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France

«Gilets jaunes»: retour dans la «France oubliée»

En mars 2019, alors que le mouvement des « gilets jaunes » perdurait, RFI avait réalisé un reportage itinérant de Paris à Ambert (Puy-de-Dôme), à travers la « France oubliée ». Près d'un an après, où en est-on ?

Noëlle Giraud, 83 ans, a vu Saint-Priest se transformer
Noëlle Giraud, 83 ans, a vu Saint-Priest se transformer RFI/Pierre René Worms
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Une boulangerie a encore fermé à Ambert. Faute de repreneur, son propriétaire a mis la clé sous la porte. Gérard Gondol ne sait plus trop si c’était avant notre passage il y a huit mois ou bien après. Toujours est-il que des neuf boulangeries que cette petite ville du Puy-de-Dôme comptait il y a 25 ans, il n’en reste plus que cinq. Ambert s’éteint lentement. Ses commerces ferment les uns après les autres, les services publics se raréfient et, à entendre Gérard Gondol, c’est pareil partout.

C’est en 2007, l’année suivant la fermeture de la maternité, que la situation à Ambert aurait commencé à se dégrader. Depuis, ses commerçants peinent à recruter. « Les jeunes n’ont pas de services de proximité, il faut compter une heure de route pour aller accoucher… Forcément, ça fait peur », nous avait expliqué Gérard Gondol, président de l’Union des commerçants du pays d’Ambert, lors de notre première entrevue. Même si sa propre affaire, une boulangerie-pâtisserie, était florissante, il semblait un brin amer. « Ce n’est pas parce qu’on est en campagne qu’on ne doit pas avoir les mêmes services qu’ailleurs, critiquait-il. Les mouvements qu’on voit aujourd’hui ne sont pas innocents. On ne demande pas grand-chose, simplement ce à quoi on a droit. » Nous étions en mars 2019.

Ville d'Ambert, beaucoup de commerces sont à vendre
Ville d'Ambert, beaucoup de commerces sont à vendre RFI/Pierre René Worms

Ne plus être ignorée

Quatre mois plus tôt, répondant aux appels relayés sur les réseaux sociaux, des centaines de milliers de personnes laissaient éclater leur colère contre des mesures toujours plus pesantes pour les automobilistes et un pouvoir d’achat réduit à peau de chagrin. « Qu’est-ce vous faites du pognon ? », venait de lancer une quinquagénaire dans une vidéo adressée au président Emmanuel Macron. Le mouvement des « gilets jaunes » était né. Au fil des semaines, il allait jeter une lumière crue sur le quotidien éprouvant de millions de Français et révéler une France en panne sèche à force d’avaler des kilomètres pour trouver un commerce ou des services publics encore ouverts. La « France oubliée » sortait de son silence pour ne plus être ignorée.

D’abord inflexible, l’exécutif avait fini par lâcher du lest face à une mobilisation et des violences croissantes : un moratoire sur la hausse des carburants, puis toute une batterie de mesures en faveur du pouvoir d’achat à hauteur de 10 milliards d’euros. Et comme cela ne suffisait pas à apaiser la contestation, Emmanuel Macron avait lancé un « grand débat national » et entrepris un tour de France en bras de chemise pour convaincre les mécontents.

C’est dans ce contexte que nous étions partis à la rencontre de ces territoires dotés de peu. Un voyage à travers la « diagonale du vide », comme on désigne parfois cette partie du pays, de Paris à Ambert, avec une étape par jour. Nous nous étions d’abord arrêtés à Ballancourt-sur-Essonne, en bordure d’une zone commerciale où exerçaient trois des quatre derniers médecins de la commune. Ballancourt était un désert médical aux portes de la capitale, une de ces zones d’intervention prioritaire où l’Agence régionale de santé et l’Assurance maladie déploient les grands moyens pour attirer de nouveaux praticiens.

« Les choses évoluent dans le bon sens »

Huit mois plus tard, à l’heure où le secteur hospitalier est une nouvelle fois dans la rue, le docteur Renaud Sibi-Dureuil se veut positif. Certes, le déficit démographique médical est toujours là, mais ses confrères et lui restent maîtres de leur agenda. « On a plus de demandes que de disponibilités, mais contrairement aux hôpitaux confrontés à un afflux de patients, on peut contrôler notre emploi du temps », fait-il valoir. L’un de ses collègues, sur le départ, va être remplacé, et le bâtiment jouxtant son cabinet aménagé pour des consultations paramédicales. Cela pourrait permettre d’accueillir un nouveau médecin – celui qui assure les remplacements envisagerait de s’installer – et, à terme, d’autres encore. « En 17 ans, le nombre de médecins généralistes à Ballancourt a diminué de moitié, passant de huit à quatre. On projette d’en avoir un cinquième, donc on a l’espoir que les choses évoluent dans le bon sens », confie le docteur Sibi-Dureuil.

Il est en revanche moins convaincu par les récentes annonces du gouvernement. Les 400 médecins promis en juin par la ministre de la Cohésion des territoires Jacqueline Gourault pour lutter contre les déserts médicaux ? « Elle va les trouver où ? », interroge-t-il. Le développement de la télémédecine que prévoit la loi Santé adoptée par le Sénat cet été ? « Je ne pense pas que cela va alléger les agendas. Cela risque au contraire d’ajouter du travail aux médecins. » La source du problème est éducationnelle, répète-t-il : il faut d’abord responsabiliser les patients.

« Rien n’a changé »

Depuis la fin du « grand débat national », le gouvernement multiplie les réponses au mal-être de cette « France oubliée ». Le Premier ministre Édouard Philippe a ainsi dévoilé en septembre un « agenda rural », quelque 200 mesures pour revitaliser les territoires en déclin. Il y est question de transition écologique, de proximité des services publics, de sécurité, d’attractivité, et notamment du développement de la 5G. Mais près de Vitry-aux-Loges, dans le Loiret, une centaine d’habitants est toujours privée de réseau téléphonique mobile et d’un débit internet de qualité. Sur le bord de la départementale D9, ils avaient planté un panneau : « Vous entrez dans une zone blanche. Ni téléphone mobile, ni internet haut débit. Bienvenue chez les gueux. » Et c’est ainsi qu’ils s’étaient baptisés.

Huit mois plus tard, soupire Vincent Berge, à l’origine de leur collectif, « rien n’a changé ». Une antenne THD radio censée fournir un accès à l’internet haut débit a été installée sur un château d’eau, à cinq kilomètres de là. Mais ses ondes sont absorbées par la forêt qui l’entoure, et l’érection d’une antenne relais proche des habitations est sans cesse repoussée. « En juin, on nous l’annonçait pour septembre, puis fin octobre. Nous sommes mi-novembre et ce n’est toujours pas fait », déplore Vincent Berge. Quant au GSM, les « gueux » continuent à batailler afin d’être recensés en zone blanche.

« On apporte quelque chose à la France »

Le haut débit, Sébastien Cherrier s’en passerait au contraire volontiers. « Aujourd’hui, chacun reste chez soi, devant la télé ou sur internet. Les écrans ont contribué à tuer la vie de village », regrette-t-il. Alors, comme il le fait depuis un an, il entreprend de la réanimer en installant chaque soir son camion-bar dans une commune du Cher où le troquet a disparu. Lorsque nous l’avions vu, ils étaient une poignée à deviser devant le comptoir. « Les gens ne s’amusent plus, ils ne profitent plus, constatait un client. Les villages, après 18h, sont vides. Des choses comme ça pourraient ranimer un village. C’est petit, mais c’est géant ! »

Sébastien Cherrier, ancien éducateur spécialisé, s'arrête chaque jour dans un village où le bistrot, lieu de sociabilisation par excellence, a disparu.
Sébastien Cherrier, ancien éducateur spécialisé, s'arrête chaque jour dans un village où le bistrot, lieu de sociabilisation par excellence, a disparu. RFI/Pierre René-Worms

Depuis, le vieux Renault Trafic de Sébastien Cherrier a fait un petit : une voiturette sans permis que ce brocanteur a transformée en bistrot pour enfants. Il aimerait le faire entrer dans le Livre des records comme « plus petit bar du monde ». L’idée lui est venue en constatant que ses clients venaient souvent avec leurs enfants à qui ils prêtaient leurs portables pour les occuper. Cela avait le don de l’irriter. À la place, il met de « vrais » jouets à leur disposition : des Playmobil ou des ballons.

« J’ai eu la bonne idée au bon moment, se félicite-t-il. Il n’y a plus de commerce, plus de bar dans les villages. Et quand il y en a, ils ferment à 18h. Moi je reste ouvert jusque 22h ». Mais l’entrepreneur se refuse à en racheter un. Trop cher. « L’État dit vouloir aider les petits commerces. Mais pour cela, il faudrait arrêter de nous taxer autant. Quand on commence, il faudrait nous laisser tranquilles quelque temps. On apporte quelque chose à la France. » Les maires se l’arrachent. Fort de son succès, Sébastien Cherrier s’apprête à ouvrir un deuxième camion, encore plus vieux que le premier : un Peugeot J7 de 1978.

Prêt à se représenter

À Saint-Priest-en-Murat, 220 habitants blottis dans les vallons de l’Allier, cela fait bien longtemps qu’il n’existe plus de services de proximité. Le développement de l’automobile et de la grande distribution les a tués. Tout se passe à Montmarault désormais. Mais Luc Perrin refuse de céder à la fatalité. L’époque des hypermarchés a vécu, croit-il savoir, les gens préfèrent maintenant les circuits courts. Cela tombe bien : entre les éleveurs de volaille, ceux qui transforment la viande et les maraîchers, il y aurait de quoi monter une AMAP à Saint-Priest. « Cela pourrait être intéressant de les regrouper pour leur en parler », pense-t-il tout haut.

Après un premier mandat marqué par le déménagement de la mairie et l’inauguration de la place où elle est aujourd’hui établie, ce natif de Seine-et-Marne souhaiterait se représenter aux municipales de mars. Encore faut-il qu’il parvienne à compléter sa liste. « C’est difficile. Et c’est pareil dans les communes alentour. Peut-être parce que c’est jugé trop contraignant. Ou peut-être parce que les gens s’impliquent moins dans la vie du village », avance-t-il.

Selon une récente enquête conjointe du Cevipof et de l’Association des maires de France (AMF), seul un maire sur deux se dit prêt à se représenter, tandis que près d’un quart est toujours indécis. « Cela permet de développer ses convictions dans l’intérêt du village, positive Luc Perrin. Le seul bémol est que cela prend du temps et que la rémunération n’est pas à la hauteur de l’engagement ». Myriam Fougère, la maire d’Ambert, elle, a déjà renoncé. Gérard Gondol aurait bien tenté l’expérience. « Mais les gens comme moi qui ont le plus de légitimité n’ont pas le temps, regrette-t-il. Impossible d’être remplacé. »

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