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France

Anniversaire: hommage «amoureux» de Jack Lang à François Mitterrand

« Vingt ans après sa mort, cent ans après sa naissance, François Mitterrand n’a jamais été aussi nécessaire », écrit Jack Lang dans la présentation de son Dictionnaire amoureux de François Mitterrand. Ministre de la Culture et de l’Education sous Mitterrand, l’actuel président de l’Institut du monde arabe a été l'un des très proches collaborateurs et compagnon de route du président socialiste pendant ses deux septennats. En 134 mots et 455 pages, Jack Lang restitue la vie et la politique de l’homme d'Etat français : ses idées, son univers et ses zones d'ombre. Entretien.

François Mitterrand et Jack Lang en 1984, lors de l'inauguration du Zénith, destiné à l'époque à être la nouvelle salle de rock à Paris.
François Mitterrand et Jack Lang en 1984, lors de l'inauguration du Zénith, destiné à l'époque à être la nouvelle salle de rock à Paris. JOEL ROBINE / AFP
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RFI : Vous avez déjà publié deux livres (1) sur François Mitterrand. Comment est née l’idée de ce Dictionnaire amoureux qui n’est pas un livre comme les autres?

Jack Lang : L’idée n’est pas venue de moi. C’est Plon, mon éditeur, qui me l’a proposée. Au début, j’étais un peu réticent parce qu' « un dictionnaire amoureux » paraissait un peu abusif, excessif. Puis finalement, c’est la logique de la collection qui porte ce nom. N'existe-t-il pas déjà un Dictionnaire amoureux de De Gaulle, un Dictionnaire amoureux de Napoléon ? Alors pourquoi pas Mitterrand ? Je me suis pris au jeu.

L'exercice a-t-il été quand-même difficile ?

Le plus difficile, c’était de trouver un équilibre entre les impératifs de scientificité et d’exhaustivité du dictionnaire et l’émotionnel qu’autorise le qualificatif « amoureux ». J’espère avoir trouvé l’équilibre entre ces deux exigences. C’est en écrivant que progressivement un style s’affirme. Et je crois n’avoir rien sacrifié à l’exigence de vérité, telle que je l’ai vécue, ni l’exigence d’affection et d’admiration que je porte à Mitterrand. L’objectif était de proposer à travers ce jeu des entrées multiples, des éléments permettant d’appréhender l’homme, le personnage, les actions que nous avons conçues ensemble ou celles que le président a lui-même imaginées. Donc, finalement, l’écriture s’est révélée être un exercice assez excitant, parce que je n’étais pas contraint d’écrire un livre selon un plan pré-établi. Vous choisissez un certain nombre de mots à partir desquels vous pénétrez à l’intérieur d’une histoire.

Votre démarche a consisté aussi à confronter votre sujet à d’autres histoires que la sienne, celles des grandes figures politiques qui vous ont marqué, notamment Pierre Mendès France. Qu’est-ce qui distinguait les deux hommes ?

Ils étaient deux personnages de haute stature, deux personnages au caractère bien trempé, tous les deux hommes de gauche pleinement engagés, des personnalités brillantes, toutes les deux d’une intelligence acérée. Ce que François Mitterrand avait, je ne peux pas dire en plus, mais à côté… allons, disons-le, en plus de Pierre Mendès France, c’est qu’il avait réfléchi à tous les moyens de conquérir pratiquement et concrètement le pouvoir. Mendès France, par son tempérament, son caractère, son attitude parfois ombrageuse, n’avait pas réussi, par exemple, à transformer le Parti radical dont il avait été l’un des dirigeants, tandis que Mitterrand est parvenu à prendre la tête du Parti socialiste et à le transformer. François Mitterrand s’était donné les moyens concrets et pratiques pour faire gagner ses idées.

Plon

Peut-on dire que l’un était idéaliste, l’autre pragmatique ?

Les deux étaient à la fois idéalistes et pragmatiques. Simplement, Mendès France n’avait peut-être pas le même sens de l’organisation d’une formation politique que Mitterrand. Il faut dire aussi que le premier fut longtemps réticent à l’idée même d’être candidat à la présidence de la République, par conformité à son engagement contre l’élection du président au suffrage universel. Et lorsqu’il a décidé d’être candidat, c’était trop tard !

Dans l’avant-propos, vous dites votre admiration pour François Mitterrand, tout en rappelant que vous n’avez pas toujours été d’accord sur tout. Des exemples ?

Par exemple, les événements de Mai 68. Mitterrand est passé à côté. C’était une incompréhension totale, entre un homme politique classique et un mouvement jaillissant et spontané. Il n’en récusait pas toutefois les idées, mais avait du mal avec sa forme un peu chaotique. Je ne connaissais pas Mitterrand encore, mais en discutant avec lui plus tard, j'ai pu prendre la mesure de l’abîme qui nous séparait dans la compréhension de cette insurrection populaire et estudiantine. En 1968, j’avais vingt-neuf ans et j’avais été bouleversé par la beauté renversante de ce mouvement.

La première entrée de ce dictionnaire, c’est l’Algérie, la guerre d’Algérie. C’est une période pendant laquelle François Mitterrand exerce des responsabilités ministérielles. Il est garde des Sceaux. Sa loi accordant les pouvoirs spéciaux à l’armée et la justice d’exception qui envoie à la guillotine quarante-cinq personnes fait débat dans le pays. Comment est-ce que vous vous situez par rapport aux positions défendues par Mitterrand à cette époque ?

A l’exception de certains intellectuels comme Frantz Fanon, François Mitterrand et Pierre Mendès France étaient les hommes les plus progressistes de l’époque sur la question de la colonisation. Certes, ils n’étaient pas indépendantistes, mais leurs positions étaient très éloignées des colonialistes qui tenaient le haut du pavé à l’époque. Ils préconisaient une libéralisation progressive du système colonial et l’égalité des droits pour les colonisés dans le cadre d’un grand ensemble franco-africain. Les gaullistes les traitaient de « bradeurs d’empire » !

Dans les entrées de votre Dictionnaire, les mots « Afrique », « Francophonie », n'apparaissent pas. Ce sont pourtant des domaines dans lesquels François Mitterrand a mené des actions considérables. S'agit-il d'oublis ?

François Mitterrand est un sujet fascinant. Difficile de le cerner en 134 entrées. Il y a toute une série de sujets qui ne sont pas abordés dans le livre. Il y aurait en effet des choses à dire sur Mitterrand et la Francophonie ou Mitterrand et l’Afrique. J’ai un peu abordé ces questions en biais, à travers des thèmes plus transversaux. Il faudrait peut-être penser à un deuxième tome…

Vous écrivez dans votre livre : « Après Mitterrand, la France est plus libre, un peu moins inégalitaire et s’est inventée de nouvelles formes de fraternité ». Est-ce qu’on n’aurait pas pu dire la même chose à propos du septennat de Giscard d’Estaing ?

Certes, toutes les avancées dont nous bénéficions aujourd’hui ne sont pas le fruit de l’action de François Mitterrand. Mais force est de reconnaître que sa présence à la tête de l’Etat coïncidait avec des changements de mentalité qu’il avait lui-même accélérés et intensifiés. Il suffit de se rappeler ce qu’était la situation avant 1981, par exemple, sur le front de l’audiovisuel qui était totalement dominé par l’Etat. François Mitterrand l’a libéré, en autorisant la création des radios et des télévisions libres. Il a été un président libérateur : libérateur de l’audiovisuel, libérateur des collectivités locales, libérateur des mœurs, libérateur des droits. En matière d’inégalités, c’est un combat permanent. Enfin quand même, globalement même s’il y a encore en France beaucoup d’inégalités, les conditions de vie se sont positivement transformées dans les années 1980-1990.

Qu’en est-il des nouvelles formes de fraternité que vous avez évoquées dans votre livre ?

Nous avons tous constaté, à l’occasion des événements monstrueux qui ont frappé la France au cours de l’année écoulée, à Charlie Hebdo ou au Bataclan, comment les Français, pas seulement eux d’ailleurs, se sont spontanément organisés, se sont dressés, en imaginant de nouvelles formes de résistance. Je ne dis pas que Mitterrand en est l’inspirateur, mais pendant toute la période où nous avons assumé nos responsabilités, nous avons multiplié toute une série d’initiatives allant dans le sens de plus de solidarités. C’est à l’époque de François Mitterrand que sont nés le mouvement SOS Racisme, les Restos du cœur, et d’autres initiatives encore. Des habitudes ont été prises. En conséquence de quoi, la société est aujourd’hui à la fois plus libre et plus fraternelle. Néanmoins, il y a encore beaucoup d’égoïsme ici et là, des inégalités très fortes. Croire qu’en un ou deux mandats présidentiels, on peut tout transformer, ce serait illusoire. Mais quand même, des avancées ont été accomplies. Il faut aujourd’hui aller, si on le peut, plus loin encore.

Dictionnaire amoureux de François Mitterrand, par Jack Lang. Editions Plon, décembre 2015, 455 pages, 21 euros.


(1) Ce que je sais de François Mitterrand, Le Seuil 2011 et François Mitterrand, fragments de vie partagée, Le Seuil 2011.
 

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