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Littérature

Tzvetan Todorov: l'intellectuel qui venait de l'autre côté du «Rideau de fer»

Intellectuel d’origine bulgare, Tzvetan Todorov a marqué la pensée française par ses livres sur des sujets de fond tels que le bien et le mal, le rapport avec l’Autre ou les failles des démocraties contemporaines. Parallèlement, il a fait une brillante carrière de chercheur et d’universitaire, spécialiste de littérature qu’il a appris à analyser et à aimer à des générations d’étudiants. Avec la mort de cet essayiste, disparaît une plume talentueuse mais aussi un analyste subtil du monde comme il va.

Le philosophe Tzvetan Todorov.
Le philosophe Tzvetan Todorov. Photo: E.Fougere
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« Aussi loin que remontent mes souvenirs, je me vois entouré de livres », aimait à dire Tzvetan Todorov, penseur et essayiste franco-bulgare, qui vient de s’éteindre à Paris le 07 février 2017, à l’âge de 77 ans. Né dans la Bulgarie communiste dans les années 1930, fils d’un universitaire et d’une bilbliothécaire, et auteur lui-même d’une quarantaine d’essais dont les plus connus ont été traduits en vingt-cinq langues, l’homme a vécu toute sa vie dans le monde fécond des livres, faisant de l’échange et de la confrontation des idées le pilier central de son existence. Il s’est signalé à l’attention par sa réflexion approfondie et empathique sur l’histoire, la littérature, la société, la politique, puisant dans les convolutions passées des sociétés les repères pour comprendre les turbulences du monde contemporain.

La pensée de Todorov qui se déploie dans toute sa diversité et ses richesses dans des essais subtils et érudits, s’inscrit dans la grande tradition humaniste européenne. Ses mâitres avaient pour nom Rousseau, Benjamin Constant, Voltaire, Montaigne, mais aussi Tolstoï, Dostoïevski, Tchekov, Maïakovski ou Mikhaïl Bakhtine. Produit de ce métissage heureux de l’Est et de l’Ouest, l’essayiste a occupé une place singulière dans la pensée contemporaine, à la fois au cœur de ses préoccupations et ailleurs. Son parcours atypique fait penser à celui d’un Edouard Glissant ou d’un Edouard Saïd qui appartenaient eux aussi à une double tradition intellectuelle et culturelle.

Pionnier des études structuralistes

Dans les années 1950, c’est par le biais de l’analyse et de la critique littéraire que Todorov est entré dans le monde de l’écriture. Etudiant à l’université de Sofia (en Bulgarie), il s’intéresse aux formalistes russes et aux sciences du langage. Or faire la littérature était pour lui à l’époque, comme il l’a expliqué à une amie journaliste, avant tout une manière de « mettre à distance l’enjeu idéologique ». En effet, dans la Bulgarie de la Guerre froide, la chape de plomb communiste n’épargnait ni les jeunes ni les adultes. Mais la meilleure manière de mettre à distance le totalitarisme communiste, c’était de s’exiler. C’est ce que fait le jeune Bulgare lorsque, fuyant son pays, il vient s’installer à Paris en 1963. Il a 24 ans. Il poursuit ses études de littérature, se spécialisant, sous la direction de Roland Barthes, dans l’analyse structuraliste et la narratologie.

En 1965, il publie son premier livre, consacré aux formalistes russes. Cofondateur en 1970 de la revue « Poétique » avec son compère universitaire Gérard Genette, il s’impose dans le monde académique et universitaire en publiant dans la foulée son célèbre Introduction à la littérature fantastique (Seuil, 1970), devenue depuis un classique que tout étudiant en lettres digne de ce nom se doit de lire.

Questions de fond

Quant au grand public, il doit attendre pour faire connaissance avec la pensée humaniste de Tzvetan Todorov. Si ce dernier n’a jamais vraiment mis fin à ses travaux avant-gardistes en littérature et en analyse littéraire qu’il a poursuivis en tant que directeur de recherches au Centre national de recherches scientifiques (CNRS), sa production marque un tournant à partir des années 1980 pour s’intéresser à des questions de fond qui secouent la société française : altérité, histoire, identité, résistances, démocratie…

Todorov aborde ces thématiques moins en sociologue ou en philosophe qu’en historien des idées, développant un point de vue moral et critique, comme dans son essai majeur Nous et les autres (Seuil, 1989) qui est une critique du relativisme culturel de Lévi-Strauss. Ce livre était l’occasion pour l'essayiste d’affirmer son attachement au pluralisme des pouvoirs, à la diversité des cultures et des idées. Dans la même veine, dans La conquête de l’Amérique : la question de l’autre (Seuil, 1982), il raconte comment en l’absence d’une conception claire de l’altérité, les sociétés précoloniales américaines se sont effondrées confrontées à un ennemi venu d’ailleurs, manipulant à son profit jusqu’à leur perception de la réalité.

S’inscrivant résolument dans l’héritage des Lumières tout en soumettant leurs idées à un réexamen constant, Todorov a également brossé des portraits des hommes et des femmes qu’il admirait : Rousseau, Voltaire, Diderot, mais aussi Benjamin Constant et Montaigne. Plus récemment, n’ayant jamais oublié son expérience du totalitarisme de l'autre côté du « Rideau de fer », il a portraituré dans l'un de ses derniers ouvrages intitulé Insoumis (2015), des figures de résistants: de Boris Pasternak à Alexander Soljenitsyne, en passant par Mandela, Malcolm X, Germaine Tillon, Edward Snowden, mais aussi des personnalités peu connues telles que les militants juifs Etty Hillesum ou David Shulman. Les héros de Todorov « ne sont pas des conquérants », mais des hommes et des femmes qui ont su refuser « la force qui veut les soumettre » et surtout le « manichéisme » qui est le principe de base des sociétés totalitaires.

C’est sans doute encore et toujours ce refus de l’idéologie manichéiste qui faisait dire à l’auteur de l’Introduction à la littérature fantastique au journaliste du Monde : « Ce n'est pas grave si un élève sort du lycée sans connaître la différence entre focalisation interne et externe. C'est grave s'il ignore Les Fleurs du mal ! »

►A (ré) écouter :


Todorov en 5 dates

1939 : Naissance à Sofia (Bulgarie)
1963 : Arrivée à Paris
1965 : Publication de son premier livre: Théorie de la littérature. Texte des formalistes russes (Seuil)
1973 : Obtention de la nationalité française
2017 : Mort à Paris, des suites d'une maladie neurodégénérative

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