Accéder au contenu principal
Nigeria

[Chronique] Nigeria: de l'art de lutter contre la corruption

Au Nigeria, depuis des décennies, tous les dirigeants annoncent que la lutte contre la corruption sera leur priorité. Mais au-delà des beaux discours, la culture du bakchich ne semble pas reculer. Bien au contraire.

Lors de son élection en 2015, le président nigérian Muhammadu Buhari avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille.
Lors de son élection en 2015, le président nigérian Muhammadu Buhari avait fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille. REUTERS
Publicité

Avec son allure ascétique et ses tenues sobres, Muhammadu Buhari possède le physique de l'emploi. Avant son élection à la présidence en avril 2015, il recevait même pieds nus chez lui ses hôtes de marque. Un signe de détachement des biens matériels qui avait fortement impressionné ses interlocuteurs occidentaux.

La lutte contre la corruption, le Peul élevé dans un village démuni du nord du Nigeria en avait même fait son cheval de bataille pendant la campagne. Son parti, l'APC (All Progressives Congress) n'avait-il pas choisi le balai comme symbole ? L'on allait voir ce que l'on allait voir. Un grand ménage de printemps était annoncé dans les meilleurs délais. Le militaire à poigne allait nettoyer les écuries d'Augias. Lors de sa première incursion au pouvoir de 1983 à 1984, le général Buhari avait mené la « guerre contre l'indiscipline ». Il était arrivé au pouvoir par le biais d'un coup d'Etat. Les fonctionnaires arrivant en retard au bureau étaient condamnés à faire des sauts de grenouilles en public. Les Nigérians qui ne respectaient pas les files étaient fouettés.

Buhari a suscité un grand espoir

Même les jeunes électeurs lassés de la multiplication des affaires de détournement de fonds pensaient que Buhari était l'homme de la situation. L'austère nordiste pourrait redresser le pays.

Deux ans plus tard, où sont les changements ? Il serait bien difficile de le dire. Signe des temps, le Guardian de Lagos, le quotidien de référence, continue de diffuser chaque jour une bande dessinée consacrée à la corruption. Elle vise surtout les élites politiques. Le Guardian publie depuis des années cette bande dessinée sans que personne ne s'en lasse.

Chaque jour, tel un métronome, la presse nigériane rapporte de nouveaux cas de corruption, de blanchiment ou « d'évaporation d'argent » public ou privé. De l'avis des experts, près de 20% de la production pétrolière n'est pas déclarée à l'Etat. Les sommes évoquées dans la presse n'ont rien de dérisoire. Ces affaires peuvent porter sur des milliards de dollars. En 2014, Lamido Sanusi, qui dirigeait à l'époque la banque centrale avait dénoncé la disparition de dix milliards de dollars du budget de l'Etat. Tout le monde s'en émeut quelques jours avant de passer à autre chose.

Buhari a tenté d'agir

Pour être juste, il faut noter que Buhari n'est pas resté les bras croisés. Il a fait arrêter des juges anticorruption soupçonnés de... corruption. Les charges contre eux sont des plus minces. Des perquisitions en marge de la légalité menées à leurs domiciles en pleine nuit ont permis de montrer qu'ils avaient de l'argent chez eux. En soi, ce n'est pas un crime. Les Nigérians font très peu confiance aux banques. Ils préfèrent garder de fortes sommes en liquide à leur domicile. Une vieille habitude qui a la vie dure.

Le régime arrête des prétendus corrompus. Faute de preuve, il est contraint de les relâcher. En privé, Buhari regrette le bon vieux temps des régimes militaires où il pouvait arrêter qui il voulait et les laisser dans un cachot aussi longtemps qu'il le voulait sans avoir de compte à rendre à la justice.

Mais aujourd'hui, comme il s'est proclamé lui-même « born again » de la démocratie, il doit faire contre mauvaise fortune bon cœur et respecter un tant soit peu les préceptes de l'Etat de droit. La presse a été prompte à noter que les supposés corrompus étaient des figures de l'opposition ou des gens avec qui le régime avait des comptes à régler.

Buhari est-il en position de lutter contre la corruption ?

« Au Nigeria, la campagne présidentielle coûte des milliards de dollars. Pour avoir une chance d'être élu, il faut arroser à tout va, à commencer par les hommes politiques, les chefs traditionnels et les médias », note un homme politique de Lagos. Il ajoute : « Il faut aussi donner de l'argent aux " influencers ", pour employer un mot tendance. Bien des influencers prennent de l'argent des deux côtés ». Qui a financé la campagne de Buhari ? D'où vient cet argent ? Le président est-il en position aujourd'hui de demander des comptes à ses généreux donateurs ?

Autre dilemme : comment demander au fonctionnaire de base de devenir tout à coup un parangon de vertu alors que son salaire ne lui a pas été versé depuis des mois. Les deux tiers des Etats nigérians ne sont pas en capacité de payer les salaires de leurs fonctionnaires. Résultat : les agents de la fonction publique demandent des pots-de-vin avec plus d'insistance que jamais. Bien des automobilistes préfèrent du coup éviter de rouler au mois de décembre. Avant Noël, les policiers ont des besoins pressants d'argent afin d'acheter notamment des cadeaux à leurs enfants.

Attendre que la frontière « décante »

Bien des automobilistes qui doivent passer la frontière du Bénin ou du Cameroun préfèrent s'y rendre le dimanche matin, lorsqu'une grande partie des douaniers sont en repos ou à la messe. La frontière se décante alors. Ils devront subir quatre ou cinq contrôles en lieu et place de la vingtaine de check points qui peuvent exister. La plupart du temps, c'est un homme en t-shirt dépenaillé qui fait le boulot pour le compte des douaniers qui restent bien tranquillement en arrière-plan. Si cela tourne mal, le douanier pourra toujours dire qu'il n'a rien à voir dans cette tentative d'extorsion de fonds.

« Le douanier se doit de faire un bon chiffre d'affaires. Tous les jours, il doit reverser de l'argent à son supérieur qui lui a obtenu cet emplacement lucratif. S'il ne reverse pas assez d'argent à ses supérieurs, il sera limogé », souligne un ex-douanier. Dans les aéroports aussi, les demandes de bakchichs se font plus insistantes et ouvertes que jamais. « Something for the boys » (« Quelque chose pour les garçons »). L'expression devient une petite musique entêtante.

« Seuls ceux qui ne vont jamais sur le terrain peuvent croire que la lutte contre la corruption porte ses fruits », note un homme d'affaires occidental qui constate que les entreprises étrangères sont plus « rackettées que jamais ». Il ajoute avec un sourire amer : « Plus personne ne croit à ce slogan de campagne. Au point que la lutte contre la corruption apparaît de plus en plus comme une vaste blague. »

► (Re)lire les autres Histoires nigérianes

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Partager :
Page non trouvée

Le contenu auquel vous tentez d'accéder n'existe pas ou n'est plus disponible.