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France

Visa pour l'image, un lieu pour se transmettre la flamme du photojournalisme

Comme chaque année début septembre, le festival international de photojournalisme Visa pour l’image fait battre le cœur de Perpignan, dans le sud de la France. Son directeur général, Jean-François Leroy, s'acharne avec passion à affirmer le format assez unique au monde, entièrement gratuit, de cet événement qui fête cette année ses 31 bougies.

Jean-François Leroy, en marge de la 31e édition du festival Visa pour l'image, à Perpignan le 4 septembre 2019.
Jean-François Leroy, en marge de la 31e édition du festival Visa pour l'image, à Perpignan le 4 septembre 2019. RFI / Igor Gauquelin
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De notre envoyé spécial à Perpignan,

Pour un photographe en herbe, sans le sou mais résolu à faire de l’artisanat journalistique une profession, le mois de septembre à Perpignan est un moment propice pour faire « la » rencontre qui va tout changer. Certains saisissent vite, et font le déplacement dès leurs débuts, scrutant les alentours du festival en quête d’un œil curieux qui acceptera de jauger leurs clichés. Et plus si affinité.

Les uns viennent tenter leur chance sans maîtriser tous les codes, mais aussi sans froid aux yeux, cherchant à démontrer portfolio à la main qu’ils ont la fameuse « niaque » des loups intrépides qui a fait la légende de ce secteur bien spécifique du journalisme, du fait de sa dangerosité physique mais également psychologique. Les autres y marquent une pause, passent voir la « famille ».

Vingt-quatre expositions et six soirées de projection

Au programme de cette édition 2019 de Visa pour l’image, du 31 août au 15 septembre : 24 expositions et six soirées de projection. Près de 200 000 personnes s’étaient pressées sur place l’an passé, dont quelque 1 300 professionnels. La saga continue cette année, ne peut que constater le directeur général historique de l’évènement, Jean-François Leroy.

La spécialité maison : les soirées. Du 2 au 7 septembre, la foule se presse au Campo Santo, ou à distance au théâtre de l’Archipel, pour une série de projections de photographies sur écran géant, accompagnées de thèmes musicaux. Le choix d'incorporer de la musique peut faire débat, mais voir son propre travail exposé dans de telles dimensions constitue une expérience unique.

Le Campo Santo, lieu des soirées du festival international de photojournalisme Visa pour l'image.
Le Campo Santo, lieu des soirées du festival international de photojournalisme Visa pour l'image. Visa pour l'image

Faire dialoguer les professionnels du photojournalisme international

Visa pour l’image s’est imposé comme un rendez-vous immanquable en vue d'exposer et de faire se rencontrer les professionnels du photojournalisme international. L’esthétique y tient une place de choix, format photo oblige, mais l’essentiel est ailleurs. Pour Jean-François Leroy, qui a cofondé Visa et le dirige toujours avec poigne trois décennies plus tard, « le fond prime sur la forme ».

« Je privilégie l’exposition ou la projection qui amène une information, plutôt que le dossier techniquement léché qui ne m’apprend rien. Je choisis l’info véhiculée, c'est primordial. Je ne fais pas un festival pour des artistes, je fais un festival pour des journalistes. Seulement après, en plus, s’ajoute la qualité photo », confie celui qui regarde tous les ans chacun des milliers de dossiers déposés.

Nulle méprise, la 31e de « Visa » fait encore cette année la part belle aux experts de la « combinaison magique », capables de dénicher une information d’utilité, mais également de la délivrer au public avec le brio de la photo. Jean-François Leroy évoque les travaux de Brent Stirton sur la faune en Afrique, ou de Frédéric Noy, sur « la lente agonie du lac Victoria », en Afrique également.

Pascal Maitre, Alain Keler, Noël Quidu : de grands noms sont présentés. Et Patrick Chauvel, 50 ans de reportages autour du globe au compteur, joue les figures de proue de cette édition. Mais ceux qui auront lu son entretien dans Le Monde auront noté sa propension à mettre en avant la génération d’avant, et celle qui suit. Notamment le travail de son fils, qui a opté pour la même dévotion qui lui.

De nouveaux exposants

Un quart des photographes retenus en 2019 exposent pour la première fois, selon un organisateur. « Mes trois axes, décrypte Jean-François Leroy, c’est primo de faire découvrir des jeunes, les mettre en avant ; secundo de consacrer des photographes qui n’ont pas besoin du tout de Perpignan pour être reconnus ; et enfin de redécouvrir des photographes un peu oubliés, pas assez connus. »

Dans la première catégorie cette année : la Polonaise Kasia Strek, prix Camille Lepage 2018, du nom de notre jeune consœur tragiquement tuée dans l’exercice de sa profession en République centrafricaine, en 2014. Kasia Strek était venue se faire connaître à Visa il y a quelques années déjà ; elle y expose désormais, à l’église des Dominicains, son travail sur les avortements dangereux.

Mis en exergue également, car nouveaux à Visa : Cyril Abad, pour sa série « In God We Trust », « un voyage au cœur des excentricités de la foi aux États-Unis », mais aussi Adriana Loureiro Fernández, une Vénézuélienne basée à New York, prix de la Ville de Perpignan Rémi Ochlik en juin, et qui présente « Paradis perdu » au couvent des Minimes. Une exposition sur son pays.

L'un des lieux d'exposition de Visa pour l'image à Perpignan, l'église des Dominicains.
L'un des lieux d'exposition de Visa pour l'image à Perpignan, l'église des Dominicains. Visa pour l'image

« Je ne pense pas que la photo ait le pouvoir de faire changer les choses, devise M. Leroy. Mais je suis persuadé qu’elle peut influencer une réflexion. Si en sortant de Visa pour l’image, vous avez une, deux, dix personnes qui se disent qu’il y a des trucs à faire, je suis content. Je trouve qu’on manque d’engagement. S’engager, être le minuscule grain de sable : là, la photo a son rôle à jouer. »

Laura Morton, basée à San Francisco, donne pour sa part à voir une « histoire » d’inégalités, « la vie quotidienne de deux communautés vivant côte à côte ». À savoir celles de Palo Alto, qui abrite la Silicon Valley, et celle d'East Palo Alto, où les riverains ont été « tenus à l’écart de ces fortunes ». De quoi ravir le directeur, qui n’a pas le commentaire politique dans sa poche.

A-t-il d'ailleurs un message ponctuel et spécifique à faire passer au public de RFI ? M. Leroy, fin connaisseur des arcanes de la presse internationale, évoque aussitôt l'Afrique. Mais plus spécifiquement, il veut parler d'environnement. Aussi, nulle surprise : il est cette semaine à Visa question de souffrance animale, de plastique en Asie, de tourisme, d'Arctique, de Sahel et bien sûr de migrations.

« Avec tous les moyens actuels, explique l’intéressé, les gens se rendent compte de la différence entre l’extrême pauvreté dans laquelle ils vivent, et l’extrême richesse dans laquelle on vit. On arrive, je crois, au bout d’un système. Il y a 30 ou 40 ans, on parlait de l’équilibre Est/Ouest ; mais maintenant, il va falloir qu’on s’attaque au problème Nord/Sud, parce sans cela on va dans le mur. »

Encourager les vocations

M. Leroy encourage les vocations, c’est le sens de l'évènement, devenu un acteur économique important pour le secteur. Mais il prévient aussi les jeunes : les candidats sont nombreux, les places sont chères et ce choix de carrière est difficile (voir encadré). Surtout, il y a des règles, à commencer par s’assurer si les médias ne le font plus. La mort attend parfois le journaliste au tournant.

Thomas Morel-Fort recevra jeudi 5 septembre le prix de l’association Camille Lepage, créée peu après la disparition de cette brillantissime photojournaliste, pour promouvoir sa « mémoire », son « engagement » et bien sûr son travail. De quoi aider ce confrère à terminer son propre reportage sur les employées domestiques philippines. Comme un passage de témoin.


■ Le message de Jean-François Leroy à la jeunesse qui en veut

Ci-dessous, à lire, un extrait de notre entretien radiophonique avec le directeur général du festival Visa pour l'image, diffusé samedi 7 septembre 2019 sur Radio France internationale dans le cadre de l'émission Atelier des médias. Les questions sont posées par Steven Jambot. À la réalisation : Simon Decreuze.

« Des jeunes qui arrivent à Perpignan, j’en vois tous les ans. Ils veulent embrasser cette carrière alors qu’on sait très bien qu’économiquement, c’est extrêmement difficile. Les budgets photos sont toujours le premier poste qu’on rogne quand on veut faire des économies dans un journal. Mais je pense qu’il y a une réelle volonté de tous ces jeunes, qui arrivent avec une énergie formidable, d’être des témoins du monde dans lequel on vit. Je dis toujours qu’ils sont mes yeux sur le monde. Je ne saurais pas, sans eux, ce qu’il se passe en Syrie, en Irak, au Yémen, au Venezuela. Oui, ils sont indispensables, même si c’est dur.

On a décidé (il y a plusieurs années dans le cadre du festival, NDLR), de faire un stage qui s’appelle "Transmission". Mais ce n’est pas un stage de photo, un stage technique ; on réunit un tout petit groupe, jamais plus de dix, avec des photographes, mais aussi des gens qui travaillent avec les photographes. Cette année, on a un rédacteur, Jean-Philippe Rémy du Monde, qui a l’habitude - et c’est un des rares à le faire - de monter ses sujets en tandem avec des photographes. On a fait venir aussi le professeur Anthony Feinstein, un docteur canadien qui travaille énormément sur le stress post-traumatique.

Ces personnes d’horizons très différents donnent des clés à nos jeunes. On fait intervenir Olivier Laurent du Washington Post ou Nicolas Jimenez du Monde, qui leur expliquent comment présenter un dossier. Si vous êtes photographes, si vous voulez soumettre votre sujet à Libération, au Monde, au Figaro, vous ne faites pas la même sélection. Si vous voulez travailler avec Match ou Geo non plus. Donc, leur faire sentir ça. Au fond, une chose a dramatiquement changé depuis 30 ans, un maillon de la chaîne a quasiment disparu : les "pictures editors". Il y a encore un journal qui le fait très bien, c’est le National Geographic.

Quand le National Geographic décide d’un sujet, c’est un trio qui prend la suite : un photographique, un rédacteur et un "picture editor", donc. Ce dernier va accompagner le photographe, et lui dire au fur et à mesure de l’évolution de son sujet que "ça c’est bien, mais que là, il faudrait qu’on le voit autrement". Il donne des conseils, édite, choisit les photos et aide le photographe à construire. Avec la disparition des agences, on n’a plus cette "béquille", j’allais dire, tout à fait indispensable. Et donc, on voit arriver sur le marché des jeunes qui sont complètement perdus.

Ils font 30 ou 40 photos sur un sujet, qui techniquement sont bonnes, mais qui ne racontent pas une histoire. L’autre jour, j’ai reçu un jeune photographe qui a fait un sujet vraiment bien sur une île perdue dans le Pacifique. Techniquement, il n’y a rien à dire ; photographiquement, c’est intéressant. Mais pourquoi je ferais cette île perdue dans le Pacifique et pas une île perdue dans l’Atlantique ou en Méditerranée ? Je vais me permettre un petit reproche, parce que je mets beaucoup d’énergie et de temps à essayer d’aider des jeunes photographes : je suis souvent frappé par leur manque de culture photographique.

Quand j’ai commencé, j’avais des livres de photo. Ceux que je n’avais pas les moyens d’acheter, j’allais les voler ou les consulter. Aujourd’hui, sur internet, vous pouvez voir les sites de tous les journaux du monde. Et souvent, quand on demande aux jeunes leurs photographes préférés, ils répondent Nachtwey et Salgado. Ils sont très bien, mais il y a eu des choses avant eux. Comment parler du mariage des petites filles sans connaître le travail de Stephanie Sinclair ? Des prostituées à Bombay sans Mary Ellen Mark ? Lewis Hine, dans les années 1920 et 1930, a fait un reportage extraordinaire sur les enfants au travail aux États-Unis. Si on n'a pas la référence, on va passer à côté de ce sujet. »

Sur le site de Visa pour l'image : les projections & expositions 2019

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