loin d'être sa seule préoccupation. Depuis le début des années soixante, le sud-est s'était révélé être une « véritable éponge à pétrole ». Cette région allait faire la fortune du Nigéria. Pourquoi partager cette rente avec l'ensemble du pays, lorsque l'on pouvait la garder pour les seuls Igbos ?

Trois ans de guerre et un million de victimes

Reste que la situation dans le sud-est est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. Le Nigéria compte près de 300 ethnies. Les Igbos sont certes majoritaires dans le sud-est, mais les côtes sont dominées par d'autres ethnies, qui ne voyaient pas d'un bon œil l'idée de se retrouver sous la houlette des Igbos. Ainsi, parmi tant d'autres intellectuels issus des ethnies côtières, l'écrivain Ken Saro-Wiwa, qui appartient à l'ethnie ogoni, a choisi le camp de l'Etat fédéral. Privés du soutien des « petites » ethnies, les Igbos ont vite perdu leur accès à la mer, notamment à Port-Harcourt.

Enclavé, le Biafra s'est retrouvé étranglé économiquement. Avec la perte des grands ports du sud-est, l'issue de la guerre n'a rapidement plus fait de doutes. Pourtant, elle a duré trois ans. Les Biafrais ont déposé les armes en janvier 1970. Le conflit a fait près d'un million de victimes : la plupart mortes de famine. Depuis lors, une omerta couvre d'un voile pudique cette guerre civile. Les crimes de guerre n'ont jamais été punis. Des officiers nigérians, tels que Benjamin Adekunle, surnommé « black scorpion », menaient une politique de terreur. Ils achevaient des blessés dans les hôpitaux. « Black scorpion » est décédé de sa belle mort en 2014, dans son lit, sans jamais avoir été inquiété par les autorités. Pendant la guerre civile, les propriétés des Igbos ont été saisies à Lagos (qui était alors la capitale du pays). A l'issue du conflit, elles n'ont jamais été rendues à leurs propriétaires.

Des Igbos se sentent encore marginalisés

Depuis la guerre, bien des Igbos se plaignent d'être considérés comme des « citoyens de seconde zone ». Ils soulignent que le Nigéria n'a jamais été dirigé par un Igbo (mise à part la courte parenthèse d'Ironsi), alors même que les Igbos représentent près d'un cinquième de la population. « Un grand nombre de Nigérians considèrent toujours que nous sommes âpres au gain et que nous sommes des escrocs. Tous les Igbos ne sont pas des escrocs. Chez nous, il y en a comme partout. Sans doute dans la même proportion qu'ailleurs, ce sont des stéréotypes qui ont la vie dure », souligne Ozuemeka Okafor, étudiante de l'université de Nsukka, la grande université de l'est.

Bien des Igbos aiment à se comparer au peuple juif. « Nous sommes les juifs de l'Afrique. Nous avons le sens de l'entreprise. Nous sommes de grands voyageurs. Nous sommes très travailleurs. Nos succès dans les affaires provoquent forcément de terribles jalousies », souligne Azu Okocha, un chef d'entreprise igbo installé à Lagos.

Ce sentiment d'être mal aimés s'est exacerbé avec l'élection de Muhammadu Buhari : le président originaire du nord ne leur a jamais rendu visite depuis son élection en avril 2015. Par ailleurs, il sait que les Igbos ont massivement voté pour le président sortant, Goodluck Jonathan. Le pays igbo est chrétien, il se sent très éloigné culturellement et politiquement du nord musulman. Lors de l'élection du gouverneur de Lagos en avril 2015, le roi des Yoroubas a menacé de faire noyer les Igbos dans la lagune s'ils ne votaient pas pour le candidat choisi par les Yoroubas.

Depuis l'élection de Buhari des manifestations en faveur du Biafra ont été très violemment réprimées à Onitsha, l'une des plus grandes villes du pays igbo. La répression a fait des dizaines de morts. Nnamdi Kanu, le fondateur de radio Biafra, qui émettait depuis Londres, a été arrêté au Nigéria en octobre 2015. Il a été détenu à Abuja, la capitale fédérale, jusqu'en avril 2017. Les autorités nigérianes l'accusent de militer en faveur de la sécession.

Le Biafra, un sujet qui reste tabou

Cinquante ans après son déclenchement, la guerre du Biafra reste donc un sujet tabou. L'écrivaine igbo Chimamanda Ngozi Adichie y a en partie mis fin en publiant, en 2006, le roman L'autre moitié du soleil qui se déroule pendant ce conflit. Ce livre qui a connu un grand succès a été adapté au cinéma en 2014. Mais les Nigérians n'ont pas eu la chance de voir la même version du film que les Londoniens. La sortie de ce long métrage au Nigéria a été retardée de plusieurs mois. Un comité de censure devant se prononcer sur l'opportunité de la projection d'un tel film au Nigéria. Une scène a été coupée : celle où des officiers nordistes pénètrent dans l'aéroport de Kano, la grande ville du nord. Ils demandent « Etes-vous Igbo ? » aux passagers. Les Igbos sont abattus, sans autre forme de procès. La scène du massacre a été conservée. Seule la question a disparu. Alors que tous les spectateurs connaissent ces faits historiques et savent que ces civils ont été assassinés du fait de leur appartenance ethnique.

Cinquante ans après le début de cette guerre, très peu de Nigérians - igbos ou non igbos - sont favorables à de nouvelles tentatives de sécession, le coût humain et financier apparaissant trop important à leurs yeux. Les Igbos auraient sans doute plus à perdre que d'autres d'une séparation : possédant des commerces disséminés un peu partout au Nigéria, ils n'auraient aucun intérêt à se replier sur leur pré carré. Par ailleurs, les mariages interethniques (notamment entre Igbos et Yoroubas) se multiplient comme en témoigne un récent film à succès « The wedding party ».

Plus qu'un nouvel affrontement, les Igbos souhaitent qu'on leur reconnaisse un droit d'inventaire sur cette période essentielle de leur histoire. Ils souhaitent que soit effectué un travail de mémoire. « Nous avons encore l'impression d'être traités comme des citoyens de seconde zone sous prétexte que nous avons perdu la guerre », souligne Obi Onyabo, un haut fonctionnaire igbo. Il ajoute : « Le conflit du Biafra doit cesser d'être un sujet tabou. Il faut en débattre. D'autant que la question de départ n'est toujours pas résolue : quelle est la place des Igbos dans la société nigériane ? Et comment faire pour qu'ils se sentent citoyens nigérians à part entière ».

►(Re) lire notre série sur le Biafra :

1. Pour le Biafra indépendant, une guerre à la vie, à la mort

2. Quand la France espérait affaiblir le Nigeria en armant le Biafra libre

3. Une poignée de mercenaires français sur le champ de bataille

4. Une Afrique plus divisée, plus impuissante que jamais

5. Vu à la télé: une famine en Afrique

► (Re)lire les autres Histoires nigérianes

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