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Littérature / Caraïbe

Littérature caribéenne: Derek Walcott, le barde de Sainte-Lucie

Poète, homme de théâtre et universitaire, Derek Walcott est décédé le 17 mars dans sa maison à Sainte-Lucie, petite île des Antilles anglophones. Prix Nobel de littérature 1992, l'homme était considéré comme l’un des grands poètes de langue anglaise. Il est l’auteur d’une quarantaine de pièces de théâtre et d’une vingtaine de volumes de poésie dont son chef-d’œuvre Omeros, inspiré des épopées grecques. Il avait 87 ans.

Le prix Nobel de littérature 1992, Derek Walcott. Ici à Caracas, le 10 mai 2007.
Le prix Nobel de littérature 1992, Derek Walcott. Ici à Caracas, le 10 mai 2007. PEDRO REY / AFP
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« Je suis absolument persuadé que la littérature l’emportera toujours sur la politique », aimait dire Derek Walcott, Prix Nobel de littérature, qui vient de disparaître à l’âge de 87 ans. L’homme était une légende vivante dans sa petite île (Sainte-Lucie) de l’archipel caribéen où, tous les 23 janvier, le jour de l’anniversaire de la naissance du poète, des adolescents déclament ses poèmes dans tous les lycées du pays. Ile de 164 000 habitants, Saint-Lucie compte deux Prix Nobel, le second étant Arthur Lewis, récompensé par le prix Nobel d’économie en 1979.

En attribuant le prix à Walcott en 1992, le jury suédois avait souligné les trois attachements fondamentaux de sa créativité : « La patrie caraïbe, la langue anglaise et l’origine africaine ». Le communiqué de presse annonçant l’attribution du prix qualifiait son oeuvre de « production poétique lumineuse ». Le barde de Sainte-Lucie était considéré par ses pairs comme le meilleur poète de langue anglaise de sa génération.

Mulâtre de sang et de style

Véritable voyageur entre les mondes, Walcott avait résolument placé son œuvre sous le signe du métissage culturel. Il se définissait comme un « mulâtre de style » et puisait son inspiration autant dans Shakespeare et le canon occidental que dans les mythologies véhiculées par le patois caribéen qu’il pratiquait (presque) aussi bien que l’anglais. Rien n’illustre mieux sa démarche qu'Omeros, son recueil de poésies le plus connu, où le poète revisite L'Iliade et l’Odyssée, invitant son lecteur à les relire à travers la grille de lecture d’un combat pour la survie entre pêcheurs caribéens.

Riche en métaphores, épique par sa sensibilité, la poésie de Walcott a surtout pour thème l’Histoire, une histoire constitutive de l’identité caribéenne, et dont les deux volets sont l’extermination des Indiens caraïbes qui, plutôt que de se rendre, avaient préféré se jeter du haut d’une falaise, et le drame des esclaves africains arrachés à leur continent. Pour le descendant d’esclaves qu’était le poète, l’océan demeure le berceau de l’Histoire. « Sea is History », disait-il. Voici une explication de texte que l'on doit à Patrick Chamoiseau, fervent admirateur de l'auteur d’Omeros : « Il y a une vision très douloureuse dans l’œuvre de Derek Walcott qui est celle de cette mer Caraïbe tapissée des anciens esclaves qu’on jetait par-dessus bord. Et il dit très souvent que l’unité caribéenne est sous-marine, parce que le tapis de cadavres relie toutes les îles entre elles. »

Celui qui a écrit : « Je ne suis qu’un nègre rouge qui aime la mer, - j’ai reçu une solide éducation coloniale – j’ai du Hollandais en moi, du nègre, et de l’Anglais, soit je ne suis personne, soit je suis une nation » est né le 23 janvier 1930, à Castries, la capitale de Sainte-Lucie, ex-colonie britannique située dans les Petites Antilles. Métis au teint clair, il avait du sang africain, néerlandais et anglais. Orphelin de père très tôt (à 1 an), il a été élevé par sa mère, directrice d’une école maternelle. C’est à l’âge de 14 ans qu’il a publié son premier poème dans un journal local, avant d’emprunter 200 dollars cinq ans plus tard pour éditer à compte d'auteur son premier recueil de poèmes.

Revenant sur sa jeunesse à Sainte-Lucie, lors d’un entretien à la télévision, il a raconté qu’il avait écrit ses premiers poèmes dans l’espoir de voir sa mère institutrice les réciter devant ses élèves. L’influence de la mère fut fondamentale dans le devenir du jeune Derek. C’est sa mère qui lui a transmis l’amour de la langue en lui lisant à haute voix des classiques de la littérature anglaise, dont Shakespeare. Et tout naturellement, le jeune garçon s’est ensuite tourné vers des études littéraires qui l’ont conduit d’abord au Trinidad, puis à New York, à la faveur d’une bourse qu'il obtient pour étudier le théâtre au début des années 1950.

Le « Trinidad Theatre Workshop »

Si c’est par la poésie que Derek Walcott a accédé à la notoriété, avec la publication d’une vingtaine de recueils de grande qualité, où la puissance du verbe se mêle à la richesse évocatrice d’une imagination formée par de longues études littéraires, c’est par la pratique du théâtre que le futur Prix Nobel a évolué en tant qu’artiste et créateur. L'essentiel de cette évolution a eu lieu au Trinidad où il s’est installé en 1959 et a fondé un atelier théâtral qu’il va animer jusqu’à sa démission du poste de directeur en 1976.

L’œuvre théâtrale de Walcott, forte de vingt-huit pièces, dont un certain nombre de comédies musicales, témoigne de la prodigieuse créativité de cet auteur dramatique. L’homme a fait de la scène antillaise le lieu par excellence de méditation et de résistance à l’Histoire coloniale, par le biais d’une écriture théâtrale qui s’appuie autant sur le dialogue que la danse, la musique et la gestuelle. Walcott avait su s'emparer de la totalité des ressources de la dramaturgie pour donner à son peuple un outil d’introspection de masse. Une démarche militante qui fait penser à Brecht, l’un des grands modèles du Caribéen.

Pendant longtemps, Walcott a partagé son temps entre Trinidad et les Etats-Unis où il a enseigné dans différentes universités. Il a été aussi peintre. L’œuvre de ce poète essentiel reste très largement méconnue dans les pays francophones, même si depuis l’attribution du prix Nobel en 1992, plusieurs de ses recueils de poésie ont été traduits en français, et plus rarement son théâtre. Il n’en reste pas moins que Derek Walcott a toujours pu compter sur une poignée d’admirateurs en France pour pousser les éditeurs à s'intéresser à son oeuvre.

La légende veut que le journaliste du Monde Gilles Barbedette était tellement persuadé que le poète saint-lucéen allait finir par obtenir le Nobel, qu’il avait rédigé son portrait avant de mourir brutalement en 1992. Quelques mois après, lorsque Walcott a été effectivement couronné par le jury suédois, Le Monde a publié l’article du journaliste disparu - « Derek Walcott, prix Nobel de littérature : le Walt Whitman des Caraïbes » -, célébrant par anticipation le triomphe du poète et, à travers lui, celui de la Caraïbe qui, avec trois Nobels de littérature (Saint-John Perse, Derek Walcott et V.S. Naipaul), est devenue un véritable espace privilégié pour la création poétique.


Lire Derek Walcott en français:

Poésie

Le Royaume du fruit-étoile, édition bilingue (Circé 1992)

Heureux le voyageur (Circé 1993)

Raisin de mer (Demoures 1999)

Une autre vie (Gallimard 2002)

Le chien de Tiepolo : poème à Camille Pissarro (Rocher 2004),

La lumière du monde (Circé 2005)

Paramin, poèmes d'après des tableaux de Peter Doig (Actes Sud, 2016).

Théâtre

Ti-jean et ses frères (Circé 1997)

Rêve sur la montagne au singe (Demoures 2000) 

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