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France/Baccalauréat

Bac 2017: Diane et Théophile font mieux que Jordan et Cindy

Comme chaque année depuis 2012, le sociologue Baptiste Coulmont publie sur son blog un tableau qui révèle combien de candidats aux baccalauréats général et technique ont obtenu la mention « très bien » en prenant pour seul critère les prénoms. Son étude confirme, de façon originale, que les résultats diffèrent très largement selon les prénoms. Et donc, selon les origines sociales.

Comme en 2016, les Diane ont le meilleur pourcentage de mentions très bien au bac 2017.
Comme en 2016, les Diane ont le meilleur pourcentage de mentions très bien au bac 2017. Richard BOUHET / AFP
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Comment procédez-vous pour établir ces statistiques basées sur les prénoms des bacheliers  ?
Les académies publient les résultats nominatifs au bac sur internet. Il suffit de les récupérer. Je connais un peu l’informatique. Donc, j’ai un petit programme qui va récupérer les résultats des académies. Mais si vous allez sur un site comme Bankexam, à chaque fois il y a la liste des candidats qui ont eu une note supérieure à 8 au bac. Ça ne prend pas longtemps. Il y a beaucoup de candidats mais il suffit de faire tourner un programme, en fin de compte.

Mais vos statistiques ne prennent en compte que les candidats qui souhaitent que leurs résultats soient publiés 
Oui. Il n’y a que les candidats qui acceptent. Il y a environ 30% des candidats qui ne souhaitent pas que leurs résultats soient diffusés qui n’apparaissent pas dans ces graphiques. Avant, les candidats cochaient une case « si vous ne souhaitez pas...  », alors que maintenant les gens doivent cliquer en disant « je souhaite que … ». On peut penser que cette pratique finira par disparaître, ou qu’elle sera plus sécurisée, parce que c’est vrai que là, on dispose d’une information personnelle sur plein de monde, en fait.

>>> Cliquez ici pour visionner le nuage graphique des prénoms ayant eu la mention « très bien » au bac 2017

Dans quelle mesure cela fausse-t-il les résultats, de n’avoir que 70% des participants ?
Il y a deux hypothèses : soit les gens qui pensent qu’ils ne vont pas réussir stipulent qu’ils ne veulent pas que leur résultat soit diffusé. Ou bien on peut penser que le fait d’accepter ou de ne pas accepter est réparti aléatoirement. Ça peut dépendre des lycées aussi. Simplement, quand on regarde sur le ministère public des informations statistiques sur le bac, vous avez des informations non nominatives sur tous bacheliers : le pourcentage de bacheliers qui ont eu la mention « très bien », le nombre de garçons et le nombre de filles. Il n’y a pas vraiment de différences dans mes statistiques dans la proportion de filles, ou dans la proportion de mentions « très bien » par exemple. Donc, apparemment, il n’y a pas de gros biais introduit par le fait que l’on n'ait qu’une partie des candidats.

Quelle a été votre méthodologie pour en arriver là ?
L’un de mes objets d’étude, ce sont les prénoms (Baptiste Coulmont a publié en 2011 Sociologie des prénoms, un ouvrage de 128 pages sur le sujet ; NDLR). C’est intéressant en sociologie parce que tout le monde a un prénom et que les parents doivent faire ce choix au moment où ils ont un enfant. Ce n’est pas quelque chose de socialement très important mais quand même … Nommer, on ne le fait pas à la légère. Et surtout, en fonction de votre position sociale, vous ne donnez pas les mêmes prénoms. Pour les sociologues, c’est une manière de comprendre le rôle que peuvent jouer, en gros, les symboles dans la structure sociale. C’est pour ça que j’étudie les prénoms. Et l’intérêt du bac, c’est que c’est une classe d’âge entière qui passe le bac : un peu plus de 80% des naissances passent le bac. On a donc un portrait d’une partie d’une classe d’âge ; et on sait que les résultats scolaires sont en partie liés à l’origine sociale.

Vous êtes catégorique ?
Il y a 60 ans de sociologie de l’éducation qui ont montré un lien fort entre le diplôme des parents et le diplôme des enfants. Et les prénoms aussi. On ne donne pas les mêmes prénoms si on est un enseignant parisien ou un ouvrier de Limoges. Si on est descendant d’immigrés d’Afrique du Nord ou descendant d’une vielle famille bretonne, on ne donne pas les mêmes prénoms non plus. Le choix des prénoms et la réussite scolaire sont liés par le fait que ces deux choses-là sont liées à l’origine sociale. Donc, ce qui est derrière ce graphique, c’est l’origine sociale différente des personnes. Vous voyez que d’un côté, vous avez Kevin, Anthony, Dylan et Melissa. Et de l’autre, vous avez Joséphine, Théophile, Augustin, Alix et Adèle. Et ce ne sont pas les mêmes milieux sociaux qui donnent ces prénoms à leurs enfants.

Baptiste Coulmont s’est spécialisé dans l’analyse sociologique des prénoms.
Baptiste Coulmont s’est spécialisé dans l’analyse sociologique des prénoms. Audrey Mariette

Les résultats diffèrent-ils entre les Tiffany et les Tiphaine par exemple ?
Les Tiphaine sont plutôt autour de 13% de mentions « très bien » et il y en a 300 qui ont passé le bac cette année. Alors que les Tiffany, elles sont environ 250 et elles ont autour 7% de mentions « très bien ». Donc c’est à peu près moitié moins que les Tiphaine. Mais vous avez la même chose pour Mathieu avec un seul « t » et Matthieu avec deux « t »(12% des 998 Matthieu inscrits en 2016 ont eu la mention « très bien » en 2016 contre seulement 8,3% de mention « très bien » pour les 1372 Mathieu inscrits la même année; NDLR). Pareil entre les Thibault et les Thibaud.

Cela veut-il dire qu’une Tiffany a plutôt été nommée par rapport à un feuilleton américain par exemple alors qu’une Thiphaine aurait des origines plus littéraires ?
En fait, les parents inventent des références a posteriori. Les parents apprécient des sonorités : vous voyez que Tiffany et Tiphaine sont des prénoms qui se sont répandus à peu près au même moment. Il y avait un intérêt social qui n’avait pas été donné auparavant à ce prénom. De la même manière que Matthieu, Mathias, Mattéo ou Mathis ont intéressé des parents à peu près au même moment. Après, les milieux sociaux différents vont choisir des formes un peu différentes. Mais ensuite, les références vont être trouvées a posteriori. Le goût pour les prénoms anglo-saxons ou un peu celtiques comme Kevin ou Jérémy, c’est en fait un goût européen que l’on retrouve chez les classes populaires. On retrouve cela aux Pays-Bas, en Italie et en Allemagne. Ce qui se passait avant, c’est que les employés et les ouvriers prenaient les prénoms des cadres au bout d’un certain laps de temps. Ce qui s’est passé au cours des 50 dernières années, c’est que les classes populaires ont manifesté leur autonomie culturelle. Elles ont cessé de reprendre les prénoms de classes supérieures, en privilégiant un registre novateur de prénoms qui n’avaient jamais été donnés. Et qui sont souvent ces prénoms américains ou anglo-saxons.

Quelle rationalité intervient dans le choix d’un prénom ?
Quand vous interrogez les parents, ils vont raconter plein d’histoires ou de hasard qui ont fait que, à un moment, leur choix s’est porté sur tel ou tel prénom. Mais ces histoires, elles sont toutes différentes. Ce qui est fascinant, c’est que des personnes qui ne se connaissent pas, mais qui sont proches socialement, vont avoir tendance à choisir au même moment le même prénom, même si elles vont raconter des histoires entièrement différentes. Je pense qu’on choisit un prénom d’abord en éliminant les prénoms de la génération de nos parents parce qu’ils sont « vieux » et aussi les prénoms de la génération de nos grands-parents parce qu’on les a connus et qu’on a plein d‘images de référence qui sont un peu vieillottes. Pour les arrières-grands-parents en revanche, c’est différent car ils redeviennent nouveaux. On élimine aussi des prénoms qui ne nous semblent pas adaptés à ce que l’on voudrait projeter socialement. Si vous êtes chrétien, vous allez avoir tendance à éviter des prénoms qui peuvent sonner comme des prénoms juifs ou des prénoms musulmans par exemple. Et vice versa. Si vous êtes Breton, vous allez avoir tendance à choisir des prénoms comme Erwan ou Gwenaëlle, plutôt que Geoffroy ou Camille. Et à la fin, il y a une liste de prénoms possibles qui peut être très très longue et choisir aussi en fonction de certaines « contraintes ». Par exemple, aujourd’hui, les gens aiment bien les prénoms courts, donc cela élimine plein de prénoms. Ils aiment bien pour les filles les prénoms qui se terminent en « a », cela en élimine plein d’autres. Et à la fin, les gens ont le choix entre toute une série de prénoms mais après en avoir éliminé beaucoup.

Dans vos résultats, on voit très peu de prénoms musulmans justement, que faut-il en déduire ?
Il faut savoir que je n’ai pris que le bac général et le bac technique, en partie parce que pour le bac pro, il y a plus de contrôle continu et, de ce fait, les notations ne sont pas tout à fait les mêmes. Et il y a beaucoup plus d’enfants d’immigrés ou de descendants d’immigrés en bac pro qu’en bac général et technologique (le bac pro s'obtient dans les lycées dits professionnels ou par la voie de l'apprentissage dans les Centre de formation d'apprentis ; NDLR). La deuxième chose, c’est que c’est une population qui est quand même moins nombreuse. Imaginons que la population musulmane représente 10% de la population française, eh bien le prénom le plus donné – Mohammed – culmine à 500 inscrits au bac, alors que le prénom le plus donné pour les non musulmans passant le bac – Léa – culmine à 5 000. Donc entre Mohammed et Léa vous avez un rapport de 1 à 10 qui doit être le rapport réel des musulmans dans la population (il n’y a pas de statistiques sur les groupes ethniques en France ; NDLR). Il faut également savoir que ne sont représentés dans mes graphiques que les prénoms ayant eu plus de 200 candidats au bac, uniquement pour des raisons de significativité statistique : quand vous avez très peu de monde, une personne en plus ou en moins, cela peut faire énormément varier les pourcentages.

On se rend compte également dans votre « nuage » que les prénoms Emmanuel et Édouard – les prénoms du président et du Premier ministre actuels – sont très loin du peloton de tête. Cela aurait peut-être été différent il y a une vingtaine d’années 
Oui c’est exact (rire). À un moment, j’avais fait une image, j’avais parlé du vortex : si on représentait le mouvement que les prénoms ont sur 25 ou 50 ans, on a des prénoms qui sont peu donnés et qui sont proches ou au-dessus de la moyenne. Puis quand ils se répandent, comme en ce moment Alix, Adèle, Léa ou Camille par exemple, la moyenne finit par redescendre. Il faudrait 20-25 ans pour voir la « carrière » entière d’un prénom. Mais les prénoms sont beaucoup plus variés maintenant qu'il y a un demi-siècle.

À quoi peut bien servir votre travail, finalement ?
Pour moi, c’est une manière de me servir du bac, qui est un rite social important, pour rappeler de manière graphique que la société française reste une société de classes. Que des différences de classes sont visibles à la fois dans la réussite scolaire et dans les prénoms que les parents donnent. Et je considère aussi que c’est une manière graphique, ou illustrative, de faire une petite introduction à la sociologie, au fait qu’il y a des inégalités sociales et que l’on peut les rendre visibles, ici avec le prénom. En sachant que toutes les personnes qui sont sur ce graphique ont réussi leur bac.

Cela tempère quand même le résultat, du coup. Est-ce que l’on peut subodorer que, dans les échecs au bac – qui ne sont pas pris en compte ici –  il y a beaucoup de Jennifer ou Kevin, par exemple ?
On pourrait le faire puisque l’on sait combien de Jennifer et de Kevin sont nés en 1999. Et donc, on pourrait regarder combien de Jennifer et de Kevin restent au bac général et technologique. On pourrait voir les chances qu’ont eu les Jennifer et les Kevin par rapport aux Adèle et aux Augustin d’arriver jusqu’au bac. Je l’avais fait avec des chiffres un peu moins récents. En 2015, j’avais regardé les gens nés en 1997 et la proportion de gens qui, par exemple, s’appelaient Adèle et qui arrivaient jusqu’au bac général et technologique. Et j’avais donc constaté qu’en 2015, plus de 80% de toutes les Adèle nées en 1997 étaient arrivées au bac. Par comparaison, seulement 10% des garçons prénommés Brandon étaient arrivés jusqu’au bac en 2015.

Pour le coup, c’est vraiment spectaculaire !
Oui parce que, en fait, le bac général et technologique représente environ 60% d’une classe d’âge et le bac pro 20%. Cela veut dire que les Brandon qui ne sont pas arrivés jusqu’au bac général et technologique sont allés, au moins pour une partie d’entre eux, vers le bac pro. A l’inverse, quand on prend les gens qui sont arrivés au bac avec un an d’avance, il y en a environ 60% qui obtiennent la mention « très bien ». Il faut ajouter aussi qu’il y a une quarantaine d’année, on ne donnait la mention « très bien » (16 de moyenne ou plus ; NDLR) qu’à environ 1% des bacheliers. À cette époque, les notes étaient assez concentrées entre 10 et 13. Aujourd’hui, elles sont beaucoup plus hautes. Pour résumer, il y a beaucoup plus de gens aujourd’hui qui obtiennent la mention « très bien » mais cette mention reste socialement très différente par rapport à il y a 40 ans.

Qui s’intéresse à votre travail et qui utilise ces données ?
Ce que je fais sur le bac, je considère ça comme une introduction à la sociologie. C’est une manière de faire comprendre à peu près à tout le monde – puisque tout le monde peut y avoir accès – qu’il y a des différences de classes. C’est un travail qui n’apporte rien à la réflexion sociologique puisque ce que je montre a déjà été montré il y a une trentaine d’années au moyen d'autres outils. Le fait que les résultats scolaires diffèrent selon l’origine sociale, le fait que des personnes qui n’ont pas la même position sociale donnent des prénoms différents, ce sont des résultats qui ont été établis il y a très longtemps.

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