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Ecosse

Jackie Kay, première poétesse nationale d'Écosse métisse

L’Écosse est une nation littéraire. Sa capitale a été nommée en 2004 première Cité de Littérature par l’Unesco. « On ne peut pas échapper à la littérature à Édimbourg », explique Ali Bowden, directrice de la fondation Edinburgh City of Literature. « Les mots sont gravés dans les pavés sur le sol et sur les murs des bâtiments ». Alors, quoi de plus normal que d’avoir un poète national ? Jackie Kay a été désigné pour ce « job exigeant », selon la description d’Ali Bowden. « Joyeuse et charismatique », elle fait l’unanimité.

Jackie Kay (G) et la Première ministre Nicola Sturgeon (D) lors du festival du livre d'Edimbourg, en août 2016.
Jackie Kay (G) et la Première ministre Nicola Sturgeon (D) lors du festival du livre d'Edimbourg, en août 2016. Pako Mera / Barcroft Images / Barcroft Media via Getty Images
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Les temps changent. Il n’y a pas si longtemps, l’Écosse était une nation presbytérienne conservatrice. Aujourd’hui, elle est devenue la nation la plus gay friendly d’Europe, selon Newseek. La leader de l’opposition, Ruth Davidson, est ouvertement lesbienne et attend un bébé avec sa compagne. La Première ministre, Nicola Sturgeon, est une femme. Et Jackie Kay est tout cela en même temps : l’actuelle Makar, titre du poète national de l’Écosse de 2016 et jusqu’en 2020, est une femme métisse et lesbienne, porte-voix littéraire de la nation, et un des symboles des temps qui changent.

D’une mère des Highlands et d’un père Igbo nigérian, Kay est adoptée encore bébé

« Jamais je n’aurais pensé, quand j’étais jeune, que j’aurais pu devenir un jour Makar. L’Écosse a énormément évolué, surtout en termes de droits LGBT », explique Jackie Kay, qui participait à deux événements fin août dans le cadre du festival international du livre d’Édimbourg : un sur la force de la différence, et un autre intitulé Histoires de réfugiés. « Je pense que nous avons, dans la personne de Nicola Sturgeon, une femme politique de talent, qui dit que les réfugiés et les gens de toutes origines sont bienvenus ici. Cela change de l’Écosse dans laquelle j’ai grandi ».

Jackie Kay est née en 1961 à Édimbourg, d’une mère originaire des Highlands, et d’un père igbo nigérian, rencontrés à l’Université d’Aberdeen. Elle a été adoptée, encore bébé, par des parents militants communistes, et a passé toute son enfance à Glasgow - impossible de ne pas entendre son accent Glaswégien si distinctif. Pourtant, elle raconte qu’on lui demande souvent d’où elle vient, comme dans le poème Dans mon pays (In my country – à l’original, en anglais) : « Ils ne veulent pas vraiment écouter ma voix, car ils sont trop occupés à voir mon visage ».

L’enfance de Jackie Kay était faite de rencontres avec les amis militants de ses parents, de chansons inventées dans la voiture lors des nombreux road trips en Écosse, et de beaucoup de fous rires, comme elle le raconte dans son autobiographie, Red Dust Road. « Mes parents avaient un usage très créatif de la langue, et écouter ma mère raconter des histoires était une inspiration ».

Les néonazis de British Mouvement la menaçaient directement dans des affiches

Elle dit qu’elle doit aussi son humour et son sens de la dérision à sa mère. Dans Red Dust Road, Jackie Kay relate la rencontre avec son père biologique, devenu au Nigéria un professeur d’université ultra-religieux. La première rencontre, remplie d’émotion, a aussi apporté son lot de déceptions, notamment quand il a expliqué qu’elle, « son péché », devait rester un secret pour sa nouvelle famille. Elle n’a pu en rire que quand sa mère, en l’appelant depuis Abuja, lui a dit : « mon Dieu, on t’a bien sauvé la peau ! »

L’auteure a vécu plusieurs autres moments sombres, notamment dans sa vie d’étudiante dans les années 1980, comme lorsque l’organisation néonazie British Movement placardait des affiches la menaçant directement sur le campus de l’Université de Stirling. Ou encore, alors que l’extrême-droite montait en Angleterre, elle et ses amis ont subi une agression raciste dans le métro de Londres… Dans l’indifférence générale. Aujourd’hui, la poétesse estime que « rire d’une chose, c’est lui enlever un peu de son pouvoir. La satire et l’ironie aident à faire face à certaines situations difficiles ».

Aujourd’hui, la Makar - dont le rôle d’origine médiéval a été ressuscité au début des années 2000 - veut rendre la poésie plus visible et plus présente dans le quotidien. « La littérature ouvre des portes et offre du réconfort, de la solidarité, dit-elle. C’est un rayon de lumière dans cette sombre époque. Les poètes donnent une voix à ceux qui n’en ont pas ».

Anglais, gaélique, Scots, arcadien, doric… Elle célèbre la poésie écossaise dans toutes les langues

Elle a notamment écrit et déclamé des poèmes à l’occasion de la cérémonie d’ouverture du Parlement écossais en 2016, à l’inauguration du pont de Queensferry en 2017, et pour tous les nouveau-nés en Écosse qui reçoivent une baby box. « La volonté de construire des ponts est plus profonde que les rivières qu’ils enjambent », récitait-elle, et « il faut plus d’une langue pour raconter une histoire ». C’est la raison pour laquelle Jackie Kay célèbre la poésie écossaise dans toutes les langues présentes dans le pays : l’anglais, le gaélique, le Scots, l’arcadien ou encore le doric… Comme une manière d’affirmer haut et fort l’identité multiple de l’Écosse et des Écossais.

La multiplicité des identités est un thème transversal dans la littérature écossaise moderne. Au Book Festival, la romancière Ali Smith demandait : « pourquoi ne voudrions-nous être qu’une chose alors que nous sommes si multiples ? Pourquoi voudrions-nous nous refuser notre multiplicité ? »

« Tout le monde doit retrouver cette complexité »

Pour Jackie Kay, grandir comme enfant métisse dans un environnement où elle était la seule ne lui a pas donné le choix : elle a dû réfléchir à qui elle était, d’où elle venait, et à comment elle pouvait être acceptée. « Les personnes dans mon cas développent une complexité, un soi double, et c’est un atout très intéressant pour un écrivain ». Mais cette complexité ne concerne pas que les gens de couleur, les étrangers ou les outsiders. « Tout le monde doit retrouver cette complexité. Il est plus important que jamais de le rappeler, à cette époque du Brexit et de Trump. »

Les valeurs de Jackie Kay, parsemées dans ses poèmes et ses romans, sont le partage, l’ouverture et la joie - toujours contagieuse tant on rit en la lisant et en l’écoutant. Sa poésie, éminemment optimiste, est politique et elle l’assume : en mettant en question « la culture écossaise clichée, faite de haggis et de shortbread », elle encourage l’Écosse à accepter et embrasser sa diversité.

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