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France

Les écoles de la métropole lyonnaise mobilisées pour les élèves sans toit

Banderoles au front des écoles, distributions d’affiches et menaces de relancer les occupations d’établissements, en ce lundi 20 novembre, journée internationale des droits de l’enfant, la communauté scolaire du Grand Lyon reste plus que jamais mobilisée aux côtés des élèves sans domicile fixe. Un campement devant la préfecture du Rhône est annoncé pour mercredi 22 novembre. Selon le collectif Jamais sans toit, plus de trois cents enfants seraient à la rue dans la métropole.

«Une maison pour tous !» Dessin des élèves de l’école Lucie Aubrac dans le 2e arrondissement de Lyon.
«Une maison pour tous !» Dessin des élèves de l’école Lucie Aubrac dans le 2e arrondissement de Lyon. Stéphane Lagarde/RFI
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Combien d’enfants sortent de l’école sans savoir avec certitude où ils dormiront le soir ? L’Education nationale ne comptabilisant pas les élèves sans abris, ce sont les coordinations de parents d’élèves et d’enseignants qui se chargent des statistiques. Selon le dernier communiqué de Jamais sans toit, aux 223 enfants recensés par le collectif, s’ajoutent 120 jeunes isolés sans famille « qui se sont vus récemment refuser toute prise en charge ou sont en attente dehors. » Au total, « c’est donc 343 enfants qui sont à la rue dans notre métropole. »

Au retour des vacances de Toussaint, professeurs et parents d'élèves tombent d'accord : le compte n’y est pas ! Après la mobilisation des écoles à la rentrée de septembre, des solutions ont bien été trouvées pour une partie des familles ; dans la plupart des établissements, les enfants sans hébergement fixe ne se comptent plus que sur les doigts d’une seule main. C’est encore trop : « Quand il s’agit d’enfants qui dorment dans la rue, cela touche tout le monde ! » explique Xavier Decoster, parent d’élèves à l’école Lucie Aubrac.

L’établissement est situé dans le très chic quartier d’Aynay, sur la presqu’île de Lyon. Le cas d’une famille de quatre enfants, dont la maman enceinte dormant dans la rue, a mobilisé la quasi-totalité des parents et des enseignants en octobre. « Vous ne pouvez pas rester indifférents quand ce sont les amis de vos enfants », poursuit Xavier Decoster. Pluie de questions, le soir à l’heure des histoires : « "mon copain, il est dehors" me disait mon fils, "est-ce qu’on peut lui donner ma couette pour lui tenir chaud" ? »

Goûters solidaires

Crêpes, gâteaux et thé chaud… La vente de ce goûter solidaire devant l’école Antoine Charial (3e arrondissement de Lyon) sert à financer des nuits d’hôtel pour les familles sans toit.
Crêpes, gâteaux et thé chaud… La vente de ce goûter solidaire devant l’école Antoine Charial (3e arrondissement de Lyon) sert à financer des nuits d’hôtel pour les familles sans toit. Stéphane Lagarde/RFI

Pour cette semaine des droits de l’enfant, les parents d’élèves de Lucie Aubrac restent mobilisés. Ils ne sont pas les seuls. Des actions de sensibilisation sont prévues dans les huit arrondissements de Lyon : apéro à l’école Robert Doisneau, soupe de l’amitié à Michel Servet et Gilbert Dru, goûters solidaires à Victor Hugo, Mazenod, Berthelot et Jean Macé, et enfin, stand sur le marché pour l’école Antoine Charial.

Les parents d’élèves et les enseignants travaillent parfois main dans la main avec la direction des établissements, mais ils sont parfois contraints de faire cavalier seul. Ce qui complique encore les démarches auprès des mairies propriétaires des locaux. Un bras de fer que l’on rencontre aussi en périphérie de la métropole. Le collège des Gratte-ciel et les écoles élémentaires Jean-Zay et Lakanal sont également mobilisés à Villeurbanne. Même chose pour l’école Moulin à Vent à Vénissieux, ou encore les écoles Anton Makarenko, Youri Gagarine, Jean Vilar et Grandclément à Vaulx-en-Velin, où tout a commencé il y a une vingtaine d’années.

« Je dors dans la voiture, en bas de l’école »

Enseigner permet de rester jeune. De son adolescence, Michel Moiroud, 48 ans, a conservé la silhouette et une certaine idée de l’engagement. La question des enfants sans toit n’est pas nouvelle à Vaulx-en-Velin. Le directeur de l’école Grandclément l’a découverte lorsqu’il est arrivé dans l’établissement en 2004 : « A l’époque, j’étais enseignant en CP et un élève que j’avais devant moi tous les jours m’a raconté qu’il vivait dans la voiture, juste en bas, sous les fenêtres de l’école. » La famille vient de Bosnie. L’enfant a une sœur qui à l’âge de sa fille. La communauté scolaire de Grandclément ne sait comment réagir.

Michel Moiroud contacte alors le Réseau Education Sans Frontières (RESF) : « Un élu de Vaulx-en-Velin et un instituteur à la retraite m’ont appelé et on a monté un collectif pour cette famille, se souvient le directeur. Cet enfant sortait de la guerre en ex-Yougoslavie, sa famille avait été déboutée du droit d’asile, car la Bosnie était devenue soi-disant un "pays sûr" pour nos institutions. Depuis, nos écoles ont vu arriver tous les conflits ! »

Michel Moiroud directeur de l’école élémentaire Grandclément à Vaulx-en-Velin.
Michel Moiroud directeur de l’école élémentaire Grandclément à Vaulx-en-Velin. Stéphane Lagarde/RFI

Le phénomène est le même pour chaque école située non loin d’un foyer d’accueil de migrants où sont étudiées les demandes d’asile. « Ils arrivent en France, ils sont logés, les enfants sont inscrits dans nos écoles, explique Michel Moiroud. Au bout d’1 an et ½, tous ne parlent pas parfaitement le français, mais tous comprennent le mot ‘négatif’ sur leur dossier ! Alors ils s’accrochent à l’école, cela peut durer trois ans, quatre ans, voir dix ans parfois. »

Organisation de collectes pour financer des nuits d’hôtels, mobilisation des parents et des enseignants qui vont jusqu’à recueillir certaines familles chez eux, et quand l’argent ou les solutions viennent à manquer, occupation des établissements ! En juillet dernier, l’école Grandclément a abrité six enfants et leurs parents dans ses locaux. La crise la plus importante remontant à 2015. Quatre familles sans toit ont été hébergées dans l’école pendant plusieurs mois. Un combat long et difficile, parfois récompensé… Il y a trois semaines, Michel Moiroud a retrouvé son élève de CP : « Adin est désormais intégré, confie-t-il dans un sourire. Il vient d’obtenir son brevet d’éducation professionnelle. »

Désarroi du corps enseignant

Sur les six familles dont s’occupe l’association Solidarité Enfants Vaulx-en-Velin, deux ont pu trouver des solutions d’urgence, deux sont hébergées dans des familles d’accueil, une est logée dans un appartement loué par le collectif et la dernière vit dans un squat. La partie émergée de l’iceberg selon les associations. Véritable « mamie » des enfants à la rue de Vaulx-en-Velin, Annie Durieux dénombre aujourd’hui pas moins de vingt familles sans hébergement fixe sur la commune.

« La situation ne s’est pas améliorée depuis 2015, estime cette bénévole du Secours Populaire et membre de RESF. Avant les choses bougeaient à partir du premier novembre avec l’arrivée du froid. Aujourd’hui, sur les 20 familles que je connais, une seule a été envoyée en centre à Villefranche-sur-Saône. » Certaines régions ont davantage de places d’hébergements que d’autres. A Vaulx-en-Velin les foyers d’accueils sont saturés. « On ne sait plus quoi dire aux gens, s’emporte la grand-mère des sans-papiers. On a des familles qui ont des enfants en très bas âge, la dernière que j’ai vue a un an et elle est à la rue depuis mars. »

Annie Durieux, la mamie des élèves sans toit de Vaulx-en-Velin, membre de RESF et bénévole au Secours Populaire.
Annie Durieux, la mamie des élèves sans toit de Vaulx-en-Velin, membre de RESF et bénévole au Secours Populaire. Stéphane Lagarde/RFI

La précarité dans un mouchoir de poche. Quelques stations de bus plus loin, la longue bâche des travaux de ravalement sur un immeuble jouxtant l’école Youri Gagarine, donne au groupe scolaire l’impression d’être prêt à décoller. Mais là aussi, malgré la bonne volonté du corps enseignant, l’école ne peut pas tout. « Il y a un énorme désarroi chez les instituteurs face à la détresse de ces familles, confie Catherine Fricot. Un jour, il leur faut des tickets de bus, un autre on les emmène à l’hôtel, l’année dernière on leur a même trouvé un logement. Résultat : On n’est plus simplement des enseignants car on la tête ailleurs, mais on n’est pas non plus des travailleurs sociaux, car on manque d’outils », précise cette professeure de CM1 CM2.

Et pourtant, si les migrants restent souvent discrets sur leur sort, l’élève qui a passé la nuit dehors est vite repéré : « C’est un enfant qui s’endort sur sa table, qui a du mal à se concentrer » poursuit l’enseignante. Des enfants qui croulent sous les responsabilités d’adultes, car souvent les seuls à maîtriser le français : « l’année dernière, j’avais une famille mongole pour qui l’école était l’un des principaux liens à la société. »

Sonnette d’alarme

« Essayez d’être à l’heure madame ! » Dans le bureau de Roxane Paugam, 36 ans, la sonnerie de l’interphone court après celle du téléphone. « Bienvenue dans mon monde ! » lance la directrice de l’école élémentaire Jean Vilar. Là encore, sourire et énergie à revendre sont les secrets de la longévité en zone d’éducation prioritaire. La directrice ne manque pas d’occupations, mais il a bien fallu répondre à la situation des enfants sans toit.

« C’est toute une organisation, explique-t-elle. Chaque année des enseignants accueillent des personnes chez eux, car la priorité pour nous ce sont les enfants. On organise des collectes même s’il est difficile de solliciter les habitants des quartiers populaires. Les enseignants se retrouvent à mettre la main à la poche, c’est même un sacré budget chaque année. Et une fois qu’on a épuisé nos ressources, et bien on occupe l’école ! »

Roxane Paugam, directrice de l’école élémentaire Jean Vilar à Vaulx-en-Velin.
Roxane Paugam, directrice de l’école élémentaire Jean Vilar à Vaulx-en-Velin. Stéphane Lagarde/RFI

Il y a trois ans, des familles ont été hébergées à Jean Vilar. Aujourd’hui, la directrice tente de trouver une solution pour une femme de nationalité française qui a quitté une situation de maltraitance en région parisienne, pour se retrouver sans hébergement fixe dans la métropole lyonnaise avec ses deux enfants scolarisés.

« La situation ne fait qu’empirer, estime Roxane Paugam. On n’est plus seulement face à ces familles arrivant d’Albanie et déboutées du droit d’asile, on est devant des gens touchés par la misère. On tire aujourd’hui la sonnette d’alarme auprès de notre hiérarchie, car comme pour beaucoup de choses, nous sommes le dernier maillon de la chaîne. On ne peut pas passer six heures avec un enfant et lui dire à la fin de la journée : "Fais tes devoirs, et à demain !" Sachant qu’il va dormir sur le trottoir. »

Christèle Gelasdeygat, parent d’élèves école Lucie Aubrac à Lyon.
Christèle Gelasdeygat, parent d’élèves école Lucie Aubrac à Lyon. Stéphane Lagarde/RFI

A ce désarroi de la communauté scolaire répond la crainte des autorités, en particulier sur des territoires déjà fortement confrontés aux difficultés, de créer « un appel d’air » en construisant des places supplémentaires dans les centres d’hébergement d’urgence. Selon le collectif Enfants sans toit, la situation déborde pourtant largement les quartiers populaires.

« On connait la précarité parce qu’on est informé, affirme Christèle Gelasdeygat. Mais quand elle est incarnée, ça prend aux tripes et ça devient révoltant ! On se dit qu’on vit dans une ville riche, dans un quartier riche, poursuit cette maman d’élève de l’école Lucie Aubrac. On ne comprend pas pourquoi ces élèves qui sont scolarisés avec nos enfants n'ont pas d'endroit où dormir. » Sur le panneau d’affichage de cet établissement du 2e arrondissement lyonnais, les élèves ont dessiné une maison rouge pour leurs camarades de récré qui ne savent pas à l’avance où ils dormiront le soir venu.

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