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Histoires nigérianes

[Chronique] Les années Goodluck et la nostalgie camarade

Ah ! C'était mieux avant, au temps de Goodluck Jonathan ! – le président au pouvoir jusqu'en mai 2015. Il s'agit d'un grand classique en Afrique et ailleurs dans le monde, la tendance à embellir le passé. A ne garder que les bons souvenirs en oubliant au passage les fins de règne où les affairistes s'en donnent à cœur joie.

Goodluck Jonathan avant de voter à Otuoke, le 28 mars 2015, lorsqu'il était encore président du Nigeria.
Goodluck Jonathan avant de voter à Otuoke, le 28 mars 2015, lorsqu'il était encore président du Nigeria. AFP PHOTO/STRINGER
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A Kinshasa, on croise ainsi nombre de « Mobutistes », à Bangui des supporters indéfectibles de Bokassa et même dans le nord du Nigeria, des aficionados de Sani Abacha – dictateur au pouvoir de 1993 au 1998. L'argument le plus souvent cité par les fidèles d'Abacha étant que sous son règne, comme il était le seul autorisé à voler de l'argent, les détournements auraient été, somme toute, moins importants. Ce qui n'est peut-être pas entièrement faux d'ailleurs.

La nostalgie Goodluck Jonathan est d'une autre nature. Il n'avait rien d'un dictateur. C'était un universitaire de formation. Le seul civil élu président depuis le retour à la démocratie en 1999. Force est de constater qu'il n'a pas fallu attendre longtemps pour que les Nigérians notamment dans le Sud se laissent aller à une soudaine vague de spleen.

Bien sûr, les électeurs avaient de bonnes raisons de dire Goodbye à Goodluck. Sous son règne, Boko haram avait fait des ravages dans le Nord-Est et la corruption prenait des proportions spectaculaires. Mais Lagos se trouve à plus de 1 000 kilomètres de l'Etat de Borno, la région où sévit principalement Boko haram. Les Lagotiens ne se sont jamais sentis très concernés par les exactions de la secte islamiste.

Par ailleurs, la corruption n'a pas commencé avec Goodluck, loin de là : elle constitue une tendance lourde de la vie politique et économique nigériane.

Première puissance économique d'Afrique

Les années Goodluck resteront associées à une période de prospérité. Pendant une décennie, le Nigeria a connu une croissance régulière et robuste : de l'ordre de 5 % par an. Goodluck a joué un rôle actif pendant deux mandats. D'abord en tant que vice-président d'Umaru Yar Adua à partir de 2007. Puis rapidement, comme chef de l'Etat par intérim dès lors que le président élu s'est révélé incapable de gouverner en raison de problèmes de santé. Umaru Yar Adua est décédé en 2010. Goodluck Jonathan l'a alors officiellement remplacé à la tête de l'Etat. Enfin, il a été élu haut la main en 2011. Pendant son mandat, le Nigeria est devenu la première puissance économique du continent.

Goodluck, le bien nommé, a bien vite acquis la réputation de se porter chance et de porter chance à son peuple. Sa carrière est marquée par la baraka. Sans expérience politique, il a très rapidement gravi les échelons. Elu vice-gouverneur de son Etat d'origine, le Bayelsa, en 1999, il est encore monté en grade : le gouverneur élu a eu maille à partir avec la justice, il était accusé de blanchiment.

Choisi comme vice-président en 2007 à la surprise générale, Goodluck Jonathan a bénéficié d'un incroyable concours de circonstances pour devenir rapidement président de fait du pays le plus peuplé d'Afrique. A savoir, la maladie grave du président élu, Yar Adua. Par la suite, il a donné l'image d'un président bonhomme et placide sur lequel les scandales glissaient sans jamais pouvoir l'atteindre.

En mai 2015, alors que des pontes du régime lui conseillaient d'orchestrer un coup de force pour rester au pouvoir, il a rapidement admis sa défaite électorale en appelant son rival Buhari pour le féliciter. Une attitude pas si fréquente sur le continent. De l'avis général, Goodluck a réussi sa sortie.

Après son départ, le Nigeria s'enfonce dans la crise

Depuis qu'il a tiré sa révérence, le Nigeria s'est inexorablement enfoncé dans la crise. Muhammadu Buhari a beau dire que c'est à cause de son prédécesseur que la situation économique est aussi dramatique, l'opinion est de moins en moins convaincue par ces arguments faciles.

La violence de la crise est d'abord due à la chute des cours du baril de pétrole, mais aussi à l'incapacité du régime à maintenir la paix sociale dans le delta du Niger. Depuis le départ de Goodluck Jonathan, les affrontements ont repris dans la région qui produit « l'or noir ». Du coup, la Fédération a perdu son titre de premier pays producteur du continent au profit de l'Angola.

Désormais, le Nigeria manque cruellement de devises fortes ce qui pénalise les entreprises installées dans ce pays ; elles connaissent les plus grandes difficultés pour se procurer les importations nécessaires à leurs activités. La politique de change adoptée par le régime ne convainc pas les acteurs économiques. Buhari était arrivé à la présidence avec la réputation d'être un piètre économiste. Son premier passage au pouvoir (de 1983 à 1985) avait été calamiteux sur le plan économique. Cette fois-ci, il ne convainc pas davantage.

D'autant que la corruption ne semble guère diminuer. Au-delà de ses grands discours, au quotidien les Nigérians côtoient des douaniers, des policiers et des fonctionnaires de plus en plus avides. D'autant que leurs salaires sont payés avec retard ou pas du tout.

Boko haram toujours très virulent

Buhari avait également promis d'en finir rapidement avec Boko haram. Force est de constater que la secte islamiste est encore très active. Elle détient toujours un grand nombre de « Chibok girls » et chaque semaine des populations sont massacrées dans le nord du pays. Pour « baba » (papa), le surnom de Buhari, l'état de grâce n'aura pas duré longtemps.

A l'époque de Goodluck Jonathan, les Sudistes avaient l'impression d'être écoutés. Le président était l'un des leurs. Il a grandi dans le Sud profond, au cœur de la région pétrolière. Issu d'un milieu populaire, tout comme son épouse, ce professeur de zoologie apparaissait comme un homme accessible et proche du peuple. Il venait fréquemment à Lagos et fréquentait notamment avec assiduité le monde du cinéma. Il organisait régulièrement des projections privées de films avec les stars de Nollywood. Il partageait avec son peuple cette passion pour un cinéma populaire qui raconte des histoires issues du quotidien du pays.

Aujourd'hui, bien des Sudistes ont le sentiment d'être abandonnés par Buhari, surnommé le « Président du Nord ». Il est vrai que depuis son élection en avril 2015, il n'est jamais venu à Lagos, la capitale économique et ne s'est pas davantage rendu à Port-Harcourt, la capitale pétrolière. Goodluck Jonathan venait très régulièrement à Lagos, il s'y sentait chez lui.

Autre raison pour cette nostalgie de l'époque Goodluck, nombre de Sudistes occupaient des positions-clés dans l'appareil d'Etat, notamment la ministre des Finances igbo, Ngozi Okonjo-Iweala. Aujourd'hui, l'essentiel des pouvoirs semble concentré entre les mains de Buhari et de personnalités issues du Nord, tout comme lui.

Dès qu'une mauvaise nouvelle arrive, comme la faillite de compagnies aériennes, l'hyperinflation ou des licenciements massifs dans le secteur pétrolier ou immobilier, le même refrain revient. « Ah ! Ce n'était pas comme cela au temps de Goodluck ». Plus vite que beaucoup l'auraient imaginé, l'homme au visage poupin et au chapeau noir suscite la nostalgie. Celle d'un Nigeria insouciant et confiant en son potentiel qui pensait que demain serait forcément meilleur. Depuis sa retraite forcée, il doit esquisser l'un de ses sourires légèrement narquois dont il possède le secret.

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