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Gastronomie / Alimentation

Fête de la gastronomie: le charme discret de la carotte

Jamais sur le devant de la scène, la carotte mérite néanmoins sa place d'honneur pendant la Fête de la gastronomie consacrée cette année aux produits. Belle, accessible, elle est la racine à proprement parler de l’agriculture. Mais a-t-elle toujours été orange ? Est-il vrai qu’elle rend aimable ? Comment mieux la cuisiner ? Chercheurs, chefs et artistes répondent aux questions de RFI sur le légume le plus consommé des Français.

Racine, la carotte peut s’appeler ainsi en termes botaniques mais aussi par rapport à l’histoire.
Racine, la carotte peut s’appeler ainsi en termes botaniques mais aussi par rapport à l’histoire. Guélia Pevzner/RFI
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Une belle couleur orange, un jus sucré et une odeur suave, tout est réuni pour que les Français aiment la carotte. Selon l’Insee avec 9 kg par an par ménage, la carotte arrive en première place des racines et des légumes verts les plus consommés en France. Seule la tomate la devance mais en trichant un peu. Car botaniquement parlant, la tomate est un fruit, et c’est surtout à coup de tonnes de sauce ketchup qu’elle fait sa maline. La carotte, elle, reste digne et représente une valeur sûre gastronomique incarnant la terre et la vraie cuisine qui mijote dans des casseroles.

Racine, la carotte peut s’appeler ainsi en termes botaniques mais aussi par rapport à l’histoire. Présente sur nos tables bien avant que celles-ci ont été inventées, elle a changé depuis, tout comme nous-mêmes. La carotte sauvage, arrière-grand-mère de notre carotte du potager, est une racine fibreuse, dure, de couleur terne gris-jaune. On la trouve facilement dans nos montagnes où elle se distingue d’autres ombellifères par son arôme… de carotte. Dans une soupe, elle ne se laisserait pas devancer par les variétés cultivées, par contre il serait hasardeux de la choisir pour un jus.

Pourquoi la carotte est orange ?

Cette question d’enfant suscite également l’attention des spécialistes. Inexistante dans la plante sauvage, la couleur orange est devenue le signe distinctif de la carotte potagère. Et que penser des variétés pourpres, jaunes ou rouges qu’on rencontre de plus en plus souvent sur nos marchés. Sont-elles anciennes ou inventées récemment, ou encore exotiques, venues d’ailleurs ? Denis Saillard, spécialiste en histoire d’alimentation, chercheur associé au Centre d’histoire culturelle (CHCSC) de l’Université de Versailles, explique que toutes ces carottes multicolores sont bien des variétés anciennes et non inventées par la science actuelle pour diversifier nos assiettes. Il dément également l’idée de la carotte orange née par la volonté des botanistes hollandais pour faire plaisir à la famille d’Orange-Nassau.

Née, en effet, dans les Provinces-Unies après la Renaissance, à la fin du 16e siècle, la nouvelle variété, éblouissante de beauté, était le fruit du travail commun des botanistes et des jardiniers qui, à cette époque, apprenaient à cultiver sous serres. Ce nouveau procédé leur donnait le pouvoir d’obtenir les textures et les couleurs désirées. « La volonté humaniste de l’alliance de l’art et des sciences dures était de montrer que l’homme est désormais capable de domestiquer la nature », poursuit Denis Saillard. « C’était l’époque de grands changements alimentaires mais aussi artistiques, le siècle d’or de la peinture hollandaise. Les peintres voulaient montrer les richesses acquises par le pays, notamment les fruits et légumes jamais vus auparavant ».

En 1508, la carotte ancienne, blême et jaunâtre se cache encore derrière d’autres racines et plantes sur l’étalage de la « Vendeuse des légumes » du peintre hollandais Pieter Aertsen. Mais en 1640, le précurseur de Vermeer, Gérard Dau dans sa « Cuisinière hollandaise » met la nouvelle variété bien visible, en éventail au premier plan. Il sait certainement que la nouveauté va fasciner le « regardeur », précise le chercheur. Comme aujourd’hui on serait fasciné par la variété Purple Bushytops lancée en 2014 en Grande-Bretagne et qui n’a pas besoin d’être pelée ou épluchée.

Les carottes sont cuites

Le Potager du roi à Versailles construit par le jardinier Jean-Baptiste La Quintinie à la demande de Louis XIV et qui servait de modèle européen du jardin expérimental, inspire toujours les grandes tables parisiennes. Alain Ducasse et son restaurant éponyme au palace Le Plaza Athénée avance le concept de « naturalité » avec les mini-carottes de toutes les couleurs qui arrivent dans des jolies caisses en bois estampillées « Château de Versailles ». Alain Passard (3 étoiles au guide Michelin) exhibe avec fierté sur les tables de son restaurant les bottes de carottes venant de son potager de la Sarthe. Mais la carotte est un légume peu cher et accessible à tous, rappelle à ses étudiants Éric Briffard, chef exécutif et directeur des arts culinaires de l’école Cordon Bleu à Paris.

« La carotte me parle parce qu’elle est facile à marier avec tant de choses », dit-il en allant cueillir les carottes sur le toit de l’école ou elles poussent en regardant la Tour Eiffel. « Elle peut sublimer le jarret de veau ou se présenter sous une forme plus diététiques, sans gras, comme “carotte vichy”. Gardez-la au frais, dans un bac à légumes, enveloppée de tissu, et préparez-la chez vous, râpée, avec un peu de jus de citron vert, une pincée de curry et une huile d’olive de qualité ! Le plus simple peut devenir exceptionnel ».

La carotte, bien enracinée, sait voyager. Fermentée, elle nous amène en Corée, pays de kimchi. Avec un peu de cumin, ses saveurs deviennent orientales. Avec un carrot-cake, nous sommes aux Etats-Unis. Et le voyage dans le temps nous fait découvrir les racines de la cuisine française, le « bœuf à la mode » mis au point par le célèbre cuisinier La Varenne en 1651 et devenu ensuite le populaire « bœuf - carottes », ou encore le potage de Crécy.

Eric Briffard évoque les maraîchers qui partout en France cultivent les variétés anciennes et nouvelles, notamment à Créances où dans des bacs de sables pousse la seule AOP française, iodée et juteuse. Le varech lui servant d’engrais naturel, la carotte de Créances n’a pas de cœur fibreux et se marie remarquablement avec l’agneau pré salé. Grâce au collectif du Parti Poétique et son fondateur Olivier Darné, artiste plasticien et éleveur des abeilles urbaines, les carottes poussent de nouveau près des portes de Paris, à Saint Denis. La récolte est variée et bio. Le légume inspire les producteurs ; les variétés nouvelles reçoivent les noms des divas d’opéra, Maestro ou Soprano, peut-être en honneur au « Roi-Carotte » d’Offenbach… Les artistes suivent l'exemple de leurs prédécesseurs du 16e siècle mais aussi de Jean Dubuffet, de Chaim Soutine et de tant d'autres, faisant de la carotte leur héroïne. Nos contemporains, l’américain George Condo présent à Tate Modern à Londres, ou le français Michel Blazy avec son « Mur de carottes » la choisissent pour leur expression artistique.

À fort potentiel esthétique, la carotte posséderait également de nombreuses vertus pour la santé. En consommer régulièrement rendrait aimable, donnerait les fesses roses (surtout aux bébés) et améliorerait la vision nocturne. Les proverbes populaires, peut-on leur faire confiance ?

Guélia Pevzner/RFI

La carotte rend aimable

« La carotte a une remarquable quantité (1,5mg/100g) de bêtacarotène, pigment orange aussi connu sous le code E160 quand il est ajouté comme additifs aux aliments. La consommation d'une demie carotte suffit à couvrir nos besoins journaliers », explique Christophe Lavelle, chercheur au CNRS / Muséum National d'Histoire Naturelle / Sorbonne Universités, biophysicien et expert en science culinaire qui enseigne aux chefs et professeurs de cuisine. Mais rend-elle vraiment aimable ? Le chercheur se pose la question, si cette idée ne viendrait pas de l'âne que la carotte fait avancer et, donc, rend docile à défaut d'aimable ? Ou du fait que la carotte est censée entretenir un foie en bonne santé ce qui est toujours mieux pour rester de bonne humeur ? Ou encore plus simplement par son apport élevé, pour un légume, en sucre, source d'énergie à même de donner un peu de tonus ?

Pour ce qui est de l’affirmation que la carotte rend les fesses roses, la consommation intensive de caroténoïdes explique en effet la couleur rose de certains animaux comme les flamants, précise Christophe Lavelle. Il prévient pourtant qu’il serait hasardeux de vouloir extrapoler cette affirmation à l'homme. Or, plus généralement, le bêtacarotène est connu pour stimuler la production de mélanine, et donc, avec un peu d'exposition au soleil, favorise en effet le bronzage !

La carotte améliore-t-elle la vue ? « La vitamine A dont le bêtacarotène est un précurseur est en effet importante pour la vision », continue le chercheur. « Un des premiers symptômes d'un déficit en vitamine A est la difficulté de voir lorsque la luminosité diminue. Mais attention : il serait faux de croire que l'on peut acquérir une super vue nocturne en se gavant de carottes ! »

Une surdose est pourtant inaccessible par l'alimentation, assure-t-il. Alors, on peut, pour la Fête de la gastronomie, profiter à volonté de recettes des chefs, comme la gelée de carotte sur les tartines gourmandes par Anne-Sophie Pic, la marraine de l’événement. Et  à l’occasion de ce week-end gourmand et instructif s’offrir  le plaisir de cuisiner et la chance d’aller au marché chercher ses carottes. A vos paniers !

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