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Mali / Niger

Pascal Maitre à Visa pour l'image: «Je vois tout doucement le Sahel glisser»

De grands noms du photojournalisme international sont actuellement exposés gratuitement à Perpignan, dans le sud de la France, à l'occasion du festival Visa pour l'image. Parmi eux, Pascal Maitre, venu présenter sa dernière série de clichés sur le Sahel. Une enquête rare, réalisée entre Mali et Niger. Entretien.

Pascal Maitre, le 6 septembre 2019 à Perpignan où est exposée sa série «Sahel en danger - Une bombe à retardement».
Pascal Maitre, le 6 septembre 2019 à Perpignan où est exposée sa série «Sahel en danger - Une bombe à retardement». RFI / Simon Decreuze
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Avec nos envoyés spéciaux Igor Gauquelin etSimon Decreuze

Pascal Maitre, bonjour. Certains vous surnomment « Pascal l’Africain », qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas Africain et je ne prétends pas l'être. Je connais bien l’Afrique, mais cette année, je suis allé trois fois en Afghanistan (une habitude de longue date, NDLR). Je pense que c’est un surnom qu’on me donne parce qu’on a vu beaucoup de mes travaux. Je suis Français, chacun sa place, quoi.

Je n’aimerais pas rester trop longtemps dans un pays, j'aime bien la diversité. Cette année, j’ai commencé au Mexique pour la Fondation Yves Rocher sur les migrations de papillons. J'ai aussi refait une histoire à Madagascar sur les baobabs. Ça m’amuse beaucoup d’avoir des sujets variés et de travailler avec des magazines différents.

Comment décririez-vous votre travail photographique en général, et votre exposition à Perpignan, intitulée « Sahel en danger – Une bombe à retardement » ?

Je fais ce qu’on appelle du grand magazine, plutôt de la géopolitique. J’ai commencé ma carrière dans le groupe Jeune Afrique, d’où ma connaissance et disons mon attachement pour ce continent. J’ai la chance d’avoir des gens qui m’ont donné le temps, ce qui a l’avantage de vous éviter de faire des raccourcis.

Quand vous prenez une histoire complexe, on voit bien qu’il y a différents tiroirs. Et pour les aborder tous, il faut du temps. Il faut faire les contacts pour chaque pièce du puzzle, chacune est différente. Si vous n’avez pas le temps, vous allez faire quelque chose de caricatural.

J’expose cette année à Visa un travail sur le Sahel, et qui pour moi est important. C’est une région que je connais depuis peut-être une trentaine d’années, et que je vois tout doucement glisser et se désagréger. J’ai convaincu le National Geographic de faire un travail assez profond sur cette zone.

Pourriez-vous revenir sur la genèse de ce projet ?

En 2002, j’avais réalisé un grand travail sur toute la partie saharienne du Sahel. Et à cette occasion, je m’étais rendu à Taoudeni, une mine de sel, ancien bagne, dans l’extrême nord du Mali, à 750 km au-dessus de Tombouctou.

J’avais été très inquiété, parce qu’en quittant Tombouctou jusqu’à cette mine, il n’y avait plus aucun État malien ; plus de poste de police, plus de poste d’armée. J’étais passé en Algérie, et il n’y avait pas de poste frontalier côté malien. C'est un « no man’s land » de 1 000 kilomètres sur 1 000 kilomètres.

En 2006, je suis revenu pour le National Geographic et j’ai vu des travailleurs. Il y en avait déjà en 2002, mais c’était local. Cette fois, je voyais des t-shirts Ben Laden et des mini-mosquées s’installer. J’étais resté quelques jours et des islamistes algériens avaient fini par venir demander ce que je faisais là, donc on est parti.

En redescendant, on s’est arrêté à un ou deux puits sur la route, et les gens nous ont expliqué que les Algériens étaient là depuis un bon moment, très respectueux, mais très présents. J’ai aussi rencontré des Sahraouis qu’on retrouve dans les groupes aujourd'hui. J’essayais de convaincre des journaux de ne publier que cette partie-là, mais personne n'en voyait tellement l’intérêt.

Je suis aussi parti avec les forces spéciales américaines. En 2006, elles formaient déjà à Tombouctou des militaires maliens et montaient en opération dans la partie nord. On sentait que l’État malien était totalement absent.

À la chute de Kadhafi, tout s'est désagrégé. Une grosse partie de l’armée libyenne était constituée de Touaregs maliens, nigériens, etc. Ils sont rentrés avec une partie des stocks. Ça a toujours été surprenant : on avait fait tomber Kadhafi, la Libye, mais a priori l’armement n’avait pas été détruit. Il a commencé à se diffuser dans le nord du Sahel.

Cette région est au carrefour de plusieurs problématiques : la pauvreté, l’avancée du désert, le jihad. Le Mali n’a pas retrouvé son intégrité territoriale, la France y est engagée militairement. Comment rendre compte d’une telle complexité par la photo ?

Avant de commencer ma série, je suis allé assez régulièrement au Mali, et j’ai dû aller trois ou quatre fois à Agadez aussi dans les trois dernières années. J’y ai couvert la rébellion touarègue par exemple, et j’ai pu voir ce que je pouvais construire. Je suis aussi parti une fois avec Barkhane.

Mais l’idée de départ proposée au National Geographic était plus vaste : j’avais intégré le lac Tchad. Sauf que ça faisait beaucoup, ça devenait trop complexe, notamment pour le format du magazine. On a réduit sur la partie Niger-Mali, plutôt le Niger d’ailleurs, parce que les Américains construisent une base à la sortie d’Agadez.

L'avancée du désert, effectivement vous l’avez côté Niger : le fleuve Niger est en train de se fermer complètement, les dunes tombent dedans. Il était déjà peu dragué, mais maintenant, cette partie étant totalement insécurisée, aux mains des jihadistes en dehors des points où il y a l’armée française, il n’est plus du tout entretenu. D’où l'idée au début du lac Tchad, qui connait le même problème environnemental avec Boko Haram.

Et puis, il y a les migrants, même si l’État français et l’Europe ont essayé de limiter la migration à partir d’Agadez en donnant des dizaines de millions d’euros au gouvernement nigérien pour qu’il les bloque. Ce que reprochent les gens d’Agadez, ce qu’ils disent, c’est qu’on a mis la frontière de l’Europe à Agadez.

Sauf que des centaines de voitures passent quand même.

Il y en a moins qu’avant, ça a été limité, mais c’est plus dangereux dans la mesure où c’est clandestin. Chaque lundi, j’ai vu passer des centaines de voitures. Dedans, il y avait d’ailleurs énormément de jeunes Nigériens aussi, ce sont aussi des migrants puisqu’ils vont en Libye - nous, on pense toujours à l’Afrique de l’Ouest mais c'est mélangé.

Et puis, d’autres convois clandestins ne prennent plus la piste principale, qui est plus ou moins surveillée. Ils sont obligés de prendre des pistes parallèles beaucoup plus dangereuses. S’il y a des pannes, personne ne passe. Il y a quand même eu pas mal de chauffeurs qui ont abandonné des migrants dans le désert. Vous voyez des tombes, des chaussures, des restes, vous comprenez qu’il y a eu des gens qui sont morts ici.

Vous essayez de documenter aussi les conflits intercommunautaires dans le centre du Mali, avec notamment des photos très fortes de chasseurs dogons de l'ethnie bambara qui vont combattre des Peuls ayant rejoint les islamistes. Ils sont soutenus par le gouvernement de Bamako. C’est facile d’approcher ces groupes ?

C’est toujours la même chose, le reportage et particulièrement la photographie : c’est très compliqué si vous n’avez pas les contacts, les relais. Et l’avantage de l’âge aussi, parce qu’au fil des années, on construit des relations avec des gens qui vous donnent les accès.

Après, j’ai eu assez de chance ; c’est vrai que c’est une zone sur laquelle je travaillais beaucoup, mais je l’ai faite juste avant qu’il y ait les très grands massacres. Le massacre des 165 Peuls à Ogossagoun, je pense que si j’étais venu après, je n’aurais absolument pas pu faire le reportage.

La bande sahélo-saharienne, et notamment les pays dans lesquels vous êtes parti, ce sont des zones particulièrement dangereuses. Comment assurez-vous vos arrières ?

Vous construisez des cercles de sécurité par les gens que vous connaissez. Le Niger, je connais vraiment très bien, j’avais une escorte quand je suis allé à la frontière libyenne, des Touaregs que je connais depuis 30 ans et qui connaissent eux-mêmes bien l'endroit.

Évidemment, c’est aussi dangereux : le chef militaire qui contrôle toute cette zone avec son escorte a été tué par 14 véhicules qui les ont attaqués dans le même passage. Il ne faut pas dire ce qu’on fait, ne pas rester trop longtemps.

Je pense que le plus délicat pour moi, c’était le centre du Mali, en effet. Là, j’ai fait très attention. Je ne pouvais vraiment pas le faire avec une escorte ou des militaires, les milices ne m’auraient pas donné accès. Quand j’avais un rendez-vous, j’y allais ; le reste du temps, je restais à l’hôtel.

D’habitude, j’aime bien me balader, je connais bien la zone de Mopti par exemple. Mais je suis très peu sorti pour éviter d’être exposé. Les islamistes sont quand même à cinq ou six kilomètres. À Djenné, ils sont à 10 kilomètres. Et vous êtes une cible importante. Donc, vous allez avec les gens que vous connaissez, vous faites attention, et vous disparaissez. Faut pas traîner, quoi.

Avez-vous eu peur, parfois ?

Pas du tout, parce que j’ai bougé avec des gens dont j’étais à peu près sûr. Le plus délicat, c’était quand je suis allé voir les milices bambaras. J’avais trouvé un jeune gars qui m’avait dit qu’il pouvait m’aider et je ne le connaissais pas très bien. Je connaissais quelqu’un qui le connaissait très bien, c’était une garantie.

Quand on est partis à une quinzaine de kilomètres de Djenné, il ne savait plus le chemin, ça devenait un peu compliqué. Ce n’est pas de la peur, mais vous êtes inquiets, vous vous dites que peut-être le gars n’est pas fiable et que ça craint un peu.

Dans le cas du National Geographic, ils ont une cellule sécurité, et ça a été un peu compliqué de les convaincre. Je suis un contrat quand je travaille pour eux, donc il y a une assurance. Et plus personne ne veut prendre le risque qu’il y ait un problème. J’ai peiné. J’ai fini par les convaincre, mais ça devient plus compliqué.

«Sahel en danger – Une bombe à retardement». Pascal Maitre, Visa pour l'image 2019 à Perpignan.
«Sahel en danger – Une bombe à retardement». Pascal Maitre, Visa pour l'image 2019 à Perpignan. RFI / Igor Gauquelin

Quelle photo dans cette exposition voudriez-vous évoquer avec nous ?

J’aimerais parler de la photo du convoi de pick-up qui rentre dans le Ténéré. Vous avez les montagnes, vous avez cette ligne. Ce jour-là, il y avait 108 pick-up de 20-25 personnes, et pour moi c’était un peu triste de voir toute cette jeunesse africaine s’en aller.

Bien sûr, il n’y a pas beaucoup d’espoir ni beaucoup de possibilités de travail. Mais voir défiler devant moi tous ces jeunes installés sur ces pick-up avec un bâton entre les jambes pour ne pas tomber, et si vous tombez, personne ne vous ramassera… c’est un peu triste. Je les comprends, bien sûr.

Pensez-vous que vos photos sur le Sahel puissent faire bouger les choses ?

D'un coup, je ne pense pas. Après, c’est toujours très souterrain, ce que ça peut faire bouger. Ça peut être un apport à quelque chose, qui déclenchera à un moment autre chose. Et il y a eu des sujets, plutôt en news qu'en magazine, qui ont fait bouger les choses.

Mon sujet sur le manque d’électricité en Afrique, pour lequel j’ai eu la bourse de l'Agence française de développement (AFD), j’en ai fait un livre avec Rémy Rioux, le président. Lorsqu’il va en Afrique et qu’il aborde ce sujet, il l'offre aux dirigeants. Évidemment, ils connaissent le problème. Mais lorsqu’il est mis en images, on se rend peut-être mieux compte de la portée.

Quand vous êtes en France, vous continuez la photo ?

Non, pas du tout ! Quand je rentre, je mets mon sac photo dans le placard, et des fois la veille de repartir je me dis : « Mince, j’aurais dû réparer ça. »

Je suis photojournaliste. Dedans, il y a les deux mots, photo et journaliste, mais je crois qu’avant tout, je suis journaliste. Moi, ce qui m’intéresse, c’est de raconter des histoires et je travaille uniquement pour la presse, c’est destiné à être publié.

Lorsque je fais un reportage, j’ai l’impression d’aller en plongée, je vais pendant 15 jours ou trois semaines dedans, à fond. Mais quand je sors, je passe à autre chose. L'appareil, c'est vraiment un outil que j’utilise pour dire quelque chose.

Exposer à Visa, c’est une consécration ?

Oui, et c’est d’abord un immense plaisir. C’est ma neuvième exposition à Perpignan, donc j’ai beaucoup exposé. Moi, ce qui me touche le plus ici, c’est le grand public : voir les personnes venir, voir des gens parfois se mettre en ligne derrière chaque photo pour lire les légendes, c’est extraordinaire.

Et puis, Jean-François Leroy a quand même réussi quelque chose, tout est gratuit. Ça permet une éducation, je pense, du grand public à la photographie et au monde, en amenant à travers les photographes et leurs photographies, des personnes qui peut-être n’iraient jamais voir une exposition. C’est formidable.

Sur le site de Visa pour l'image : les projections & expositions 2019

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