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ONU

ONU: petites (et grandes) histoires des missions de maintien de la paix

Grand témoin des tragédies du monde contemporain, Célhia de Lavarène a participé à sept missions de maintien de la paix depuis vingt ans, du Cambodge à l’Afrique du Sud, de la Slavonie orientale au Timor Oriental, à la Bosnie-Herzégovine et au Liberia… C’est cette expérience hors du commun qu’elle raconte dans Les Etoiles avaient déserté le ciel, publié aux éditions Balland, avec un franc-parler qui a certes dérangé dans les arcanes onusiennes, mais qui ne l’a pas empêchée de demeurer sous la protection de quelques-unes des personnalités les plus influentes de l’ONU.

Les familles des victimes des massacres de Srebrenica lors d'une manifestation en 2009.
Les familles des victimes des massacres de Srebrenica lors d'une manifestation en 2009. AFP / Elvis Barukcic
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En 1991, Célhia de Lavarène couvre depuis peu l’actualité de l’ONU à New York pour des médias français, du Quotidien de Paris à Jeune Afrique et RFI. Au siège, sur les bords de l’East River, cette blonde platinée ne passe pas inaperçue au Delegates Lounge, le Bar des délégués où se croisent au premier étage de la maison de verre, diplomates et agents secrets en tout genre, à deux pas du Conseil de sécurité. Un jour de mai de la même année, Max Tortel, le directeur des ressources humaines, l’appelle : « Aimerais-tu partir pour le Cambodge ? L’ONU est en train de mettre en place une mission et nous n’avons pas assez de francophones ». La journaliste n’en revient pas. Quoi de plus exaltant que de participer sur le terrain au maintien de la paix, une des deux missions essentielles des Nations unies, avec la sécurité.

Ce coup de fil va changer le cours de sa vie. En vingt ans, Célhia de Lavarène, qui a poursuivi ses activités de journaliste, va participer à sept missions, et non des moindres, du Cambodge à l’Afrique du Sud, de la Slavonie orientale au Timor Oriental, à la Bosnie-Herzégovine et au Liberia…

Pour une poignée de dollars

Pressée de servir, l’auteur débarque en avril 1992 à Phnom Penh, quelques semaines avant la présidentielle au Cambodge. « L’ONU parviendra-t-elle à encadrer le scrutin dans un pays en armes ? », se demande Célhia dans son livre. Le défi est immense. Engagée en tant que personnel non-onusien, elle découvre d’abord les lourdeurs de l’organisation. « Je suis payée – et bien payée – pour ne rien faire et la boucler », dit-elle, critiquant ses collègues « permanents », pour qui « l’ONU, c’est le Club Med », « une machine à gagner du fric qu’ils étalent avec ostentation et dépensent avec parcimonie ». Ils profitent « des jeunes et ravissantes Cambodgiennes qu’ils appâtent pour une poignée de dollars (et ils) usent et abusent » de leur immunité diplomatique, poursuit-elle. Ils sont les premiers à être évacués, contrairement aux « locaux », mal payés, « corvéables à merci », qui sont abandonnés en cas de problème. Et d’ajouter : « Les Cambodgiens n’intéressent pas ou peu les internationaux », parlant de leur arrogance et de leur mépris, du haut de leurs maisons, voitures et autres bureaux climatisés… Elle poursuit, provocante : « Ont-ils seulement entendu parler du génocide ? »

Dans les opérations de maintien de la paix, politiques et militaires sont les deux jambes d’un même attelage. Célhia a su gagner la confiance du général Rideau, le patron des forces françaises qui, de son ton bourru, la met en garde : « Si j’ai un conseil à vous donner, c’est de la boucler. Sinon, vous ne ferez pas long feu ici ». Derrière ses accents fanfarons, qui agacent, et ses harangues parfois un tantinet démagogues, l’auteur cache mal un cœur en or au service des victimes les plus démunies. Entre deux bulletins à usage interne dont on lui a confié la rédaction, elle part à la rencontre des Cambodgiens. Un « peuple fier », dit-elle, qui tente de réapprendre à vivre après vingt ans d’isolement international, avec l’espoir de voir enfin les factions désarmées, alors que les Khmers rouges sont toujours aux ordres de Pol Pot.

Une jeune fille louée pour la semaine

Célhia a le don de voir ce qu’il ne faut pas voir. Un soir, dans un restaurant cambodgien fraîchement ouvert où elle mange avec des amis, elle découvre, au dos de la carte, la photo de très jeunes enfants avec leur âge et leur prix... Il suffit de choisir une photo numérotée et la marchandise sera livrée à l’endroit et à l’heure de leur choix, assure le serveur. Elle et ses compagnons se lèvent sur-le-champ, clamant leur désapprobation ! Mais elle se désole de lire la liste des méfaits des casques bleus qui s’installe à la Une des journaux locaux : « Il y a quelques jours, un soldat africain s’est fait tirer dessus par le père d’une jeune Cambodgienne qu’il avait louée pour la semaine… »
 

Célhia de Lavarène.
Célhia de Lavarène. Balland

Au Cambodge, Célhia de Lavarène se lie aussi d’amitié avec un homme de terrain, Sergio Vieira Di Mello, dont le destin tragique, à Bagdad, bouleversa plus tard Kofi Annan. Patron du département des opérations de maintien de la paix, ce dernier écoute, l’air souvent amusé, les coups de gueule de Célhia. Devenu secrétaire général, il la fait venir en 1999 à son retour du Timor oriental. Les milices que l’ONU était censée avoir jugulées avant le scrutin viennent de tuer « plusieurs centaines de civils, dont son interprète ». Qu’est devenu le document confidentiel qu’elle a fait passer à New York pour les alerter ? L’entourage de Kofi Annan a l’air « horrifié ». Tous ont encore en mémoire « le câble que le général Dallaire avait fait parvenir à New York, peu avant le génocide rwandais » en avril 1994, commente l’auteur. Un épisode qui a marqué au fer rouge à la fois la réputation de l’organisation mais aussi profondément la conscience de l’ancien secrétaire général.

En avril 2000, elle part en Bosnie. Sa mission : négocier avec l’Association des mères de Srebrenica pour qu’elles acceptent de revenir dans « l’enclave maudite » alors qu’aucun musulman n’y est encore retourné. « Ces femmes ont vu périr sous leurs yeux tous les hommes de leur famille parce que l’ONU – les casques bleus hollandais en l’occurrence – a failli à son devoir de les protéger », dit-elle, consciente d’être « l'ennemie » aux yeux de ces femmes meurtries. « Comment aurais-je pu refuser d’organiser la cérémonie de commémoration des massacres de Srebrenica », se souvient Célhia de Lavarène, décidément grand témoin des tragédies du monde contemporain.

Des raids dans des centaines de bars et de bordels

Avant de partir, elle prend conseil auprès de François, un autre de ses amis militaires, prêté par l’armée française à l’ONU où il travaille à la cellule renseignements/recherches. Ce dernier lui explique comment les Européens, qui ne voulaient pas d’une « enclave musulmane au cœur de l’Europe », ont été écartés des accords de Dayton signés en 1995, qui ont mis fin aux combats en Bosnie-Herzégovine. « Ce qu’on sait moins », poursuit-il flegmatique, c’est que pour parvenir à ces accords, les Américains ont livré Srebrenica à Mladic et Karadzic, la partie adverse, en échange de cette signature. Holbrook, le négociateur, « n’avait sûrement pas prévu qu’il y aurait 8 000 morts en une seule journée », tempère-t-il aussitôt.

L’année suivante, Célhia de Lavarène est appelée par Jean-Paul Klein, qui vient d’être nommé représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Bosnie-Herzégovine, avec pour mission de réformer et restructurer les forces de police de l’ancienne Yougoslavie, sans doute le plus vaste programme de ce type jamais entrepris par l’ONU. « Dès le début de son affectation en qualité d’officier des droits de l’homme, Célhia est entrée de plain-pied au cœur des problèmes », se souvient-il dans la préface. Découvrant « l’ampleur du trafic des êtres humains dans les Balkans », il fallait lutter contre « l’effondrement des institutions traditionnelles et judiciaires » à l’issue de la guerre, et cela sans mandat exécutif. Dans ce contexte, comment convaincre la police d’intervenir ?

« Au cours des deux années où Célhia était à la tête de STOP [Special Trafficking Operations Programme, avec un effectif de 250 policiers locaux et internationaux], ses équipes ont mené des raids dans des centaines de bars et de bordels », se souvient Jean-Paul Klein, soulignant son courage et son expérience en termes d’investigation. Leurs « résultats furent gratifiants », affirme-t-il, d’autant que leurs « efforts ne furent pas sans danger » : menaces, harcèlement, etc. Malgré tous les câbles négatifs en provenance du siège, le diplomate parviendra à employer à nouveau Mme de Lavarène en 2004 au Liberia, qui selon lui « présentait bien des problèmes similaires » à ceux de la Bosnie-Herzégovine : « le commerce du sexe sévit dans n’importe quelle région déchirée par la guerre, où des milliers de soldats et d’entrepreneurs civils, des centaines d’internationaux et d’ONG sont postés ».

Il se souvient que « Célhia et son équipe furent à pied d’œuvre toutes les nuits, de 22 heures à 5 heures du matin », établissant des abris sécurisés, rapatriant les victimes. Passeports confisqués, elles « étaient retenues prisonnières, droguées, battues, violées et forcées de se prostituer », raconte-t-il. Et de qualifier d’« héroïques » les efforts de Célhia, qui a « sauvé de nombreuses victimes, dont certaines qu’elle a personnellement escortées dans leur pays d’origine, souvent en payant de sa poche ». Des actions de terrain qui « méritent l’appui total de la communauté internationale »

Le nouveau secrétaire général, Antonio Guterres, qui a pris ses fonctions le 1er janvier succédant à Ban Ki-moon dans une ONU en crise, sera-t-il soucieux de mieux protéger les civils ? Il a annoncé qu’il allait mettre en place une stratégie qui devrait « changer la donne » en renforçant les sanctions contre les abus sexuels commis par les casques bleus, si dommageables à l’image de l’organisation. Mais déjà, en octobre 2015, un comité d’experts indépendants avait proposé de mettre en place un tribunal international spécial pour juger ce qu’il est convenu de qualifier de crimes contre l’humanité. Cette année-là, selon le rapport publié en 2016, l’ONU a recensé 69 cas d’abus sexuels commis par les casques bleus (contre 52 en 2014 et 66 en 2013). Mais les experts soulignent aussi la difficulté à recruter des casques bleus dans les pays fournisseurs de troupes.


■ Les Etoiles avaient déserté le ciel
, par Célhia de Lavarène. Paris, éditions Balland, 2016. 311 pages. 22 euros.

 

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