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Drogue

La guerre américaine de l’opium

Avec le grand retour de la consommation de l’héroïne chez les toxicomanes aux Etats-Unis, les narcotrafiquants, principalement mexicains, qui s’étaient dernièrement spécialisés dans la production de cannabis, puis de cocaïne, se remettent à la culture du pavot et à la production d’opium et d’héroïne. Une histoire à rebondissements entre les deux pays, qui sert entre autres de prétexte pour la construction d’un mur entre le Mexique et des Etats-Unis.

Le mur frontière entre les Etats-Unis et le Mexique
Le mur frontière entre les Etats-Unis et le Mexique REUTERS/Jose Luis Gonzalez
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Le dernier rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants des Nations unies (OICS) s’inquiète pour l’Amérique du Nord de « l’épidémie de surdose d’opioïdes… qui implique l’usage d’analgésiques à base d’opium et la multiplication croissante de décès de dérivés illicites (de l’opium), en grande partie d’héroïne ».Le National Institute on Drug Abuse estime qu’il y eu plus de 47 000 décès par surdose de drogue aux Etats-Unis en 2014, dont 18 000 d’entre eux ont été causés par des analgésiques opioïdes délivrés sur ordonnance et 10 000 sont imputables à l’héroïne (dérivés de l’opium) dont la consommation a repris de manière croissante depuis une quinzaine d’années.

Au-delà de la consommation légale d’opiacé à des fins médicales (provenant d’Inde), notamment dans les traitements antidouleurs comme avec la morphine, de plus en plus de consommateurs en Amérique du Nord se tournent vers les opiacés illégaux. Le durcissement de l’accès à ces produits sur ordonnance a entraîné chez les toxicomanes une reprise de l’héroïne, une drogue dont la consommation avait très fortement diminué depuis le siècle dernier. Ce regain d’intérêt pour l’héroïne aux Etats-Unis a relancé un marché, aujourd’hui en pleine expansion, chez les narcotrafiquants, principalement mexicains.

Les producteurs d’opium : une production en augmentation

La production mondiale de matière première d’opiacés riche en morphine dépasse depuis 2009 la demande mondiale. Les stocks d’opiacés sont pleinement suffisants pour satisfaire la demande à des fins médicales et scientifiques mais la production augmente, créant des stocks de plus en plus importants malgré les fluctuations. La production était de 746 tonnes en 2015 et devrait avoir atteint 842 tonnes en 2016.

Face à cette demande d’opium légale, il y a tout le marché qui alimente les trafics internationaux d’opium et de dérivés illégaux. Ceux-ci sont toujours principalement produits en Asie (Afghanistan, Tadjikistan, Kirghizistan, Birmanie, Laos, Pakistan…) avec en tête l’Afghanistan, qui a cultivé 201 000 hectares de pavots à opium en 2016. Soit une production de 4 800 tonnes d’opium, représentant une augmentation de 43% par rapport à 2015 (3 300 tonnes) malgré une prévision à la baisse des autorités afghanes.

Les derniers arrivés sont les pays du continent américain qui, en 2015, produisaient en Colombie (1 100 hectares de pavots), au Guatemala (260 hectares) et au Mexique (28 000 hectares). Cette production d’opium et de dérivés comme l’héroïne se dirige principalement vers le marché des Etats-Unis et dans une moindre mesure l’Europe et le Canada qui seraient, d’après l’OICS, principalement approvisionnés en héroïne afghane par le Pakistan.

A la différence du Mexique, le Guatemala connait une baisse importante de ses surfaces de pavot (2 568 ha en 2013, 1 197 ha en 2014, 260 ha en 2015). Une baisse, d’après le rapport de l’OICS, due non pas tant aux politiques de lutte et d’éradication, qui n’ont pas ou peu affecté le développement des plantations avant 2013, mais à cause de trois facteurs : « l’augmentation de la production au Mexique, le dérèglement des principaux réseaux opérant dans le pays et la chute des prix de l’opium au Guatemala (baisse de 77%) qui a conduit les agriculteurs à se tourner vers le maïs, les pommes de terre et d’autres cultures licites en 2015 ». L’effondrement du trafic local est donc principalement lié à la concurrence mexicaine.

La culture du pavot sur le continent américain : une histoire mexicaine

Tout le monde s’accorde à dire que les connaissances sur l’opium au Mexique ont été transmises aux paysans mexicains par des immigrés chinois qui avaient ramené avec eux ce savoir-faire. L’histoire la plus célèbre raconte qu’un Chinois, Lai Chang Wong, né à Hong Kong en 1869, arrivé au Mexique en 1911, serait à l’origine de la culture du pavot et de la fabrication de l’opium. Après avoir été médecin pour les révolutionnaires mexicains du nord, il se serait converti en guérisseur et aurait fait pousser du pavot dans le Sinaloa jusqu'à Baradiguato, la terre d’El Chapo (Joaquin « Chapo » Guzman) le célèbre chef du cartel de Sinaloa aujourd’hui en prison aux Etats-Unis.

Le savoir du Chinois se transmettra au fil du temps aux paysans pauvres et aux aventuriers en quête de bonne fortune et le Sinaloa deviendra une terre de production d’opium, dès les années 1940. Plus tard, d’après les recherches du professeur Humberto Alvarez Valenzuela, les Américains et les Mexicains auraient signé un accord pour trouver un lieu de culture du pavot au Mexique afin de faire de l’opium et de la morphine pour les besoins de l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale (notamment utilisés comme antidouleurs). C’est là qu’ils se mirent à exploiter les plantations du Sinaloa.

Au fil du temps, la commune de Baradiguato deviendra un important pôle de production d’opium et une pépinière de grands trafiquants comme Caro Quintero, Ernesto Fonseca et Juan Esparragoza Moreno, des cartels de Guadalajara ou des frères Beltran Leyva. On surnommera la région « la Sicile mexicaine ». C’est aussi là que « El Chapo » passera son enfance avec son père qui produisait de l’opium pour l’armée américaine, avant de devenir lui-même le chef du plus grand cartel de trafic de drogue du Mexique, le cartel de Sinaloa.

Ces dernières années, la production d’opium s’est beaucoup développée et s’est même déplacée vers l’Etat du Guerre surnommé aujourd’hui « le deuxième Afghanistan ».

L’expansion du trafic et l’apparition des cartels au Mexique

En 1914, les Etats-Unis interdisent l’opium et la coca à usage non thérapeutique (Harrison Narcotics Tax Act) et le Mexique interdit la production et la vente de cannabis (marijuana) en 1920, et de l’opium en 1926 (le Mexique ne produit pas de coca à cette époque-là). Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis sont coupés de leurs routes d’approvisionnement asiatiques et le président Roosevelt demande au Consul général du Mexique de relancer la culture du pavot au Mexique, car il manque de morphine pour ses soldats.

Après-guerre, plusieurs assassinats, dont celui en 1944 du gouverneur du Sinaloa Rodolfo T. Loaiza, laissent déjà paraître des accusations de collusion entre politiques et trafiquants de drogues. En 1947, la presse accuse le nouveau gouverneur du Sinaloa Pablo Macias Valenzuela de contrôler le trafic d’opium de cet Etat. L’affaire fait grand bruit et le gouvernement du président Miguel Aleman Valdés se lance dans une campagne contre la production d’opium qui n’entamera pas beaucoup le pouvoir des trafiquants.

En 1960, le président Richard Nixon déclare « la guerre contre la drogue » en réaction à la contreculture de l’époque et en 1969, il lance l’opération « Intercept » qui consiste à fouiller toutes les voitures en provenance du Mexique. En 1970, dans le cadre de l’opération « Condor », les Etats-Unis cherchent à neutraliser les producteurs d’opium et de cannabis : les petits paysans en payent le prix fort et sont victimes de nombreuses exactions, mais aucun gros bonnet mexicain n’est arrêté. Certains deviennent même à cette époque des acteurs majeurs du trafic de cocaïne et travaillent pour le cartel colombien de Medellin de Pablo Escobar.

A sa mort en 1993, deux familles du Sinaloa, celles d’Arellano Félix et d’Amado Carrillo Fuentes (chef du cartel de Juarez), prennent le contrôle de filières de cannabis, de cocaïne et d’héroïne et créent « le cartel de Tijuana ». Amado Carillo Fuentes est assassiné en 1997 et le Mexique s’embrase dans des guerres de succession qui permettront l’ascension d’El Chapo Guzman et du « Cartel de Sinaloa ». En 2008, la naissance du cartel Beltran Leyva est suivie de conflits meurtriers. Des opérations policières et militaires mexicaines se lancent en vain dans des guerres contre les organisations criminelles qui se partagent le territoire, la violence explose (80 000 morts en 10 ans de lutte contre la drogue) et le cartel de Sinaloa devient le plus puissant du Mexique.

Un mur pour frontière aux Etats-Unis: se protéger des migrants clandestins et de la drogue selon Donald Trump

Au Mexique, les surfaces cultivées de pavot sont passées de 11 000 hectares en 2013 à 28 000 ha en 2015. 90 à 94% de l’héroïne consommée aux Etats-Unis provient du Mexique, d’après le secrétariat d’Etat aux Narcotiques. Les Etats–Unis mènent une guerre permanente contre les organisations criminelles mexicaines pour empêcher la drogue de rentrer dans leur pays. Principal point de vulnérabilité et principal axe de passage pour les narcotrafiquants : les 3 185 kilomètres de frontière entre les deux pays, du Golfe du Mexique jusqu'à l’Océan Pacifique. Pour contrôler cette espace est né en 1994 un programme, connu sous le nom d’Opération Gardien, qui a consisté entre autres à construire un mur et des barrières le long de la frontière. Son objectif était d’empêcher l’immigration illégale et de protéger le pays contre les gangs de la drogue ultra-violents du nord du Mexique et d’empêcher la drogue de pénétrer aux Etats–Unis.

Le projet a été voté en 2006 notamment par ceux qui étaient à l’époque sénateurs, Bill Clinton, Hillary Clinton et Barack Obama. Le mur, voté sous la présidence de Georges W. Bush, a commencé à être construit sous la présidence de Bill Clinton et les travaux ont été poursuivis sous l’administration Obama à plus petite vitesse. Le nouveau locataire de la Maison Blanche Donald Trump veut achever ce projet, il en avait fait un argument central de sa campagne et une priorité symbolique.

Aujourd’hui, beaucoup s’interrogent sur l’efficacité d’un tel ouvrage. Les portions de murs existants sont détournées par de multiples tunnels souterrains, des drones et des catapultes sont même utilisés par les narcotrafiquants. De mille manières, l’héroïne continue de passer sur le marché américain. William Brownfield, qui avait été nommé secrétaire d’Etat adjoint aux Narcotiques et à la sécurité des Etats-Unis par Barack Obama, déclarait récemment dans les colonnes de Milenio : « la construction d’un mur ne règlera rien et la chose la plus importante est de maintenir une solide coopération bilatérale de lutte contre le crime organisé et la drogue ». Et de conclure : « le véritable obstacle dans cette lutte, ce sont les hauts niveaux de corruption au Mexique ».

 

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