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Procrastination

Procrastination: repousser à plus tard, un mal pour un bien

La journée du 25 mars célèbre tous ceux qui ont tendance à repousser toujours tout au lendemain. Perçue comme un mal, voire une forme de paresse, ce trait de caractère peut aussi s’avérer source de créativité.

Contrairement à un cliché répandu, les « procrastineurs » ne sont pas ou alors rarement des paresseux.
Contrairement à un cliché répandu, les « procrastineurs » ne sont pas ou alors rarement des paresseux. Getty Images/theboone
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Depuis 2010, chaque 25 mars, c’est la Journée mondiale de la procrastination. Lancée par l’éditeur David d’Equainville, il s’agissait alors de dénoncer la pression d’une société où tout allait de plus en plus vite et face à laquelle la « procrastination positive » apparaissait comme « une défense » selon son instigateur. Une initiative originale alors que la procrastination, soit la tendance à tout repousser à plus tard (du latin « crastinus », « demain »), reste perçue comme un défaut.

Pourtant, contrairement à un cliché répandu, les « procrastineurs » ne sont pas ou alors rarement des paresseux. Il s’agit même fréquemment de perfectionnistes, estime Mary Gohin, psychologue et hypnothérapeute. « Souvent, les procrastinateurs savent exactement combien de temps il leur faudra pour réaliser une tâche. Seul le fait de démarrer, de "s’y mettre" est difficile. Le procrastinateur aura donc tendance à bâcler même s’il déteste cela, car il est perfectionniste ».

Peur de l’échec, du changement, de l’inconnu, de ne pas avoir le contrôle, de subir une contrainte… : il n’existe pas de « profil-type » et on trouve autant de causes que d’individus pour expliquer le penchant à repousser les urgences. « Tout remettre au lendemain permet en général de remplir deux fonctions, protéger l’estime de soi et rester dans sa zone de confort », explique pour sa part Diane Ballonad-Rolland, coach en gestion du temps et auteur de J’arrête de procrastiner (Eyrolles, 2016).

Ce « mal » touche plus souvent les professions intellectuelles, lesquelles ont naturellement plus de tâches qui leur occupent l’esprit, ajoute Mary Gohin. Il est aussi plus répandu dans les pays développés. En effet, procrastiner revient à se mettre en danger. Or, « dans les pays ou les milieux pauvres, la population est déjà en insécurité » et ne va donc pas s’infliger un stress supplémentaire, explique la psychologue.

Mal du siècle

Les étudiants sont par ailleurs plus procrastinateurs que les autres, estime Mary Gohin. Environ 50 % d’entre eux, contre 30 % des « adultes » ont tendance à remettre au lendemain, renchérit Diane Ballonad-Rolland. Cette mauvaise habitude a quand même globalement tendance à s’atténuer ensuite, avec l’entrée dans la vie active, selon Mary Gohin. « Une fois dans le monde du travail, on a le sentiment qu’on est enfin arrivé quelque part, explique-t-elle. La liberté n’a plus le même goût : on a affaire à un patron. Alors qu’étudiant, on n’a pas encore compris pour qui on travaille ».

Si Marcel Proust l’évoquait déjà dans son œuvre au début du XXe siècle, la procrastination apparaît souvent comme un phénomène récent, un « mot à la mode », selon Diane Ballonad-Rolland. En 2010, rien qu’aux États-Unis, le blogueur américain David McRaney relevait dans un article pas moins de 120 livres consacrés au sujet, le plus souvent pour expliquer comment lutter contre ce penchant. Pour Diane Ballonad-Rolland, la procrastination a en effet beaucoup augmenté au cours des quarante dernières années. Les sources de distraction, de « gratifications instantanées » face à une tâche fastidieuse, mais nécessaire, sont plus nombreuses avec l’essor d’Internet et des nouvelles technologies.

Pour le psychanalyste Gérard Pavy, la procrastination est presque toujours due à un père absent. « Dans la famille traditionnelle, le père définit les règles, explique-t-il. Si le père pour une raison ou autre est défaillant, vous allez adopter un modèle rigide pour compenser son absence. Dès que ce modèle changera, vous serez perdu et vous allez vous mettre à repousser la prise de décisions ». Dans le monde de l’entreprise, ce mécanisme tendrait à expliquer pourquoi certains managers ne prennent jamais de décisions. « Lorsque par exemple la banque de détail pour laquelle ils travaillent devient une banque commerciale, il leur est impossible d’intégrer ce changement de modèle ». Ils vont alors repousser au maximum le moment de prendre des décisions importantes.

Créativité

Certaines cultures seraient plus procrastinatrices que d’autres, comme le Japon. « La procrastination a quelque chose à voir avec l’obsession et les rituels, dont ce pays est friand », selon Gérard Pavy. Au pays du Soleil Levant, le système hiérarchique et hyper-participatif de prise de décision aurait pour effet… qu’aucune décision n’est jamais prise.

L’équivalent en Europe se situe pour Gérard Pavy en Allemagne. La France, avec sa culture hyper-bureaucratique, encouragerait aussi le report le plus tardif de la prise de décision. L’inscription en 2005 du « principe de précaution » dans la Constitution s’inscrit dans cette logique, pour Gérard Pavy : face à un risque potentiel, on préfère ne pas prendre de décisions du tout. A l’inverse, la culture anglo-saxonne favoriserait l’action immédiate. Le nouveau président américain Donald Trump, avec son usage compulsif de Twitter, est « l’anti-procrastinateur absolu », estime Gérard Pavy.

Mais, tient à rassurer Diane Ballonad-Rolland, nous sommes ou avons tous été procrastinateurs à un moment donné de notre vie. Il arrive aussi que l’on ait tendance à procrastiner uniquement pour les tâches administratives, ou dans le monde du travail, ou pour les tâches ménagères, et à chaque fois pour des raisons différentes. Dans quelques cas extrêmes seulement, « la procrastination peut être un symptôme de la dépression, voire d’un déficit d’attention ou de troubles obsessionnels compulsifs », poursuit la coach.

Pourtant, tant qu’elle n’est pas pénalisante pour la vie quotidienne – vaisselle qui s’accumule, fiche d’impôt jamais remplie,… - la procrastination peut aussi être positive. « Nous vivons dans une société qui valorise la performance, l’action au détriment de l’être, estime Diane Ballonad-Rolland. Ne rien faire est donc souvent mal perçu ». Parfois, cependant, il vaut mieux sortir faire un tour pour trouver l’inspiration, recommande la coach en gestion du stress qui rappelle que « la créativité s’épanouit mieux dans l’ennui ». « La procrastination n’est pas une maladie, mais pour en sortir, il est important de déculpabiliser, affirme Diane Ballonad-Rolland. Forcer une action est le meilleur moyen de ne pas être efficace ».
 

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