Lieux oubliés: fort Loyasse, le «ventre» de Lyon
Il devait prévenir une invasion autrichienne qui n'a jamais eu lieu. Construit entre 1836 et 1840 dans les hauteurs du IXe arrondissement de Lyon, à quelques encablures de la célèbre basilique de Fourvière, le fort de Loyasse, imposant édifice militaire avec ses galeries enterrées à flanc de colline, est quasiment à l'abandon depuis des décennies. Un lieu perdu, oublié, mais pas complètement. Immersion.
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Dévoiler son vrai nom, c'est à peu près tout ce dont « Toto » a peur. Voilà des années que ce graffeur invétéré arpente de nuit les dédales de sa ville, Lyon, à la recherche de lieux oubliés. Sa passion ? La réappropriation, par la faune locale, d'endroits délaissés. Intimiste, il s'amuse à observer les traces de passages. Son petit faible ? Les souterrains secrets, dont la capitale des Gaules regorge.
Dans une nuit caniculaire, en plein mois d'août, nous partons avec lui (sans bombe de peinture, législation oblige) à la conquête du fort de Loyasse, dans la partie sombre de la colline de Fourvière. Nous traversons la Saône par la passerelle de l'Homme de la roche, et grimpons sur la colline par les escaliers méconnus de la Chana, puis de la Sarra. Arrivée rue de l'Observance, glauque.
Nous longeons le cimetière de Loyasse, le plus vieux de la ville. Construit à l'époque de Napoléon sur les ruines de l'antique ville de Lugdunum, il revêt un léger parfum post-révolutionnaire, avec ses tombes bourgeoises aux styles parfois antiques. A quelques encablures de la basilique de Fourvière, une ambiance figée au XIXe siècle règne dans un quartier jalousé par ses discrets riverains.
Plus bas dans la montée de l'Observance, un gigantesque édifice nous toise. C'est la cible, le fort de Loyasse ; des meurtrières, de grandes voûtes, une véritable proue de paquebot en pierre totalement gagnée par la végétation et entre-coupée par deux rues. A moitié creusé dans la colline, le site est quasiment tombé dans l'oubli. Pour l'heure, la collectivité réfléchit et mène des travaux de sécurisation.
C'était l'entrée principale du fort, je pense... Par contre, la lumière, ça m'embête vis-à-vis de la caméra qui est sur ce mur-là.
Toto le sait, on n'a pas le droit de rentrer à Loyasse
Depuis des décennies, les casernes du fort, chaînon militaire-clé du Lyon d'il y a 100 ans (première ceinture), servent ainsi de refuge pour les uns, de lieu de découverte pour les autres. Les adolescents s'y encanaillent. Toto revient sur place pour la première fois depuis dix ans. L'occasion de constater que depuis, nombre de visiteurs sont passés par le même trou de grillage que lui pour s'introduire dans l'enceinte.
Quand tu arrives dans un lieu comme ça, tu accèdes à une autre époque à mon sens. En tout cas, il y a un croisement avec un temps révolu. On ne l'utilise plus le fort de la Loyasse
Dans le fort, Toto retrouve les traces d'un temps révolu
Tout autour, une nature foisonnante en pleine ville. La métropole souhaiterait que la colline devienne un « Grand Site de France ». Le cimetière a renoncé aux pesticides, il est labelisé « refuge LPO » (Ligue pour la protection des oiseaux). Y sont répertoriés une multitude d'animaux. Les oiseaux migrateurs venus d'Afrique s'y arrêtent. Mais les humains laissent plus de traces qu'eux.
L'histoire, c'est pas que les châteaux-forts, c'est pas que l'histoire des vainqueurs. C'est aussi la question des petites gens. L'histoire sans grand H et l'histoire avec un grand H. Dans cette canette avec un réflecteur, t'as tout un imaginaire
Toto dans les casemates à la recherche des traces du passé
L'histoire avec et sans grand H, pour l'heure, cohabitent dans le fort de Loyasse. Tant et si bien que les rencontres sont possibles sur place en pleine nuit. Après avoir scruté les graffiti et autres tags peints sur les murs de l'entrée, ou dans les casernes restées debout, direction les casemates enterrées, galeries militaires sous-terraines accessibles par une entrée méconnue, au milieu des bois.
C'est dommage de voir à quel point c'est tagué. C'est tellement dommage de voir un lieu aussi magnifique avec autant de graffiti partout (...) Il sera de plus en plus tagué d'ailleurs, c'est ça qui est embêtant
Rencontre noctambule impromptue dans les sous-terrains de Loyasse
Dans le ventre de la bête, « la colline qui prie », retour à l'exploration. Et aux spéculations. Au détour d'une salle voûtée, surprise ! Une fenêtre donne sur l'air frais, plus de 5 mètres au dessus de la rue. Ce fort servait-il à éviter l'invasion après la chute des Bourbon, ou Louis-Philippe était-il aussi préoccupé par le risque d'une nouvelle révolution dans les villes ? Chacun verra midi à sa porte.
Le roi avait pensé que les Autrichiens pouvaient revenir et envahir l'est de la France. Donc il avait pensé renforcer cette partie est (...) Il a été abandonné en 1920-1925. Il a été abandonné, réutilisé à différentes périodes. Ensuite, il a été complètement abandonné vers 1950
Le fort de Loyasse, Bernard Billier le connaît bien
Au fil du temps, le quartier a bâti ses propres légendes et mythes. La fiction y a participé, inspirée par l'ambiance. Lors de nos pérégrinations, des dessins de l'Île noire de Tintin nous viennent à l'esprit. Devant la bouche d'entrée des casemates, nous repensons à l'allégorie de la grotte, dans L'Empire contre-attaque. Ou aux enseignements sur la force de Rey, dans le huitième opus de la saga Star Wars.
Il suffit de se promener sur l'étroit chemin entre le cimetière de Loyasse et le fort pour comprendre que ce lieu est tout à fait adapté à la découverte d'un cadavre. On voit des grilles rouillées. Des murs en ruines. Des barreaux sur des fenêtres aux vitres brisées. Et le tout très mal éclairé par quelques réverbères. La nuit, c'est un vrai coupe-gorge
Bernard Domeyne, auteur du roman noir «Le crime de Loyasse»
Cette année, un architecte nouvellement diplômé, Steven Sibiril, a gagné un prix en imaginant, dans son projet de fin d'études, la reconvertion du fort de Loyasse en parc agro-forestier. Un lieu de production élargi, et de sensibilisation au public. La suite logique pour ne pas perdre « l'atmosphère singulière » de ces lieux, entre « ruines et forêt », explique-t-il au quotidien régional Le Progrès.
Il s'agirait de « convertir le bois implanté spontanément dans l’enceinte des courtines, en parc agro-forestier visant à produire de la nourriture et à sensibiliser le public aux techniques de cultures alternatives. Le tout complété de parcours ». Le projet prévoit aussi, jonché le long du mur de fortification, de nouvelles constructions. A suivre, le fort de Loyasse ne sera peut-être pas toujours oublié.
→ Écouter sur RFI : la version « antenne » de notre reportage à Loyasse
Montages : Artan Kutra et Igor Gauquelin
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