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Lieux oubliés

Lieux oubliés: l’université Paris-Dauphine, «Sous les cahiers, l’héritage?»

Ouverte en décembre 1968, au lendemain des événements de Mai, l’université Paris-Dauphine accueille chaque année plus de 8 000 étudiants. Pourtant, avant de devenir un centre universitaire, l’édifice a accueilli entre 1959 et 1966 le siège de l’Otan (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). Une expérience qui a laissé un héritage « matériel », visible notamment sur les murs, autant qu’immatériel, dans la façon dont l’espace a influencé la pédagogie développée à Dauphine.

L'Université Paris-Dauphine est située dans le XVIe arrondissement de Paris, en lisière du bois de Boulogne.
L'Université Paris-Dauphine est située dans le XVIe arrondissement de Paris, en lisière du bois de Boulogne. Clotilde Ravel/RFI
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Encadrée par une rangée de platanes centenaires, l’université Paris-Dauphine est située à l'orée du Bois de Boulogne, dans le très chic XVIe arrondissement de Paris. A première vue, rien n’indique que l’Otan a un jour siégé ici (entre 1959 et 1966). Les plus avertis s’attarderont pourtant sur les étoiles à quatre branches surmontant les grilles, à droite de l’entrée principale. Ce symbole a été choisi par l’Otan en 1953 pour représenter « la boussole qui [les] maintient sur la bonne voie, le chemin de la paix ».

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L'ancien siège de l'OTAN : un reportage aussi à écouter

Pour rencontrer de nouvelles traces de ce passé diplomatique, il faut pénétrer dans le hall principal, monter une volée de marches jusqu’au deuxième étage et lever les yeux. « Tout l’espace que l'on s'attend à voir au rez-de-chaussée quand on rentre, il est au deuxième étage, qui mesure deux étages de haut. C’était l’endroit solennel, auquel on accède par le grand escalier », détaille Ivar Ekeland, président de l’Université entre 1989 et 1994.

Au mur, la devise de l’alliance Atlantique est toujours là, en lettres noires : « Animus in consulendo liber ». Les étudiants savent-ils ce qu’elle signifie ? Angèle et Pauline, toutes les deux en première année de master de Finance, tentent timidement leur chance : « Ça veut dire ensemble dans la consultation, non ? ». On y est presque. La traduction la plus fidèle en française serait « l’esprit libre dans la consultation ».

Des couloirs secrets ?

A deux pas de ces lettres noires accrochées au mur, on retrouve l’amphithéâtre Raymond Aron, anciennement la salle du Conseil, où avaient lieu les réunions solennelles de l’Otan. Au milieu trône une grande table ovale de 20 mètres de diamètre, qui a longtemps été celle d’origine. Et à en croire les étudiants, la salle n’aurait pas révélé tous ses secrets : « Apparemment il y a encore des couloirs cachés... On ne sait pas tout sur l’histoire du bâtiment ». « C’est vrai que l’on peut contourner la salle Raymond Aron, il y a un couloir qui fait tout le tour », détaille Ivar Ekeland, qui confirme que « l’architecture du bâtiment fait qu’il est facile de dissimuler tout un couloir derrière une porte fermée ».

L'ancien président nous conduit dans l’aile « Boulogne » de l’édifice, traversée par un couloir d’environ 150 mètres de long, encadré par des portes sans vitrage. Ici, toutes les serrures s’ouvrent « dans le mauvais sens », illustrant l'influence des Etats-Unis sur le lieu, explique Ivar Ekeland, joignant le geste à la parole : « c’est le sens américain ». Aucune lumière de l’extérieur ne filtre dans ce corridor. « On se croirait dans l’intestin d’un cachalot », s’amuse l’ancien président, et pour cause : « Tout ça, c’était une architecture militaire. C’était fait pour ça, ce sont des bureaux pour des militaires, il y avait du secret ».

L'édifice porte Dauphine constitue à l’époque le siège civil de l’Otan. Les plus grands secrets, eux, sont gardés au « Shape », le quartier général des forces militaires, rappelle l’historienne Jenny Raflik, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise. Il est aujourd’hui basé à Mons, en Belgique. Et « si les archives civiles de l’Otan sont accessibles à tout le monde, les archives du Shape, elles, sont toujours fermées », détaille cette spécialiste de l’Otan.

Le poids de Mai-68

Des étoiles sur les grilles, une inscription d’origine en latin, une table ovale copiée sur le modèle de celle qui ornait la salle du conseil et une architecture militaire : ce sont les seules marques vraiment visibles qui rappellent que ce lieu a accueilli les responsables de l’Otan. Il faut dire que l’expérience est éphémère : elle prend fin dès 1966, quand la France quitte le commandement intégré de l'organisation sous l'impulsion du général de Gaulle. Les délégations déménagent alors à Bruxelles.

« Le plus souvent, la plupart des installations de l’Otan restent en friche, complètement à l’abandon après les déménagements », explique Jenny Raflik, en citant d’anciennes bases aériennes, notamment Châteauroux. « Depuis quelques années, il existe un projet d’installation de panneaux solaires sur certaines de ces bases. Mais ça arrive quand même 40 ans plus tard », remarque-t-elle. Alors comment expliquer que l’ancien siège porte Dauphine ait été réhabilité seulement deux ans après le déménagement de l’Otan ? « C’est vraiment Mai-68 qui détermine la réutilisation », détaille Jenny Raflik.

A l’époque, le gouvernement prévoit d’abord d’y installer les locaux du ministère de l’Education nationale. Mais le contexte le force à revoir ses plans. « En 1968, les étudiants sont dans la rue et le gouvernement s’aperçoit qu’il n’y a pas assez de place dans les universités. Edgar Faure [ministre de l’Education entre juin 1968 et juillet 1969; Ndlr] est accusé de ne pas s’intéresser aux étudiants. Pour démontrer le contraire, il décide de donner le bâtiment à l’Université. Le ministère de l’Education nationale restera rue de Grenelle », raconte Ivar Ekeland.

Une pédagogie dictée par l’architecture

Le ministre Edgar Faure réquisitionne donc les bâtiments néoclassiques dessinés par Jacques Carlu pour y installer une faculté. Au temps de l’Otan, l’édifice accueillait « environ 500 personnes », précise Jenny Raflik. Afin de pouvoir recevoir ses 2 500 premiers étudiants en décembre 1968, le bâtiment de la Porte Dauphine connaît plusieurs mois de travaux. « Les travaux ont consisté à prendre 3 bureaux côte à côte, abattre les cloisons et en faire une petite salle de classe », se souvient l’ancien président.

Dès le départ, tout comme son homologue Vincennes, l’université Paris-Dauphine est conçue comme une université « expérimentale » influencée par son espace. « A Dauphine, il n’y avait pas d’amphi pour 200 personnes, les salles de cours en contenaient maximum 40. Ça a donné une pédagogie adaptée, qui est une pédagogie en petits groupes », explique Ivar Ekeland. L’Université instaure les « cours-TD », c’est-à-dire « pas de cours magistral, pas de cours commun, mais un enseignement délivré en petits groupes ». Si les espaces ont complètement changé - le restaurant du personnel de l’Otan est devenu la bibliothèque, la salle de presse un restaurant universitaire, des abris anti-aériens ont été réutilisés pour devenir des salles d’archives -, l’organisation a laissé un héritage symbolique qui influence la pédagogie.

Aujourd’hui, ce bâtiment haut de six étages accueille chaque année plus de 8 000 étudiants et l’université Dauphine fêtera en novembre prochain ses cinquante ans d’existence. Cinquante années jalonnées par des travaux, dont les principaux ont eu lieu en 1994, sous la présidence d’Ivar Ekeland et débouchent sur la construction d’une nouvelle aile, refermant ainsi le « U » de la cour.

En 2013, la direction a fait appel à l’architecte Sebastien Héry pour rénover le hall, améliorer l’accessibilité, la sécurité et l’esthétique des lieux pour que l'Université « rentre un peu dans le XXIe siècle, parce que là elle faisait quand même un peu vieillotte », sourit l'architecte.

L'architecte Sébastien Héry a travaillé au projet de réhabilitation du hall de l'Université Paris-Dauphine en 2013. Ici dans son bureau parisien en juin 2018.
L'architecte Sébastien Héry a travaillé au projet de réhabilitation du hall de l'Université Paris-Dauphine en 2013. Ici dans son bureau parisien en juin 2018. Clotilde Ravel/RFI

Sebastien Héry dessine des plans pour créer une rampe d’accès pour les Personnes à Mobilité Réduite, « désenfume » et décloisonne le hall pour créer de nouveaux espaces. Il doit prendre en compte la « structure métallique du bâtiment », une technique de construction courante dans les années 1950, et beaucoup moins aujourd’hui. « Ce bâtiment-là n’était pas fait pour être une université à l’origine, il ne devait pas recevoir autant de personne. Or, il faut savoir que les règles évoluent chaque année, donc il faut s’adapter : règles de portance de plancher, de sécurité », explique l'architecte.

Démolition des murs, décloisonnement… les travaux surtout intérieurs et limités par le budget, car c’est l’Etat qui subventionne les travaux. Jusqu’ici, la façade du bâtiment n’a pas été changée. « Je pense que si on revenait en arrière, les gens qui passaient là dans les années 1950 reconnaîtraient leur bâtiment », affirme Sébastien Héry. D'autres grands travaux sont prévus en 2020 pour ajouter une aile à l’intérieur de l’édifice.

« Les bâtiments c’est une chose, mais l’université c’est les gens qui sont dedans, notamment les étudiants. On a tâché d’adapter les bâtiments au monde moderne et on a tâché de s’adapter nous aussi », philosophe Ivar Ekeland en contemplant la cour intérieure du bâtiment. « C’est quand même l’un des rares exemples que je connaisse où on a transformé les épées en charrues, se félicite-t-il. On avait un bâtiment fait pour les militaires et on en a fait un bâtiment pour les universitaires, pour l’enseignement et pour l’éducation. Ça, je pense que c’est un formidable succès ».

►Notre série sur les  Lieux oubliés

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