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Syrie

En Syrie, quatre guerres dans un conflit

Quatre guerres se déroulent simultanément en Syrie. Qui sont les belligérants et quels sont les enjeux ? Analyse d’un conflit qui a déjà fait plus de 310 000 morts en bientôt six ans.

Vue sur les immeubles ravagés d'Alep depuis les hauteurs de sa citadelle médiévale, le 31 janvier 2017.
Vue sur les immeubles ravagés d'Alep depuis les hauteurs de sa citadelle médiévale, le 31 janvier 2017. REUTERS/Ali Hashisho
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De notre correspondant à Beyrouth

A ses débuts, en mars 2011, la crise syrienne prend la forme d’une confrontation « classique » entre un gouvernement autoritaire et des manifestants réclamant davantage de démocratie et de liberté. Six ans plus tard, elle a déjà fait, selon l’ONU, 310 000 morts, des centaines de milliers de blessés et douze millions de réfugiés et déplacés, devenant ainsi un des conflits les plus meurtriers du XXIe siècle, qui a généré la plus grave crise de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale.

Au-delà de la dimension humanitaire, la crise syrienne s’est complexifiée, avec l’implication directe de grandes puissances et d’acteurs régionaux étatiques et non-étatiques. Les protagonistes sont empêtrés dans quatre guerres qui se superposent, avec des enjeux géopolitiques cruciaux et des alliances parfois improbables.

Pour le régime, « tous des terroristes »

La première guerre, la plus ancienne, oppose l’Etat syrien à une opposition armée composée de dizaines de groupes à dominante islamiste, allant des jihadistes aux modérés, en passant par les salafistes. Au début de la crise, entre mai 2011 et début 2012, les insurgés comptaient des composantes non islamistes, dirigées par des officiers ayant fait défection et regroupées au sein de l’Armée syrienne libre (ASL).

Mais la plupart des brigades de l’ASL se sont islamisées, à cause de l’influence des Frères musulmans et pour mieux bénéficier du soutien financier et militaire des Etats sunnites du Golfe persique et de la Turquie. Au fil du temps, elles ont été absorbées par des groupes extrémistes, avec à leur tête le Front al-Nosra, l’ancienne branche d’al-Qaïda, rebaptisée Fatah al-Cham en 2016. D’autres mouvements d’obédience salafiste ou islamiste sont apparus, comme Ahrar al-Cham, Noureddine Zenki, Jaych al-Islam, Souqour al-Cham, Jaych al-Moujahidine, etc… Des experts ont répertorié l’existence d’un millier de groupes et de brigades rebelles, capables de mobiliser 150 000 combattants. Toutefois, une dizaine de groupes seulement contrôlent près de 80% des effectifs et des ressources, dont des milliers de jihadistes étrangers venus d’Europe, des pays arabes, du Caucase, d’Asie centrale et de Chine.

Le régime syrien ne fait aucune distinction entre les groupes armés, il les appelle tous des « terroristes ». La principale bataille entre les troupes gouvernementales et les rebelles a eu lieu en novembre et décembre 2016 à Alep et s’est terminée par la victoire du régime, soutenu par l’aviation russe, le Hezbollah libanais, les Gardiens de la révolution iraniens et des milices chiites irakiennes et afghanes. Les insurgés comptaient dans leurs rangs des jihadistes de Fatah al-Cham, des salafistes, des islamistes, ainsi que les débris islamisés de l’ASL, coalisés au sein de l’« Armée de la conquête ».

Depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, parrainé par la Russie et la Turquie, le 30 décembre 2016, le niveau de violence a considérablement baissé entre l’armée syrienne et les rebelles non jihadistes. La dernière grande bataille, qui a duré quarante-quatre jours, a eu lieu à Wadi Barada, à 18 kilomètres au nord-ouest de Damas. Elle s’est soldée, fin janvier, par la prise de contrôle par le régime de cette région stratégique, qui renferme les principales sources d’approvisionnement en eau de la capitale.

En outre, des combats sporadiques opposent les troupes gouvernementales aux islamistes de Jaych al-Islam, dans la Ghouta orientale de Damas, où le régime progresse lentement. Au sud et à l’ouest de la capitale, le gouvernement a repris une grande partie du territoire à coups d’assauts et de processus de « réconciliation ».

L’EI, seul contre tous

Si les jihadistes de l’ex-Front al-Nosra ont conclu des alliances avec de nombreux autres groupes en Syrie, l’organisation Etat islamique (EI), elle, se bat contre tout le monde. Dans son idéologie, il n’y a pas de place aux alliances mais à l’allégeance totale au « calife » irakien auto-proclamé Ibrahim al-Samurraï, alias Abou Bakr al-Baghdadi.

Jusqu’en 2013, l’EI coexistait avec les autres groupes un peu partout en Syrie et, parfois, ils se battaient ensemble contre l’armée syrienne. Mais dès 2014, le divorce a été consommé et une guerre ouverte a été déclarée contre tous les groupes qui ont refusé de prêter allégeance après la proclamation du « califat », en juin de cette même année. L’EI a chassé, massacré ou phagocyté tous les groupes actifs dans l’est de la Syrie, et a lui-même été expulsé du nord-ouest du pays et de la ville d’Alep par ses frères ennemis.

Dans les provinces de Hassaké et de Raqqa, au nord-est de la Syrie, l’EI affronte une coalition kurdo-arabe appelée les Forces démocratiques syriennes (FDS), soutenue par Washington. Les FDS constituent le seul levier américain sur le terrain syrien. Elles reçoivent des armes et du matériel des Etats-Unis, dont des véhicules blindés livrés fin janvier, probablement sur ordre de l’administration Obama. Les FDS sont entraînées par des forces spéciales américaines, qui auraient créé, selon le site Basnews (proche du leader kurde irakien Massoud Barazani) une base militaire capable d’accueillir jusqu’à 5 000 soldats à Tall Badr, à 35 kilomètres de la ville de Hassaké (à 70 km de la frontière turque et 50 km de l’Irak).

Au stade actuel de la crise, l’EI concentre ses attaques contre les territoires contrôlés par l’armée syrienne. Les jihadistes ont lancé, début décembre, une vaste offensive dans le centre de la Syrie, reprenant, le 10 du même mois, la ville antique de Palmyre, et progressant en profondeur dans la province de Homs. Début janvier, les combattants de l’EI étaient à deux doigt d’encercler totalement l’aérodrome militaire T4, situé à mi-chemin entre Palmyre et Homs. Mais une violente contre-offensive de l’armée syrienne et du Hezbollah, appuyés par l’aviation russe, a permis de désenclaver le site stratégique. Depuis, les troupes gouvernementales sont repassées à l’attaque et les jihadistes sont sur la défensive. L’armée syrienne et ses alliés ne sont plus très loin de la cité antique.

Le 14 janvier, l’EI a lancé sa plus vaste offensive en un an dans la province de Deir Ezzor, pour prendre l’enclave de 30 kilomètres carrés contrôlée par l’armée, comprenant l’aéroport et une partie de la ville de Deir Ezzor, chef-lieu de la province éponyme. Cette bataille est stratégique pour les jihadistes en prévision de la perte de Mossoul, en Irak, et de leur seconde capitale Raqqa, dans le Nord syrien.

A Deir Ezzor, l’EI a réussi à couper en deux le réduit gouvernemental, séparant l’aéroport de la ville. L’armée syrienne et les milices tribales sunnites pro-régime font preuve d’une résistance acharnée, mais ne sont toujours pas parvenues à rétablir la jonction entre les deux parties de l’enclave, malgré des centaines de raids menées par l’aviation russe et syrienne.

Le troisième front impliquant l’EI se situe à l’est de la ville d’Alep. Dans cette région, l’armée syrienne a repris aux jihadistes plusieurs localités et ne serait plus d’à dix kilomètres au sud-ouest de la ville d’al-Bab, dernier bastion de l’EI dans la province septentrionale d’Alep.

L’obsession kurde de la Turquie

Al-Bab, située à 25 kilomètres de la frontière turque, cristallise les ambitions de la Turquie en Syrie. Lancée en août dernier par Ankara avec le soutien de groupes syriens qui lui sont affiliés, l’opération « Bouclier de l’Euphrate » a permis, dans un premier temps, de repousser les jihadistes de la frontière. Mais depuis le 10 décembre, l’armée turque est enlisée devant les portes de cette ville, où elle a déjà perdu au moins 48 soldats et une dizaine de chars.

Après des années de complaisance avec l’EI (le groupe jihadiste faisait transiter combattants et pétrole via le territoire turc sans être inquiété), la Turquie s’est finalement décidée à prendre part directement à la guerre contre l’organisation terroriste après de fortes pressions occidentales et russes. L’objectif déclaré d’Ankara est de chasser les jihadistes de la région frontalière. Mais son but prioritaire est d’empêcher les Kurdes du nord-ouest et du nord-est de la Syrie de faire leur jonction et de contrôler ainsi une bande de 400 kilomètres, le long de la frontière avec la Turquie.

Dans cette région, l’armée turque combat tout autant l’EI que les FDS, pourtant soutenus par son allié américain. Cependant en Syrie, les intérêts d’Ankara et de Washington divergent, ce qui explique, en grande partie, le rapprochement entre la Turquie et la Russie. Avant de se diriger vers al-Bab, le « Bouclier de l’Euphrate » a pris la ville de Manbij, d’où les FDS avaient chassé quelques semaines plus tôt les jihadistes. La bataille d’al-Bab est extrêmement complexe, car c’est le seul champ de bataille où les armées syrienne et turque, les jihadistes et les Kurdes sont simultanément en contact direct.

Guerre civile entre rebelles

A l’ouest d’Alep et dans la province d’Idleb, un nouvel épisode du conflit syrien vient de s’ouvrir fin janvier. La réunion d’Astana, au Kazakhstan, entre le régime et les rebelles, sous l’égide de la Turquie et de la Russie, a relativement stabilisé le cessez-le-feu du 30 décembre, mais a déclenché une guerre intestine entre les insurgés. Pour éviter « une guerre civile » entre les rebelles, le porte-parole des insurgés à Astana, Oussama Abou Zeid, avait pourtant exprimé des réserves à l’égard des résolutions prises au cours de la réunion. Mais cela n’a pas empêché les contradictions, longtemps étouffées, de remonter à la surface entre des rebelles pro-turcs favorables au cessez-le-feu - en prélude du lancement de négociations politiques avec le régime - et des jihadistes hostiles à tout règlement pacifique de la crise.

Alors que la réunion n’était pas encore terminée, Fatah al-Cham, qui contrôle en grande partie Idleb, a lancé une offensive surprise contre plusieurs groupes rebelles, notamment Jaych al-Moujahidine. Après des jours de combats, les jihadistes ont pris un certain nombre de localités. Ces développements sur le terrain ont provoqué une polarisation des groupes rebelles, désormais divisés en deux camps : partisans et ennemis de Fatah al-Cham. Ces derniers se sont regroupés autour des salafistes d’Ahrar al-Cham, alors que les premiers ont créé une nouvelle coalition appelée « Comité de libération d’al-Cham ».

Les jihadistes ont en fait lancé une guerre préventive, visant à éliminer les groupes susceptibles d’accepter une longue trêve couronnée par un règlement politique avec le régime, sous l’impulsion de la Turquie et de la Russie. Le leader de Fatah al-Cham, Abou Mohammad al-Joulani (qui était un lieutenant d’Abou Bakr al-Baghdadi avant de faire allégeance au chef d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, puis de rompre tout lien avec ce dernier), souhaite unifier les groupes présents à Alep, Idleb, Hama et Homs, sous son commandement.

En parallèle à ces quatre grandes guerres qui se déroulent simultanément en Syrie, de nombreuses autres batailles aux enjeux moins importants font rage dans le pays. A Deraa, dans le sud, par exemple, des groupes proches de la Jordanie tentent de contenir l’expansion de l’EI.

Dans un schéma d’une telle complexité, marqué par des intérêts divergents et des enjeux vitaux pour les différents acteurs locaux, régionaux et internationaux, on ne s’étonnera pas que les conditions pour une solution politique soient aussi difficiles à réunir.

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